Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Le blog d'Ariane Beth - Page 394

  • Week-end à La Haye

     

    Spinoza était avant tout un bosseur. Ainsi que nous le rapporte Colerus (cf Araignée) il passait le plus clair de son temps enfermé dans sa chambre pour réfléchir, correspondre avec quelques penseurs de sa connaissance, écrire ses livres et polir ses lentilles.

    Mais de temps en temps il savait prendre du bon temps, sacrifier à la détente et profiter de ses RTT (Ras l' bol Toutes c'Théories). Colerus, encore lui, nous le montre ainsi, le soir au coin du feu, fumant sa pipe et devisant avec ses logeurs. Mais il n'en dit pas plus.

    Si bien que pour préciser cette essentielle question des loisirs spinozistes, je me suis plongée une fois encore dans la documentation compilée par Colera (cf Questionnaire d'embauche).

    Elle apporte des informations déterminantes. Ainsi, dans les soirées au coin du feu, non content de fumer sa pipe, Spinoza sirotait un bon whisky envoyé de Londres par son ami Henry Oldenburg (cf sa correspondance avec lui).

    Lequel en outre l'avait initié au whist. Et à son tour il s'employa à transmettre à ses logeurs bataves toutes les finesses de ce jeu anglo saxon. C'est ainsi qu'à l'époque des Lumières le savoir circulait, les différentes cultures se fécondaient mutuellement.

    Côté écrans, il préférait celui de son ordinateur à celui de la télé ou du cinéma.

    « L'humilité du Sage le conduit à éviter de faire son Ciné. De même il sait déceler l'attrape-conatus dans la Télé-Réalité, laquelle est à la Réalité ce qu'est le Sondage à la Vérité. » (L'autre vie de Spinoza par Colera, inédit).

    Il circulait sur la grande toile du web avec un appétit d'araignée. Il appréciait de pouvoir y échanger avec ses amis de la République des Idées, leur communiquer si aisément ses découvertes et raisonnements en pièces jointes.

    Et cela quasiment en même temps qu'il les pensait, c'est à dire peu ou prou à la vitesse de la lumière.

    Colera a ainsi archivé une série de fichiers, parmi lesquels un des plus intéressants est le premier jet de l'Éthique sous forme de quelque deux-cents tweets.

    Il explique apprécier cette forme pour sa concision, et y voir une « quintessence du mode géométrique » (cf Colera op. cit.). On voit que le projet final doit beaucoup à cette première intuition.

    Mais ce qu'il préférait encore faire, c'était flâner en toute AISI dans le port d'Amsterdam avec à son bras Melle Vanden Ende, Frida. C'était le petit nom de la donzelle nous apprend Colera, qui ajoute qu'elle était belle comme un soleil et qu'elle l'aimait pareil que lui aimait Frida.

    En réalité pas tout à fait pareil comme on sait (cf Bible). Cette douce joie ne lui fut donc donnée qu'un temps très bref. Cependant, à La Haye où il passa le reste de sa vie, elle ne cessa jamais d'illuminer son cœur et ses week-ends.

    Car ces brefs instants d'amour s'étaient inscrits en lui sous un certain aspect d'éternité.

    Du moins c'est ce que prétend Colera. Vous savez comment sont les femmes, à tout voir par le prisme du sentimentalisme.

     

     

  • Vertueux (cercle)

     

    « Par vertu et puissance, j'entends la même chose, c'est à dire la vertu est l'essence même ou nature de l'homme en tant qu'il a le pouvoir de produire certains effets qui peuvent se comprendre par les seules lois de sa nature.»

    (Ethique définition 8 Partie 4)

     

    « Se rapprocher du modèle de la nature humaine que nous nous proposons » OK mais comment nous faire avec certitude une honnête proposition, disions-nous la dernière fois.

    La réponse est ici :

    1) un modèle de la nature humaine ne peut se concevoir hors des lois de cette nature, c'est à dire hors des lois de la nature en général.

    2) les effets produits par ces lois sont les critères dont on dispose pour la modélisation recherchée.

    Autrement dit Spinoza entend le mot vertu d'abord au sens propre, celui qui fera dire par exemple : le tilleul a des vertus apaisantes.

     

    L'éthique fonctionne par la vertu en ce sens et en ce seul sens, pour la bonne raison que l'éthique est un agir et rien d'autre. L'éthique est une question de puissance effective.

    C'est pourquoi la certitude sur laquelle nous nous interrogions n'est pas seulement un savoir, ni même exactement un discernement, mais avant tout une résolution.

