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Le blog d'Ariane Beth - Page 397

  • Rire

     

    « Le rire, tout comme la plaisanterie, est pure Joie. (…) En quoi est-il plus convenable d'éteindre la faim et la soif que de chasser la mélancolie ? »

    (Éthique scolie du corollaire 2 de la prop 45 Partie 4)

    « Est-il convenable » traduit le latin decet. Une traduction qui tire le mot vers la notion de politiquement correct. Il me semble que Spinoza se place plutôt dans une perspective que je qualifierais de médicale, thérapeutique.

    Dans l'ordre des besoins vitaux, la fuite de la tristesse et de l'humeur noire (= mélancolie) est à mettre sur le même plan que l'évitement de l'inanition. Le rire est nourriture de la joie psychique, comme le pain est celle du corps. Et à ce titre aussi nécessaire.

    Rien de plus raisonnable que rire. Raison comme rire étant propres à humaniser l'être humain.

    Le rire mène à un affect déjà rencontré (cf Joie), une des formes de joie que Spinoza nomme Hilaritas (allégresse dit ma traduction). La joie qui provoque une expansion de l'être.

    Et c'est elle que Spinoza met en regard de la mélancolie dans sa classification des affects. Laquelle repose sur deux colonnes : Joie/Tristesse.

    Dans chacune, il établit différentes nuances de ces affects selon qu'il les rapporte plutôt au corps ou à l'esprit, et selon leur périmètre d'action, leur prégnance dans l'individu qui les éprouve.

    « L'affect de Joie, quand il se rapporte à la fois à l'Esprit et au Corps, je l'appelle Chatouillement (Titillatio) ou Allégresse (Hilaritas) ; et celui de Tristesse, Douleur ou Mélancolie.

    Mais il faut noter que Titillatio et Dolor se rapportent à l'homme quand une de ses parties est affectée plus que les autres, tandis qu'Hilaritas et Melancholia s'y rapportent quand toutes sont affectées à égalité. »

    (scolie prop 11 Partie 3)

    L'allégresse comme la mélancolie sont des affects pareillement tsunamiques, de puissantes vagues qui emportent, dont on ressent l'imprégnation jusqu'à la moelle des os.

    Énergie de l'allégresse : faire une chose (ce peut être une fête, mais aussi un travail, une création) durant un temps indéfini, ad libitum, sans ressentir la fatigue, parce qu'on y est bien, et partager ce bonheur avec d'autres.

    Dévitalisation au contraire de la mélancolie, tête vide, muscles atones. Se traîner d'un jour, d'une heure à l'autre, prisonnier du cercle vicieux de la solitude qui désole et de la désolation qui isole.

    Le conatus conseille donc de fuir la seconde et de chercher la première.

    « Il n'y a assurément qu'une torve et triste superstition pour interdire qu'on se délecte (...) Il est d'un homme* sage de se refaire et recréer en usant de l'agrément des plantes vertes, de la parure, de la musique, des jeux et exercices du corps, des théâtres et autres choses de ce genre, dont chacun peut user sans aucun dommage pour autrui. »

    *Spinoza dit-il ici vir (et non homo) pour signifier que ces plaisirs « futiles » ne sont pas seulement pour les écervelées style Melle Vanden Ende, mais aussi pour les hommes les vrais, et même que c'est une bonne façon pour eux d'être sages ?

    Ou le dit-il simplement par (inconscient) machisme, la sagesse n'étant de toute façon pas l'affaire des femmes ?

    Dans ce cas encore une bonne raison de rire.

     

     

  • Questionnaire d'embauche

     

    Colera (autre biographe de Spinoza, moins connue que Colerus – car femme ?) donne copie d'un papier retrouvé dans ses affaires. Elle se perd en conjectures sur le statut de ce dialogue, et sur le sens des lettres DRH et P désignant les protagonistes.

    J'émets pour ma part l'hypothèse qu'il pourrait s'agir du compte-rendu que Spinoza écrivit de sa rencontre avec le directeur de recherche de Heidelberg (DRH), lui-même se désignant par P (= philosophe).

    Voilà un document à même de mieux expliquer qu'il n'ait finalement pas pris le poste proposé (cf Fabricius).

    DRH : Qu'est-ce que l'aliénation ?

    P : La différence entre l'homme que mène seulement l'affect ou opinion et l'homme que mène la raison : celui-là, qu'il le veuille ou non, fait les actions dont il est ignorant au plus haut degré ; tandis que celui-ci ne se plie au désir de nul autre que lui, et ne fait que les actions qu'il sait dans la vie être premières, et que pour cette raison il désire au plus haut degré, et c'est pourquoi j'appelle celui-là esclave, et libre celui-ci. (Ethique scol prop 66 Partie 4)

    DRH : Ici on dit collaborateurs. Hum. Place de l'individu dans un ensemble ?

    P : Si d'un individu, composé de plusieurs corps, certains corps se séparent, et qu'en même temps d'autres corps de même nature et en nombre égal viennent prendre sa place, l'individu gardera sa nature d'avant, sans changement de forme. (P2 Lemme 4)

    DRH : Turn over et corporate. Destruction créatrice. Bien. Bien. Quelles sont vos ambitions ?

