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Le blog d'Ariane Beth - Page 451

  • Le club des cinq

    « Ce sont les plus lointains qui paient pour votre amour du prochain ; et dès que vous êtes cinq réunis, il faut qu'il y ait quelque part un sixième qui meure. »

    (Ainsi parlait Zarathoustra. De l'amour du prochain)

     

    Terrible phrase, qui sonne comme une sentence. Phrase dont l'amertume glace le cœur. Phrase qu'on voudrait croire fausse, qu'on voudrait rapporter à la sensibilité d'écorché vif de Monsieur Nietzsche, à sa pente paranoïaque. L'ennui c'est qu'elle est vraie. En tout cas amplement vérifiée. Racismes, exclusions, bêtise et abjection. Boucs émissaires. Des autres trop autres (ou trop peu ?) désignés pour l'humiliation, le massacre. Fétichisme de la « proximité » ethnique, idéologique, religieuse : boue à cimenter les pires associations.

     

    Bref ce genre de club des cinq incite irrésistiblement à dire avec Groucho Marx « je n'accepterais pas de faire partie d'un club qui m'admettrait parmi ses membres ». En revanche la place du sixième exclu mérite une toute autre considération. Elle est celle de la demande d'asile contre l'inhumain. Et par conséquent celle qui en appelle à l'effort surhumain vers la générosité humaine. La générosité (je parle toujours du sens fort et précis que lui donne Spinoza), elle qui sait surmonter le prochain et voir qu'il forme avec le lointain le même corps, le même être.

    « L'avenir, le lointain, qu'ils soient la cause de ton aujourd'hui : en ton ami tu aimeras le surhumain qui est cause de toi.»

     

    Un peu dense quand même comme formulation, compact, minéral, non ? Que voulez-vous, c'est le côté diamant brut que prend parfois le style de Nietzsche. Un peu gros caillou, mais toujours de si belle eau.

     

    A part ça je parie que vous aussi vous vous demandez : pourquoi 5 (et pas 3 ou G8 ou G20) ? Va savoir. Qu'est-ce qui est 5 ? Les 5 doigts de la main ? Les 5 sens ? Les 5 continents ?

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Petits joueurs

    « La femme n'est pas encore capable d'amitié. Mais dites-moi, vous les hommes (Männer), qui d'entre vous est donc capable d'amitié ? »

    (Ainsi parlait Zarathoustra De l'ami)

     

    C'est la phrase suivante dans le texte. Et on est bien contente de la trouver.

    Mais pas si étonnée finalement. C'est Nietzsche quand même, le genre de mec dont le trip était de penser plutôt que de se saouler à la bière devant un match de foot truqué. Un match de foot, quoi. (Cela dit la bière il ne devait pas cracher dessus non plus). Mais on est un peu moins contente en réalisant : si l'humanité est à ce point incapable d'amitié, femme ou homme, Mann und Weib, Célimène ou Alceste, reste-t-il donc comme seule option raisonnable la misanthropie ?

     

    « Es-tu esclave, tu ne pourras être ami. Es-tu tyran ? Tu ne pourras avoir d'amis. » Donc tout n'est pas perdu. Car de ces mots on déduira que l'amitié n'est pas inaccessible à condition d'échapper à l'alternative tyran ou esclave. Bon OK c'est pas gagné. Mais pourquoi déclarer forfait d'emblée ? Battons-nous un peu, que diable !

    Ni tyran ni esclave, en récusant l'alternative pouvoir-soumission, pose par le fait-même deux valeurs : la liberté et l'égalité. Il appartient aux candidats-amis à la fois de les revendiquer pour soi et de les permettre à l'autre.

    C'est certes difficile, cela implique davantage qu'une sympathie spontanée ou autres affinités électives. L'amitié selon Nietzsche ce n'est pas pour les petits joueurs, faut pouvoir. Mais attention aux contrefaçons, le pouvoir n'est pas ce qu'on croit. Accepter d'être esclave ou se vouloir tyran, c'est en fait la même chose. Car être moins ou être plus signent la même impuissance à être totalement, c'est à dire être-avec.