    « Le choix éthique n'est pas choisir entre vouloir le bien ou vouloir le mal, c'est de choisir le vouloir ». C'est ainsi que le dira à sa façon Kierkegaard.

    Et Nietzsche posera aussi comme chemin éthique la Wille zur Macht. Mettons qu'on en garde la traduction habituelle de « volonté de puissance », à condition de noter que le mot Macht vient du verbe machen = faire.

    Un vouloir qui ait des effets.

     

    "Par vertu et puissance j'entends la même chose", et c'est bien pourquoi :

    « Plus chacun s'efforce de rechercher son utile, c'est à dire de conserver son être, et le peut, plus il est doté de vertu ; et au contraire en tant que chacun néglige son utile, c'est à dire de conserver son être, en cela il est impuissant. » (prop 20 Partie 4)

    C'est donc sur un cercle vertueux qu'ouvre la "sauvegarde de son être", c'est à dire l'inscription de son caractère propre dans la seule logique de la vie.

    Cercle vertueux, mouvement de réversibilité continuelle entre AISI (adhésion à soi, contraire du faux self) et AID (amour "intellectuel" de "Dieu", force de liaison au mouvement de la vie).

    (cf pour AISI Humilité ambitieuse et pour AID Troisième type)

     

    Un cercle vertueux ainsi formulé dans la proposition finale du livre :

    « La béatitude n'est pas la récompense de la vertu mais la vertu même ; et ce n'est pas parce que nous réprimons les désirs in-sensés que nous jouissons d'elle, c'est au contraire parce que nous jouissons d'elle que nous réprimons les désirs in-sensés. »

    (Partie 5 proposition 42)

     

  • Utile

     

    « Par bien, j'entendrai ce que nous savons avec certitude nous être utile.

    Et par mal, ce que nous savons avec certitude nous empêcher d'user de ce bien. »

    (Éthique déf 1 et 2 Partie 4)

    Spinoza se moque visiblement de la question idéaliste des normes morales, sa morale est pragmatisme.

    L'idéalisme c'est quoi ? C'est poser un Bien et un Mal absolus, soumettant ainsi la question morale :

    a) à celle d'une révélation émanant d'une instance extérieure (ab-solutum = sans lien) à l'humain.

    Comment expliquer qu'elle soit si bien renseignée sur la question ? Justement parce qu'elle est censée être en dehors de l'humanité. Elle ne joue pas dans la même catégorie, quoi (elle est d'une autre essence on dira pour faire plus style sérieux philosophique).

    b) à l'application de préceptes qui vont découler de cette révélation, de façon forcément évidente et indiscutable.

    Spinoza s'inscrit en faux contre cette conception. Pour une raison simple, donnée à la fin de la préface de la Partie 4, juste avant les définitions citées.

    « En ce qui concerne le bien et le mal, ils ne sont rien d'autre que des manières de penser ou des notions que nous formons du fait que nous comparons les choses entre elles. »

    Des notions que nous formons récuse l'idée de révélation venue d'ailleurs.

    Du fait que nous comparons les choses entre elles récuse celle d'un absolu à la source des normes.

    Bref la morale a sa généalogie, dit ici Spinoza. Une question dont Nietzsche se saisira pour l'inscrire définitivement dans la modernité. Marx et Freud suivront aussi l'affaire, chacun à sa façon et pour l'utilité de son propos.

     

    Puisque la morale ne tombe pas du ciel, il faut s'atteler au travail de la formuler et d'en chercher les outils :

    « Et donc par bien j'entendrai dans la suite ce que nous savons avec certitude être un moyen de nous rapprocher de plus en plus du modèle de la nature humaine que nous nous proposons. Et par mal ce que nous savons avec certitude nous empêcher de reproduire ce même modèle ».

    La notion de modèle n'est pas évacuée, celle d'un certain idéal à atteindre. Mais ce qui change tout c'est qu'il est un projet, une chose qu'on se pro-pose, et non une plan préétabli qu'il faudrait suivre.

    Bref la morale ne se construit pas dans la répétition et la mise en conformité, mais dans une émergence créatrice, par ajustements successifs. (Ce qui se voit par exemple dans la création de comités d'éthique saisis de cet aggiornamento). 

    Bon, jusqu'ici tout va bien, sauf que, le lecteur attentif n'aura pas manqué de le remarquer, nous avons laissé de côté deux petits mots : avec certitude.

    Deux mots qui amènent la question cruciale. Comment savoir qu'on ne se trompe pas de modèle, comment, dans le processus d'émergence morale, trier l'utile et l'inutile ?