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  • Un échange avantageux

    Il s'agit de bien distinguer les droits respectifs des Citoyens et du Souverain, et les devoirs qu'ont à remplir les premiers en qualité de sujets, du droit naturel dont ils doivent jouir en qualité d'hommes.

    (II,4 Des bornes du pouvoir Souverain)

     

    Le parallèle entre les droits de l'homme et ceux du citoyen apporte une idée essentielle pour définir l'ordre proprement politique.

    L'être humain en tant que tel, sans autre qualification pour ainsi dire, n'a naturellement, c'est à dire en l'état dit de nature qui est celui de l'avant contrat, que des droits.

    La notion de devoir naît comme coextensive à celle de contrat. Dans le contrat, le citoyen conserve ses droits humains naturels, mais il doit les articuler avec ses devoirs de membre du corps social.

    La question est : qu'est-ce qu'il y gagne ?

    L'argument décisif de validité du contrat pour Rousseau, c'est que les devoirs du citoyen envers l'État ne sont que rien d'autre que ce qu'il se doit à lui-même. Et surtout ils sont la seule manière d'accéder à la plénitude de ces droits.

    La situation (des particuliers), par l'effet de ce contrat se trouve réellement préférable à ce qu'elle était auparavant, et au lieu d'une aliénation, ils n'ont fait qu'un échange avantageux (…) de l'indépendance naturelle contre la liberté, du pouvoir de nuire à autrui contre leur propre sûreté, et de leur force que d'autres pouvaient surmonter contre un droit que l'union sociale rend invincible.

    OK mais reste une question. Qu'est-ce donc proprement qu'un acte de souveraineté ? (par lequel se conclut ce pacte social).

    Ce n'est pas une convention du supérieur avec l'inférieur, mais convention du corps avec chacun de ses membres : convention légitime, parce qu'elle a pour base le contrat social, équitable, parce qu'elle est commune à tous, utile, parce qu'elle ne peut avoir d'autre objet que le bien général, et solide, parce qu'elle a pour garant la force publique et le pouvoir suprême.

    Soulignons commune, général, publique. Le leitmotiv de J.J. Et pour cause.

    Les réflexes individualistes (conditionnés par les vendeurs de narcissisme), les communautarismes séparateurs, l'égoïsme anti-social, quand ils sont assumés cyniquement sont à l'évidence des fautes morales.

    Mais même si on les suppose naïfs, voire inconscients, ils restent de dangereuses stupidités. De manière paradoxale, c'est le refus du sens collectif qui dessert, voire ravage, l'intérêt personnel de tout un chacun.

    Le malentendu repose sur un petit mot, le choix ou pas du bon pronom.

    Le Peuple, ou l'État, ce n'est pas moi, qui que soit ce moi (d'en haut ou d'en bas). L'État c'est nous. À condition que ce soit nous tous.

     

  • Otez les plus et les moins

    Il s'ensuit de ce qui précède que la volonté générale est toujours droite et tend toujours à l'utilité publique : mais il ne s'ensuit pas que les délibérations du peuple aient toujours la même rectitude.

    On veut toujours son bien, mais on ne le voit pas toujours : jamais on ne corrompt le peuple, mais souvent on le trompe, et c'est alors seulement qu'il paraît vouloir ce qui est mal.

    (II,3 Si la volonté générale peut errer)

    D'où questions.

    1) Comment faire pour que la volonté de tous soit bel et bien la volonté générale ? Que la somme des différents intérêts, souvent incompatibles tels quels, soit égale à l'intérêt du corps social en tant que tel (car il est le seul porteur du véritable intérêt de chacune de ses parties cf Un changement très remarquable).

    2) Par quels mécanismes démocratiques lutter contre la tromperie du peuple qui le conduit à l'aliénation (satisfaire des intérêts autres que les siens).

     

    Pour le premier point, Rousseau dit ôtez des volontés particulières les plus et les moins qui s'entre-détruisent, reste pour somme des différences la volonté générale.

    Euh oui mais comment ? … a-t-on envie de répondre une fois de plus. JJ anticipe la perplexité du lecteur par la note suivante :

    chaque intérêt, dit le Marquis d'Alembert, a des principes différents. L'accord de deux intérêts particuliers se forme par opposition à celui d'un tiers.

    Autrement dit on avance dès qu'il s'en trouve deux pour partager un intérêt commun face à un troisième. Et en fin de compte l'intérêt totalement commun, commun à tous, se sera construit ainsi de proche en proche, par intégrations successives de sommes d'intérêts partagés.

