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  • (11/12) Matin

     

    Il y eut un soir, il y eut un matin. Premier jour.

    Il y eut un soir, il y eut un matin. Deuxième jour.

    Il y eut etc. etc. (jusqu'au sixième)

    (je précise pour ceux qui n'ont pas lu) (mais bon je ne divulgâche pas grand chose je pense) (et puis les auteurs ne sont plus là pour me le reprocher)

     

    Quelle magie poétique dans ce refrain du premier chapitre de la Genèse ...

    Poésie vraiment étonnante si l'on y songe : comment peut-elle surgir de ces trois mots si simples du langage le plus prosaïquement quotidien (cela dit Rimbaud aussi le fait). Peut être parce que dans ce déroulement ordinaire du temps auquel nous sommes tellement habitués, ils réalisent un arrêt sur image.

    En eux le temps se suspend comme on retient son souffle.

     

    Chaque matin, chaque soir de chaque jour qui passe, ou plutôt dans lequel nous passons*, sans y prendre garde, mérite d'être contemplé pour le miracle qu'il est. C'est sur ce miracle que les auteurs de la Genèse s'extasient (et incitent le lecteur à le faire).

     

    « Eh mon gars tu réalises ? Y a du temps, là, et ce temps tu y as lieu d'être.

    - Oui OK et alors ? C'est la vie c'est tout.

    - C'est la vie c'est tout : blasé, va ! T'as déjà réfléchi à la somme de hasards combinés pour que tu voies le jour, et déjà qu'il y ait un premier jour ?**

    - Ouais j'y pense vite fait, mais pas tous les jours non plus. C'est quand même un peu des trucs d'intello (c'est pas contre vous les mecs). Je vis aujourd'hui, voilà c'est bien.

    - Je vis aujourd'hui : tu l'as dit. L'autre miraculeux hasard c'est qu'il te soit donné, à toi, de vivre ce matin, ce soir, ce jour.

    - Vous insistez sur le hasard, mais en vrai vous pensez à un Dieu créateur et patins couffins.

    - Ah t'es pas si bourrin finalement ... Mais c'est un peu plus compliqué que ça mon gars. On est auteurs bibliques du 6°avant JC (aux dernières nouvelles exégétiques), et pas fondamentalistes de l'an 4 PT (post Trump) … Côté subtilité y a pas photo. En plus ce qu'on dit, Épicure le dit aussi (si tu préfères éviter la bible).

    - Et pis qui ? … Non je rigole.

    - Euh bref tout ça pour dire la prochaine fois que tu te lèves très tôt un matin, quand il fait encore sombre, prends le temps de savourer, à petites gorgées avec ton café, le miracle du jour qui naît. »

     

    *cf les vers de Ronsard (Du virus 3/8, 11 mai 2020)

    **Au 26°s ante-Einstein, le livre de la Genèse ne peut évidemment relativiser la notion de linéarité du temps, et par là celle de premier jour. Mais pour nous petits veinards à la poésie du temps s'ajoute aujourd'hui celle de la science.

     

  • (10/12) Ecrire (pour pas grand chose non plus)

     

    Écrire, qu'est-ce à dire ? Vaste question. Je vais parler pour moi.

    Si j'écris c'est je crois bien parce que j'ai peur que le monde existe moins, que les choses de la vie se perdent si je ne les écris pas. Si je ne les enrôle pas, pour le dire au mieux avec Montaigne (qui d'autre).

    Le monde, les choses, pas dans leur réalité objective, évidemment : ils n'ont besoin ni de moi, ni de personne, pour être là.

     

    Non, ce que je m'escrime à enrôler par peur de le perdre, c'est la façon dont je ressens les choses, l'écho particulier qu'elles provoquent en moi. C'est certes le fait de chacun, de ressentir les choses à sa façon.

    En chacun toute chose résonne, dans la rencontre entre ce qu'elle est et ce qu'il est.

    Seulement beaucoup de gens, la plupart il me semble, se moquent de noter cette résonance, et parfois même y font à peine attention. (Mais comment savoir on ne voit que la surface).

     

    D'où vient chez certains cette peur de perdre le monde, et qu'il s'évanouisse ? Peur de perdre le monde, ou peur de se perdre, soi ? Les deux ensemble sans doute. Tout besoin d'écrire inclut, parfois en (se) le cachant, le besoin de s'écrire (à) soi.

    En toute personne qui cherche à laisser trace de son écho au monde, il y a quelque chose de Narcisse.

