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  • Iris

     

    « Parmi ses écrits qui n'ont point été imprimés, un traité de l'Iris ou de l'Arc-en-ciel.

    Je connais à La Haye des personnes distinguées qui ont vu et lu cet ouvrage, mais n'ont pas conseillé à Spinoza de le donner au public ;

    ce qui peut être lui fit de la peine et le fit résoudre à jeter cet écrit au feu six mois avant sa mort » nous informe Colerus.

    Bien que distingués (ou parce que ? cf Fabricius) ces gens n'ont sans doute rien compris au livre.

    Vexés, plutôt que de l'avouer, ils ont dit : "c'est trop nul". Classique.

    On me dira : meuh non le conseil de ne pas publier c'était juste pour lui éviter des ennuis. Mettons, mais alors questions :

    a) Pourquoi que ça lui aurait fait de la peine qu'on se soucie de lui éviter des ennuis ?

    b) Vous arrivez à imaginer, vous, en quoi un traité sur l'arc-en-ciel peut s'attirer quelque foudre que ce soit ?

    c) Et quand bien même, pourquoi alors ne pas l'avoir caché quelque part, ou confié à des amis, avec mission de le publier après sa mort (comme il l'a fait pour Éthique) ?

    Peut être qu'avoir l'impression de passer son temps à jeter des perles aux pourceaux, ça finit par casser le moral, même au promoteur du conatus ?

    Car auto-autodafé égale plus ou moins suicide symbolique, oui ou non ?

    Divagations & psychologie de bistrot ? OK sans doute, mais imaginer la peine (même supposée) de Spinoza, j'y peux rien ça me fait de la peine aussi.

    « De ce que nous imaginons une chose semblable à nous affectée d'un certain affect, nous sommes par là-même affectés d'un affect semblable. »

    (Éthique 3 prop 27).

    C'est ce qu'il appelle dans le scolie qui suit "Imitation des affects".

    Attention ne me faites pas dire ce que je ne dis pas. Si je suis semblable à lui, c'est juste que Spinoza était un homme, et que moi je suis un homme comme les autres (quoique femme).

    Donc. CQFD.

    Mais c'est vrai. Humaine trop humaine sans doute, je me suis laissée entraîner.

    En fait la mention de ce traité m'est venue de l'idée suivante : pour faire le portrait de Spinoza il ne faudrait rien de moins que tout le spectre de l'arc-en-ciel.

    Et d'abord parce qu'il pense arc-en-ciel.

    « Analytique, obsessionnellement. Voir par exemple l'époustouflante combinatoire des paramètres déterminant les affects dans la partie 3 d'Éthique. Mais en même temps il fonctionne selon une vision intuitive, synthétique et multidimensionnelle.

    Il pense donc à la fois en nuances de couleurs dépliées en extension, et en lumière blanche, la lumière intensive, qu'on ne voit pas mais qui fait voir.

    Deux qualités rarement réunies à un tel degré, sauf génie naturellement. En fait Spinoza philosophe comme Bach cantate ou Einstein équationne, avec le même logiciel harmonique. »

    (auto citation encore, à l'AISI comme à l'AISI cf Humilité).

     

     

  • Herem

     

    Colerus consacre plusieurs pages au récit de l'exclusion de Spinoza par la Synagogue. On comprend que ça intéresse un pasteur luthérien pour raisons de boutique. Mais pour nous, que dit cet épisode ?

    Le fait massif est que Spinoza n'attachait pas vraiment d'importance à ces questions de communautés. Ni rejet hystérique ni besoin angoissé d'appartenance.

    Colerus note, avec dépit mais note quand même car il est honnête, que, prenant ses distances avec la Synagogue, Spinoza n'a pas pour autant

    « embrassé le Christianisme, ni reçu le saint baptême. Et quoi qu'il ait eu de fréquentes conversations avec quelques savants Mennonites, aussi bien qu'avec quelques personnes les plus éclairées des autres Sectes Chrétiennes, il ne s'est pourtant jamais déclaré pour aucune, & n'en a jamais fait profession. »

    Les chapelles (limite sectes au sens actuel) pullulaient comme des mouches autour de lui, suscitant j'imagine son intérêt entomologiste. Une mine à notes pour son TTP (cf Bible et Bornés & Bourrins).

    Quand il commença à dire sa façon personnelle de penser dans le cadre de la Synagogue, il y eut en gros deux réactions.

    1) « Tu dis comme nous ou on te casse ». Au figuré, s'entend. En fait, au propre aussi (si l'on peut dire) : un religieux genre allumé l'agressa genre horreur tu blasphèmes.

    Ah c'était pas une époque facile pour la liberté d'opinion. Heureusement qu'auj... euh ...

    2) « Les Juifs lui offrirent une pension peu de temps avant sa désertion pour l'engager à rester parmi eux, sans discontinuer de se faire voir de temps en temps dans leurs Synagogues. »

    Bon OK on te garde comme caution vu ton statut international d'intello, juste tu fais pas de vagues. Option pour renards malins. Pourquoi pas : il y a des points communs entre renards et araignées.

