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  • C'est supposer un peuple de fous

    Le raisonnement se poursuit. Puisque le prétendu droit du plus fort n'est pas un droit au vrai sens du terme, restent donc les conventions pour base de toute autorité légitime parmi les hommes.

    Rousseau, méthodique, part de la plus inégalitaire possible des conventions, le droit d'esclavage. (I,4)

    À l'échelle d'une société, c'est la soumission à un despote.

    On dira que le despote assure à ses sujets la tranquillité civile. Soit ; mais qu'y gagnent-ils si les guerres que son ambition leur attire, si son insatiable avidité, si les vexations de son ministère les désolent plus que ne feraient leurs dissensions ?

    Un marché de dupes, donc.

    En plus le despote, en assujettissant tout le monde à son seul bon plaisir, se contente de mettre un couvercle sur la cocotte-minute des dissensions. Qui se redéploieront à la première fissure du couvercle.

     

    L'esclavage, s'il est consenti, est l'aliénation absolue.

    Soit d'un homme à un homme, soit d'un homme à un peuple, ce discours sera toujours également insensé. « Je fais avec toi une convention toute à ta charge et toute à mon profit, que j'observerai tant qu'il me plaira, et que tu observeras tant qu'il me plaira ».

    C'est pourquoi un homme n'adhère à une telle proposition que s'il n'est pas dans son bon sens. Et si un peuple le fait, c'est supposer un peuple de fous.

    Une supposition pas si fantasmatique malheureusement, on se souvient des serments d'allégeance prononcés par des milliers voire millions d'individus à Hitler, Staline ou autres aliéneurs en chef, abdication volontaire d'autonomie non seulement d'action mais de pensée.

    Aujourd'hui encore, il n'est que de voir l'embrigadement dans le délire de masse réalisé par l'idéologie islamiste. Combinaison de vieilleries médiévales et de hightech tellement improbable pourtant, qui ferait rire si elle n'était aussi ravageuse.

    Mais question : même exempts de telles folies, sommes-nous totalement dans notre bon sens ? Nos ancêtres furent chair à canon dans les guerres d'anciens despotes. Nous sommes aujourd'hui chair à algorithme dans la guerre commerciale généralisée.

    Comportements, goûts, opinions, désirs, de tout cela les Gafam font bon marché dans l'absurde concurrence qui est le maître-mot, le mot-despote de notre monde.

    Pourtant nous restons volontaires pour cette servitude toute à notre charge et toute à leur profit.

    Par exemple qui résilie son compte facebook ou tweeter malgré la récurrente mise en évidence de ce marché de dupes ?

    Ces firmes sont patrons exploiteurs et contribuables tricheurs, nous le savons et l'acceptons.

    Réseaux « sociaux », vraiment ?

    Il y aura toujours une grande différence entre soumettre une multitude et régir une société (I,5 Qu'il faut toujours remonter à une première convention)

     

  • Ce prétendu droit

    Le chap 3 du livre I traite Du droit du plus fort, droit pris ironiquement en apparence, et réellement établi en principe.

    Mais ne nous expliquera-t-on jamais ce mot ? La force est une puissance physique ; je ne vois pas quelle moralité peut résulter de ses effets.

    Céder à la force est un acte de nécessité, non de volonté. C'est tout au plus un acte de prudence. En quel sens pourra-ce être un devoir ?

    Pour réfuter la notion, Rousseau renverse donc l'ironie de l'expression en la prenant au mot. On peut trouver simpliste de prendre le mot force dans sa seule acception physique.

    De fait il simplifie souvent ainsi le débat, en le figurant à son origine, sous l'occurrence la plus primitive possible (cf le discours sur l'origine de l'inégalité).

    Comme en mathématique on simplifie un rapport.

    Mais ici la simplification se justifie, car le droit du plus fort reste bien cela : un rapport de forces. En rigueur de termes, aucun véritable droit là-dedans.

    La contradictio in terminis se démontre dans un raisonnement par l'absurde.

    Supposons un moment ce prétendu droit (…) sitôt que c'est la force qui fait le droit, l'effet change avec la cause ; toute force qui surmonte la première succède à son droit.

    Sitôt qu'on peut désobéir impunément on le peut légitimement, et puisque le plus fort a toujours raison, il ne s'agit que de faire en sorte qu'on soit le plus fort. (...)