    La trace peut prendre différentes formes, création artistique, artisanale, impression d'une marque sur un domaine de la société. Il y a des Narcisses au pinceau, au piano, au marteau, au bureau même. Et il y a les Narcisses au stylo.

    OK stylo c'est pour l'assonance. Narcisse aujourd'hui est au clavier, après avoir été au burin, au calame, à la plume d'oie ou d'acier.

     

    Bon ça suffit les bêtises : ces citations glanées sur internet, pour que tu ne sois pas venu pour rien dans cette page, ô lecteur aux mille patiences.

     

    « Un chef d'œuvre de la littérature n'est jamais qu'un dictionnaire en désordre » (Jean Cocteau)

    Aussi astucieux qu'Ulysse-personne (cf 2/12)

     

    « Écrire c'est aussi ne pas parler. C'est se taire. C'est hurler sans bruit » (Marguerite Duras)

    C'est beau. Mais c'est triste. Mais c'est beau. Duras, quoi.

     

    « Qu'est-ce qui pousse certains auteurs à se cacher derrière un pseudonyme ; est-ce qu'un écrivain, finalement, possède une existence réelle ? » (Paul Auster)

    Non sans doute. Précisément : il se fabrique un monde d'écriture où tout est tellement plus facile que dans la vraie vie, il se protège comme il peut de la rugueuse réalité. 

     

  • (9/12) Penser (pour rien)

    « Aujourd'hui j'arrête de penser. J'aurais dû y penser avant. Je ne comprends pas comment l'idée ne m'en est pas venue plus tôt. Ça m'aurait bien simplifié la vie. J'aurais dû me laisser vivre, comme on dit si bien. Mais non, au lieu de ça, j'ai pensé »,

    se reprochait-elle.

     

    « Car peut-on à la fois vivre et penser ? Non bien sûr ça tombe sous le sens. Pourquoi m'a-t-il fallu tout ce temps pour le comprendre ? Par quelle absurdité n'ai-je passé mon temps à vivre que réflexion faite, que tout bien pesé »,

    s'interrogeait-elle.

     

    « Penser, peser, le même mot. Je le savais pourtant, je l'ai su, très tôt, avant même d'avoir l'âge de raison. Penser ou être léger, tel est le choix. Oui mais on tombe sur une aporie, car choisir, vraiment choisir, ne peut se faire qu'en connaissance de cause »,

    argumentait-elle.

     

    « Quoique »,

    objectait-elle,

    « ce n'est pas exactement entre vivre et penser l'incompatibilité. N'est-elle pas plutôt entre percevoir et penser ? Sachant que penser met en jeu un stock de données engrangées, mobilise la mémoire, même pour une pensée minimale, il faut nécessairement du temps pour penser. Même très peu, un laps de temps très court, presque imperceptible, par exemple quand l'on pense en un éclair »,

    raisonnait-elle.

     

    « Chose qui m'arrive parfois »,

    constatait-elle.

    « Mais l'éclair n'éclaircit pas les idées, on dit même sa lumière aveuglante»,

    élucidait-elle.

    (« Tout s'explique »

    entreparenthésait-elle avec auto-ironie).

     

    « Alors que percevoir est par définition chose radicalement immédiate »

    reprenait-elle.

    « Être et percevoir sont ainsi nécessairement confondus »

    déduisait-elle.

    « Mais pas avec la même nécessité être et penser. Quoiqu'en pense Descartes »,

    philosophait-elle.

    « Quoique. Descartes ne confond pas être et penser, puisqu'il les médiatise avec ce fameux donc. Ah mais voilà qui risque de mettre à terre tout mon raisonnement anti-pensée »,

    concluait-elle.

     

    « Car la question est »

    (ah donc ne concluait pas encore, au temps pour moi)

    « la question est : avec son donc Descartes constate-t-il juste que penser est en quelque sorte une preuve de vie (comme on photographie un otage avec le journal du jour), que vivre et penser sont concomitants sans qu'il faille y chercher une relation de cause à effet ? Ou bien affirme-t-il que pour être il faut penser ? Dans les deux cas, il est clair qu'il faut que je reprenne toute ma réflexion. Bref c'est pas aujourd'hui que je vais pouvoir arrêter de penser »,

    concluait-elle. (Oui ? Ça y est cette fois?)

    « D'ailleurs ça tombe bien, j'ai rien d'autre à faire. Et puis ... »

    (Ah non, stop !)