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Le blog d'Ariane Beth - Page 454

  • Allô Maman chaos

    J'ignore s'il existe un sondage sur la question, mais il ne fait aucun doute que la cote de popularité du chaos n'est pas au plus haut. Le mot se trimbale des connotations toutes plus apocalyptiques les unes que les autres. Plein d'évocations de forces obscures, le chaos fait dans le chtonien grave. Faites l'expérience dites à votre patron « La réunion d'hier, j'ai trouvé carrément chaos ! », ou à votre compagnon/compagne « Depuis qu'on est ensemble, ma vie est un super chaos », vous verrez comment ça sera reçu.

    Cependant quand vous direz à votre gamin chéri « Toto, range ta chambre, ça fait dix fois que je te le dis ! », si la réponse est : « Mais maman/papa, il faut porter encore du chaos en soi pour donner naissance à une étoile qui danse, comme dans Billy Elliot ! » là vous commencerez à devenir réceptifs à la positivité potentielle du terme. Alors ? Positif, négatif, négatif, positif ?

    Faisons appel à l'étoile incontestée de la sémantique, j'ai nommé Robert.

    « Chaos 1 Vide ou confusion existant avant la création (voir tohu-bohu)

    2 Confusion désordre grave 3 Entassement désordonné de blocs de rochers 4 Chaos moléculaire distribution désordonnée des positions et vitesse des molécules d'un gaz parfait en équilibre Contraires : harmonie, ordre. »

     

    Le n°2 ne peut qu'évoquer le « chaos syrien » (ou irakien ou malien etc.) qui hante gazettes et jités. Globalement ce qui ressort de plus clair de Robert, c'est que le chaos ne l'est pas, clair. Confusion deux fois, désordre trois fois, (même 4 car contraire ordre = désordre en bonne logique) : on se croirait dans la chambre à Toto.

    Pourtant, je sais pas vous, mais je trouve particulièrement suggestif le n°4. Comme dirait Spinoza, la physique dépasse la fiction. En outre voilà qui permet de satisfaire la pulsion effrénée à la synthèse qui peut saisir les meilleurs d'entre nous, et je ne veux nommer personne. Dans ma prochaine vie je ferai gaz parfait c'est décidé.

    Pour revenir à Zarathoustra puisque c'est quand même lui qui nous a fourrés dans ce bazar, nul doute qu'il prend chaos au sens n°1, celui du tohu-bohu de la Genèse.

    La terre était tohu-bohu, une ténèbre sur les faces de l'abîme, mais le souffle d'Elohim planait sur les faces des eaux. Elohim dit : une lumière sera. Et c'est une lumière. (Genèse chap1, v.2-3, traduction André Chouraqui).

    La lumière n'est pas de culture hors sol, dit ce texte. Elle se révèle dans le chaos par une parole qui en discerne la potentialité. Nietzsche dit la même chose, sur un mode (étonnamment?) sensuel et féminin. On dirait qu'il a vécu une grossesse, parce que c'est ça : on porte en soi un chaos de sensations, de matière mouvante et puis un jour le regard d'étoile d'un bébé où la vie vient continuer sa danse.

    La vie créatrice on est tous tombés dedans quand on était petits. Si on la laissait faire, le monde serait un feu d'artifices d'étoiles dansantes. Parce que côté chaos, y a matière.

     

     

  • Béa chez Zara

    « Je vous le dis : il faut encore porter du chaos en soi pour pouvoir donner naissance à une étoile qui danse. »

    Nietzsche (Ainsi parlait Zarathoustra Prologue 5)

     

    Dans la pièce de Shakespeare Beaucoup de bruit pour rien, lorsque Bénédict complimente Béatrice sur son heureuse nature qui prend tout à la légère, elle évoque ainsi sa naissance : « Ma mère criait, mais il y avait une une étoile qui dansait, et de cette étoile je suis née. » (Acte 2 sc1)

    Ah Shakespeare ... what else ?

    Béatrice et Bénédict sont amoureux l'un de l'autre mais chacun se ferait hacher menu plutôt que l'avouer à l'autre, et même l'admettre en son for intérieur. Ce n'est pas un amour-propre superficiel qui leur ferait dire « à lui/elle de faire le premier pas ». C'est une profonde angoisse devant l'amour qui rend dépendant d'un autre, qui exige un don sans réserve. Alors, comme le feront leurs descendants en génie théâtral chez Marivaux ou Musset, ils cachent leur émoi derrière une tchatche de rappeurs. Le langage est un peu plus policé, mais c'est le même jeu de l'embrouille et du défi.