     

    L'amitié nietzschéenne est ainsi la sœur jumelle de la générosité spinoziste. La générosité d'une certaine façon « surmonte » l'homme. Car elle conçoit chaque individu comme indissociable de l'ensemble, de l'humanité entière.

     

    « La camaraderie, il y en a : puisse-t-il y avoir de l'amitié ! »

    Ne pas rester des petits joueurs, ne pas se cantonner à l'entre soi, qu'on soit supporters de foot, philosophes, bobos, babas, prolos, ceci, cela. L'entre soi d'un groupe d'appartenance où fatalement on finira par penser : « les autres du dehors, rien à foutre » (version soft) ou même : « les autres du dehors qu'ils crèvent » (version hard).

     

     

     

  • L'amour vache

    « La femme n'est pas encore capable d'amitié ; des chattes, voilà ce que sont les femmes, ou des oiseaux. Ou, au mieux, des vaches. »

    (Ainsi parlait Zarathoustra. De l'ami)

     

    Amis de la parité & du féminisme échevelé, bonjour !

    Vous savez quoi, Monsieur Nietzsche : y a des jours on se dit que votre Zarathoustra, à force de parler, a perdu quelques bonnes occasions de se taire. Je vous le dis en toute amitié.

    Bien plus, je m'en vais mettre ma cervelle d'oiselle sur le coup pour vous communiquer ma façon de penser. Car un homme est un Mensch comme les autres après tout, et il faut essayer de le comprendre, continuer à parler avec lui. C'est vrai, on n'est pas des bœufs.

     

    Bref on nous la fait pas, à nous les meufs. A force de ruminer les tenants et aboutissants des complexes relations entre sexes, nous savons deux ou trois choses de vous les hommes. Celle-ci par exemple : lorsqu'il dispose d'une quantité suffisante de neurones, tel Monsieur N. avant qu'hélas la syphilis ne grignote sa précieuse matière grise, il ne tient pas un discours aussi absurde sans une bonne raison. Et pour trouver la raison d'un homme, comme dit le vieil adage : cherchez la femme.

     

    Question donc : pour ce joli moment de finesse machiste, on dit merci qui ?

    Merci Lou Salomé. Sans aller jusqu'à dire que cette femme fut un loup pour cet homme, nous sommes obligés de reconnaître que dans le genre félin Lou était davantage tigresse que chatte. Belle, intelligente, cultivée, et surtout hyper narcissique (elle le dit elle-même), elle avait pour séduire les hommes tous les atouts dans son jeu. Et ce fut un grand chelem : elle suscita l'amour passionné de tous ceux qui croisèrent sa route. Elle leur en fit pas mal baver, surtout les plus sensibles & passionnés du lot. Exemple le poète Rilke dont elle entretint fort habilement le syndrome bipolaire. Freud, en vieux renard de la psyché, sentit le lézard, et évita de se fourrer dans des histoires trop compliquées. Il se contenta de lui faire une place dans les groupes de la psychanalyse naissante.

    Quant à Nietzsche, elle l'engagea avec Paul Ree pour tourner dans une version perso et (au moins fantasmatiquement) sado-maso de Jules et Jim. Voir la célèbre photo où Lou fait mine de fouetter les deux hommes attelés à une carriole. Une blague d'intellos anti-conformistes qu'ils étaient tous les trois, je veux bien. Mais, distance ironique ou pas, ce genre de film finit mal en général.

    Bref, s'il est difficile d'estimer la part que prit Lou dans le pétage de plombs de Friedrich en ces années de crise de milieu de vie où il écrivit Zarathoustra, la phrase ci-dessus permet d'affirmer qu'à tout le moins elle l'a vachement déçu.