    Obéissez aux puissances. Si cela veut dire, cédez à la force, le précepte est bon, mais superflu, je réponds qu'il ne sera jamais violé.

    Mmouais quand même … Je vois une différence entre céder sans tenter de résistance, par acte de prudence (donc donnant raison de fait au précepte) ou céder sans pourtant accepter de se rendre, quand sa résistance est débordée, comme craque la digue sous le tsunami.

    Là, on peut dire que malgré l'issue, l'objection de conscience a au moins réfuté le précepte, même si en effet il n'est pas violé.

    D'ailleurs Rousseau ajoute Toute puissance vient de Dieu, je l'avoue ; mais toute maladie en vient aussi. Est-ce à dire qu'il soit défendu d'appeler le médecin ?

    (Il criserait, le pauvre, devant les aberrations à ce propos des témoins de Jéhovah ou Mormons  je sais plus).

    Bref, conclut-il, ma question primitive revient toujours.

    Sa question primitive c'est : le droit qui établit l'ordre des sociétés ne vient point de la nature ; il est donc fondé sur des conventions. Il s'agit de savoir quelles sont ces conventions.

    (Livre I,1 Sujet de ce premier Livre)

     

  • Le premier modèle

    La famille est donc si l'on veut le premier modèle des sociétés politiques ; le chef est l'image du père, le peuple est l'image des enfants, et tous étant nés égaux et libres n'aliènent leur liberté que pour leur utilité (Livre I,2 Des premières sociétés)

    Si l'on veut n'a pas un sens fort, c'est en quelque sorte.

    Sauf que la famille de naissance de Rousseau, ou celle qu'il n'a pas voulu fonder (en abandonnant ses enfants), ne sont pas vraiment du modèle standard. Du coup ce si l'on veut sonne autrement, s'imprègne d'un sous-texte.

    Cette phrase amène aussi l'évocation de sociétés ou de régimes politiques qui ont tenté d'inventer d'autres premiers modèles que la famille (avec des buts comme des méthodes parfois discutables).

    Toute la différence est que dans la famille l'amour du père pour ses enfants le paye des soins qu'il leur rend, et que dans l'État le plaisir de commander supplée à cet amour que le chef n'a pas pour ses peuples.

    La conjonction pouvoir/amour n'est pas envisagée. Voilà de quoi détromper ceux qui croient Rousseau citoyen d'honneur de Bisounoursland.

    Me frappe aussi le rejet implicite d'un devoir filial de reconnaissance envers les parents (style après tout ce que j'ai fait pour toi). L'amour paternel ici non seulement n'attend pas de retour, mais il constitue en soi sa récompense : amour à la fois gratuit et non sacrificiel.

    Trop beau pour être vrai ? En tous cas Rousseau ne dit pas de mal de son père dans les Confessions. Pour l'absence de la mère dans le système, on rappellera si on est gentil qu'il n'a pas connu la sienne, morte à sa naissance (grosse culpabilité trimballée toute sa vie).

    Sinon on dira que tout Rousseau qu'il soit, il n'a pas su dépasser le préjugé phallocrate de son époque, comme il apparaît dans l'éducation réservée à Sophie comparée à celle d'Émile.

    Sur le sujet des fondations des sociétés, Grotius et Hobbes sont épinglés (et Aristote égratigné) pour leur justification des inégalités (y aurait des chefs-nés et des esclaves-nés) : ils prennent l'effet pour la cause.

    Les esclaves perdent tout dans leurs fers, jusqu'au désir d'en sortir (…) La force a fait les premiers esclaves, leur lâcheté les a perpétués. (JJ connaît son La Boétie).

    Mais ce que je préfère dans ce chapitre est la fin. Rousseau y tourne en dérision le concept de monarchie de droit divin, dérision combinée à une souriante auto-ironie (dont il fait preuve plus souvent qu'on ne croit).

    Je n'ai rien dit du roi Adam, ni de l'empereur Noé (…) J'espère qu'on me saura gré de cette modération ; car, descendant directement de l'un de ces princes (...), que sais-je si par vérification des titres je ne me trouverais point le légitime roi du genre humain ?

    Quoi qu'il en soit, on ne peut disconvenir qu'Adam n'ait été souverain du monde comme Robinson de son île, tant qu'il en fut le seul habitant.