    Sauf lorsque, parce que l'amour c'est plus fort que n'importe qui, et surtout que les personnages d'un grand dramaturge des passions, ils baissent la garde, comme ici Béatrice. Un instant, elle va laisser Bénédict apercevoir la rose qui tremble en elle (cf ma note du 18-10). Ma mère criait : tragique de l'existence mortelle qui s'inscrit entre les douleurs de l'enfantement et celles de l'agonie (en passant éventuellement par bien d'autres). En se donnant avec l'étoile une autre mère là-haut, Béatrice ne cherche pas à renier sa condition mortelle, mais la relie à la danse cosmique de la vie universelle.

    Outre ce fabuleux moment poético-philosophique, la réplique permet de mettre l'intrigue sur ses rails. Bénédict saura saisir le message subliminal. « Une femme qui parle à un homme d'étoile qui danse, et cela sans raison apparente du style congrès d'astronomie, c'est que son inconscient tient à lui faire savoir qu'elle n'est pas totalement dépourvue d'impulsion libidinale à son égard » se dira-t-il. Non sans se demander « Comment suis-je au courant de ces histoires d'inconscient de libido et tout ça ? Se pourrait-il que mon créateur eût rencontré le docteur Truc, là, celui qui fait criser Onfray ? »

     

     

    Zarathoustra fait donc écho à la réplique de Béatrice. Simple réminiscence ou allusion voulue ? Je penche pour l'option 2. Nietzsche confie l'image à son Zarathoustra pour qu'il la développe selon sa logique. Se reconnaître enfant d'étoile, c'est déjà bien. Mais il y a mieux encore, devenir créateur de l'étoile qu'on est. Bon. Jusqu'ici tout va bien, on se dit OK beau projet. Et puis on réalise : le matériau que Zarathoustra nous propose, comment dire, c'est du lourd, non ? 

    Chaos.

  • Le chasse-mouches et les abeilles

    « C'est autour des inventeurs de valeurs nouvelles que tourne le monde, - il tourne de façon invisible. Mais la foule et la gloire tournent autour des comédiens : tel est le cours du monde. »

    Ainsi parlait Zarathoustra Discours Les mouches du marché

     

    Cette phrase invite à un acte philosophique essentiel, la prise de champ, le décollement des évidences, la libération du pouvoir de l'affect immédiat.

    Sur la place du marché, les comédiens sont au centre de l'attention, attirent la foule et captent si bien la lumière qu'on les prendrait pour le soleil de ce petit univers. Tel est le cours du monde, ainsi va le monde tel qu'il nous saute aux yeux, tel que son image immédiate nous assaille.

    Alors installons-nous dans une fusée, décollons, et posons-nous à distance suffisante, sur la lune par exemple. Histoire d'élargir la perspective. Là nous rencontrons le capitaine Haddock bondissant dans son scaphandre, tout à la joie d'être délivré de l'attraction et de la pesanteur, chantonnant comme un enfant dans la cour de récré Au clair de la Terre ...

    Là nous partageons l'émotion poétique d'Éluard La Terre est bleue comme une orange. Entre nous, ces quelques cases d'une bédé, ce vers prodigieux où se rejoignent le plus loin et le plus proche, le rêve et la dégustation ... Je n'hésite pas à « nominer » Hergé et Éluard pour l'Einstein de l'inventeur de valeurs nouvelles, catégorie imaginaire poétique.

    Les mouches du marché ne peuvent pas monter si haut. Les mouches du marché ne seront jamais dans la lune. Dommage pour elles, l'invisible marche du monde leur restera invisible. Quand on leur dit nouveauté elles répondent article de mode, quand on leur dit valeurs nouvelles elles pensent investissement et CAC 40. Ce qui est tout à fait logique pour des mouches. Car, en hommage à un certain lunaire immortel du nom de Desproges (mort hélas avant d'avoir obtenu l'Einstein catégorie génie humoristique), nous remarquerons que dans Cacarente il y a rente.

     

    « La place du marché est pleine de bouffons solennels – et la foule se glorifie de ses grands hommes ! Ils sont pour elle, les maîtres du moment. »

    Et j'ajouterais, Monsieur Z, les maîtres de toujours, de chaque moment. Car ainsi sont les maîtres : des gens pas sérieux, à la fois insincères et incapables, mais qui se prennent très au sérieux. Des bouffons solennels.

    Bref les mouches du marché, y a des jours ça démange grave de les écraser contre les miroirs où elles s'agglutinent ...

    « Ne lève plus le bras contre eux ! Ils sont innombrables et ce n'est pas ta destinée d'être un chasse-mouches. »

     

    Oui, vu comme ça. Aucun doute, chasse-mouches ça fait moins bien que chasseur de primes ou chasseur de têtes sur le CV à destination du bouffon-recruteur. Et surtout on a mieux à faire. Devenir abeille, par exemple.