    Mais non.

    « Quand ils lui eussent offert dix fois autant, il n'eût pas accepté leurs offres, ni fréquenté leurs assemblées par un semblable motif ; parce qu'il n'était pas hypocrite, et ne recherchait que la Vérité ».

    Comme avec Fabricius. Mêmes causes mêmes effets.

    Cohérent avec sa devise Caute, pourvu d'un conatus comme vous et moi, Spinoza refusa de mettre en péril sa tranquillité voire sa vie, et tout autant sa liberté.

    Il s'éloigna donc sur la pointe des pieds, espérant qu'on lui lâcherait les baskets.

    « L'homme libre montre la même Vaillance ou présence d'esprit à choisir la fuite qu'à choisir le combat ». (Éthique Partie 4 corollaire prop 69)

    (A noter dans votre mémo SOS philo).

    Or les religieux détestant perdre la face et le pouvoir qui va avec, ce qui devait arriver arriva.

    « Il s'était à peine séparé des Juifs et de leur communion qu'ils le poursuivirent juridiquement selon leurs lois ecclésiastiques et l'excommunièrent ».

    On proposa l'exclusion temporaire (herem), avec possibilité de réintégration si amende honorable. On devine la réponse. Mais je vous rassure il resta poli.

    Ce fut donc le grand anathème, l'exclusion définitive. Il exprima ses regrets, toujours aussi poli.

    Et satisfit désormais son goût de la transparence par le moyen qui restait à sa portée, le polissage de lentilles.

     

     

  • Humilité ambitieuse

     

    Spinoza était-il humble ? Tout dépend de ce qu'on entend par là.

    À le lire, en particulier dans ses dialogues épistolaires, on est frappé par l'assurance dont il fait preuve au plan intellectuel. (Comme on l'a vu à propos de Descartes). Il doute rarement d'avoir raison.

    C'est simplement que dans son horreur du flou, il travaille à se donner les moyens de la certitude. Il définit, par un raisonnement rigoureux & géométrique, les contours d'une question, de façon à l'envisager « clairement et complètement ». Un binôme qui revient sous sa plume en leitmotiv.

    Une fois cette certitude acquise, à la sueur de son front c'est le cas de le dire, il n'hésite pas à faire preuve d'une certaine morgue, d'un agacement, envers les paresseux et/ou bourrins qui ne saisissent pas sa pensée.

    Il peut ainsi se payer le luxe d'une ironie mordante envers les cerveaux petits bras qui pensent court, qui pensent étroit, qui pensent vague et à peu près.

    D'un autre côté pourtant, il est parfaitement humble, au sens propre : il a les pieds bien sur terre (humilis vient du mot humus), il se sait humain tout simplement, et adhère joyeusement au réel.

    Il a l'humilité fondamentale de qui est conscient de l'inanité mensongère du concept de transcendance.

    Mais je lui laisse plutôt la parole.

    « La Satisfaction de soi* est une Joie (cf Désir) née de ce qu'un homme se contemple lui-même ainsi que sa puissance d'agir. » (Éthique P3 déf 25)

    *acquiescentia in se ipso = je suis qui je suis et ne cherche pas à aller voir ailleurs si j'y suis. L'AISI est en somme l'inverse de ce qu'en psychanalyse on appelle faux self.

    « L'Humilité est une Tristesse qui naît de ce qu'un homme contemple son impuissance ou sa faiblesse. (26)

    L'Abjection (= dire laissez tomber, je vaux pas le détour) est de faire de soi, par Tristesse, moins de cas qu'il n'est juste. (19). 

    Explication déf 19 : Du reste ces affects, l'Humilité et l'Abjection, sont rarissimes. Car la nature humaine, en soi considérée, déploie tous les efforts qu'elle peut ;

    si bien que ceux qu'on croit abjects et humbles au plus haut degré sont en général ambitieux et envieux au plus haut degré. »

    Pas à dire il connaît son monde, Monsieur Spinoza. Comment a-t-il fait pour voir cela avec tant de pertinence, lui qui n'a pas, comme les moralistes tels Pascal ou La Rochefoucauld, fréquenté les salons?

    Faut croire que contempler les araignées vous tuyaute tout autant sur les singeries des tartufes. Il révèle ici, anticipant le diagnostic nietzschéen sur la généalogie de la morale, la motivation cachée.

    L'humilité mal comprise n'est que déception de soi, ressentiment contre ses ratages, retournement de l'ambition et désir d'être quelqu'un en l'amertume de se considérer comme une nullité.

    Motivation cachée, et souvent d'abord à soi-même. Car notons avec Freud l'apport du sentiment inconscient de culpabilité dans ce processus.

    "L'Humanité ou Retenue (modestia) est le Désir de faire ce qui plaît aux hommes et de s'abstenir de ce qui leur déplaît." (43) 

    Voilà qui est assez raccord à primum non nocere. (cf 25-12-15). Entre nous je ne suis pas mécontente de me découvrir aussi cohérente.

    Soit dit en toute modestia, naturellement.