    P : L'effort pour faire quelque chose ou s'en abstenir pour la seule raison de plaire aux hommes, s'appelle ambition. (Scol prop 29 Partie 3)

    DRH : Vouivoui mais vos ambitions à vous ?

    P : Qui s'emploie à maîtriser ses affects et ses appétits par seul amour de la liberté, en peu de temps il pourra diriger la plupart de ses actions sous l'empire de la raison. (Scol prop 10 Partie 5)

    DRH : Ah oui quand même. Je vais être clair. Nos collaborateurs reçoivent en effet des actions de l'entreprise, mais quant à diriger …

    P : L'homme libre qui vit parmi les ignorants s'emploie autant qu'il peut à décliner leurs bienfaits. (Prop 70 Partie 4)

    DRH : Euh… Vous le voulez le poste, oui ou non ? J'avoue ne plus trop m'y retrouver, là ...

    P : Cet état de l'esprit qui naît de deux affects contraires s'appelle un flottement d'âme, lequel, partant, est à l'affect ce qu'est le doute à l'imagination. (scol prop 17 Partie 3)

    DRH : Vraiment ? Figurez-vous que je n'aime pas les donneurs de leçon, mon ami. Mais alors pas du tout du tout. Je crains que dans ces conditions ...

    P : Qui s'emploie à triompher de la haine par l'amour tient tête avec autant de facilité à plusieurs hommes qu'à un seul, et n'a pas le moins du monde besoin du secours de la fortune. (scol prop 46 Partie 4)

    DRH : Ça tombe bien, parce que figurez-vous que nous allons nous passer de vos services. On ne vous écrira pas Monsieur euh … Monsieur Spinoza.

     

  • Puissant

     

    « Je passe enfin à cette autre partie de l'Éthique qui porte sur la manière ou la voie qui mène à la Liberté. J'y traiterai donc de la puissance de la raison, montrant ce que la raison même peut sur les affects, et ensuite ce qu'est la Liberté de l'Esprit ou béatitude, et par là nous verrons à quel point le sage est plus puissant que l'ignorant. » (Ethique Début de la préface de la Partie 5)

     

    Pas à dire c'est un marrant, Spinoza. Toujours le mot pour rire. Nous verrons à quel point le sage est plus puissant que l'ignorant. Peut être j'aurais besoin d'une visite chez l'ophtalmo, mais Dieu me distingue je dois dire que franchement je vois pas si bien que ça à quel point.

    J'ai comme l'impression au contraire, balayant d'un regard circulaire et global notre bonne vieille terre, de voir tant d'ignorants se retrouver en masse parmi les puissants. Des ignorants pas forcément cons, qui ont pu faire de bonnes études.

    Ou en tous cas des ignorants malins, qui se sont débrouillés pour se placer dans les soi-disant élites, là où le pouvoir se déguste sur un plateau d'argent.

    On me dira que c'est précisément parce que mon regard est trop global, que je ne regarde pas aux bons endroits. Là où sont les nids de sages, les essaims de saints. Je réponds à cela que je regarde où je peux, où je suis.

    En Europe par exemple : parmi ses gouvernants globalement, vous diriez qu'il y a majorité de sages ou de bourrins ? Hein ? Et pourtant que peuvent face à eux les (rares) d'entre eux (un peu plus) rationnels & raisonnables ?

    Car les ignorants malins disposent d'une arme dévastatrice : la force d'inertie. Genre le gamin fermé dans sa bouderie qui « ne veut pas entendre raison ».

     

    Donc je voudrais pas vous faire de la peine, M'sieur Spinoza, mais elle est où, la puissance de la raison ?

    « Un affect est une passion (ce qu'on subit passivement) qui cesse d'être une passion sitôt que nous en formons une idée claire et distincte. » (prop 3 P5)

    « L'ignorant vit presque inconscient de soi, de Dieu et des choses (= inconscient de DSN), et dès qu'il cesse de pâtir, il cesse d'être. » (scol prop 42 P5)

    Ah OK d'accord ! Du coup, si je comprends, l'ignorant s'accroche comme un pou à sa passion, à son impuissance, juste pour avoir l'impression d'exister ? Et c'est comme ça qu'il tire tout le monde vers le bas ?

    En effet. « En tant qu'ils sont en proie à des affects passifs les hommes peuvent être contraires les uns aux autres ». (prop 34 P4).

    Mais en revanche « C'est en tant seulement qu'ils vivent sous la conduite de la raison, que les hommes conviennent toujours par nature ». (prop 35 P4)

    CQFD sûr de sûr foi de Baruch.

    Bon, si vous le dites, je veux bien vous croire. Mais concrètement on fait quoi alors ? On suggère à tous les affectés de passivité d'entamer une analyse pour cesser d'être inconscients de soi …

     

    - Ach das ist eine so schöne Idee, liebe Ariane.