    Bruno Bernardi note à ce propos

    « Philonenko a montré que le calcul intégral constituait l'arrière-plan mathématique de ce chapitre et plus généralement du livre II. La volonté de tous est la somme arithmétique des intérêts particuliers, la volonté générale est leur intégrale. »

    L'ennui c'est que le calcul intégral ne marche que pour de petites différences.

    Mais quand il se fait des brigues, des associations partielles aux dépens de la grande (ce que nous appelons lobbies s'agissant d'intérêts, partis ou églises ou mouvements s'agissant d'idéologies), la volonté de chacune de ces associations devient générale par rapport à ses membres, et particulière par rapport à l'État.

    Autrement dit ces lobbies forment des États dans l'État, qui détournent à leur profit particulier un désir de faire corps qui ne peut plus alors mettre son énergie au service de la volonté générale.

    D'où la réponse à la deuxième question : que s'il y a des sociétés partielles, il en faut multiplier le nombre et en prévenir l'inégalité, comme firent Solon, Numa, Servius.

    Le fragile mécanisme de la volonté générale ne sera donc préservé de l'entropie que par la correction régulière de ses dérives. Ce qui se fait en partie "d'en haut", par le travail législatif.

    Mais la mise en place et la préservation de la volonté générale dépend aussi et surtout des sociétés partielles. Et en leur sein de chacun des citoyens. (Au premier chef dans les partis, syndicats, associations ...)

     

  • Uniquement sur cet intérêt commun

    C'est ce qu'il y a de commun dans ces différents intérêts qui forme le lien social, et s'il n'y avait pas quelque point dans lequel tous les intérêts s'accordent, nulle société ne saurait exister.

    Or c'est uniquement sur cet intérêt commun que la société doit être gouvernée.

    (II,1 Que la souveraineté est inaliénable)

     

    Quelque point dans lequel tous les intérêts s'accordent c'est le principe du PPDC, chiffre très variable. Possiblement élevé dans une petite structure intégrée, il restera ridiculement bas à l'échelle de structures plus complexes.

    Le PPDC français, à combien l'estimer ? Et l'européen ?

    On me dira ce n'est pas une question quantitative, mais qualitative. Peut être, mais l'ennui c'est que l'optique qualitative, c'est à dire celle des valeurs, pose plus de problèmes qu'elle n'en résout.

     

    Prenons une question au hasard : la politique à propos de l'immigration. Pourquoi n'arrive-t-on pas à une solution cohérente en Europe ?

    Parce qu'on s'envoie des valeurs à la figure. Ouverture et humanisme, paf prends ça, égoïste rabougri.

    Protection et identité, pif encaisse, cosmopolite irresponsable.

    Fraternité inconditionnelle, paf ! Cohésion nationale, pif !

    Je dis ça je dis rien, mais je me demande ce qu'on perdrait, les uns et les autre, à prendre enfin le problème de façon rationnelle et pragmatique, par le biais de l'intérêt.

    Le bénéfice que peut retirer une Europe vieillissante de l'arrivée de citoyens jeunes qui par leurs cotisations sociales prendront en charge le coût des retraites, de la dépendance.

    Ce qui suppose évidemment qu'il s'agisse d'une immigration légale. Et que soient posés des critères et des cadres ne lésant pas les travailleurs du pays d'accueil.

    Et le risque communautariste dira-t-on, ses dégâts potentiels pour le tissu social ? C'est vrai il faut l'analyser sans angélisme, ne pas le minimiser, dénoncer ses aspects possiblement délictueux

    (à l'égard des femmes particulièrement).

    Mais à terme il est probable que le travail et l'insertion dans le fonctionnement social en position d'acteur (et d'actrice) ne pourra que ringardiser les réflexes communautaires conditionnés. Sans empêcher la conscience d'appartenance culturelle, mais sous sa face dialogale.

     

    En tous cas viser l'intérêt commun de l'Europe sur cette question devenue un schibboleth est le seul antidote aux poisons nationalistes qui sont en train de la détruire.

    Je ne parle pas de sa structure administrative, ce n'est pas le plus grave. Mais bien de la volonté de faire cause commune que les nations européennes sont en train de lâcher.

    L'Europe se meurt d'avoir davantage travaillé à créer sa monnaie unique que sa volonté générale.

    Et la fameuse règle d'unanimité du Conseil européen dira-t-on ? Elle n'en est qu'une piètre caricature qui tient lieu d'alibi aux divergences d'intérêts.