« La plupart de nos vacations sont farcesques.(1) Il faut jouer duement notre rôle, mais comme rôle d'un personnage emprunté. Du masque et de l'apparence il n'en faut pas faire une essence réelle, ni de l'étranger le propre. Nous ne savons pas distinguer la peau de la chemise. C'est assez de s'enfariner(2) le visage, sans s'enfariner la poitrine.
J'en vois qui se transforment et se transsubstantient(3) en autant de nouvelles figures et de nouveaux êtres qu'ils entreprennent de charges, et qui se prélatent jusques au foie et aux intestins, et entraînent leur office jusques en leur garde-robe(4).
Je ne puis leur apprendre à distinguer les bonnetades(5) qui les regardent de celle qui regardent leur commission(6) ou leur suite, ou leur mule. »
(Montaigne Essais livre III chapitre 10 De ménager sa volonté)
(1)Sont du théâtre. Mais le mot farce connote bien sûr un théâtre comique plus que tragique, et d'un comique pas des plus subtils.
(2)Se grimer. La poitrine = le cœur.
(3)Changent de substance : allusion à la transsubstantiation du corps et du sang du Christ en pain et vin. Une ironie dont l'audace a dû plaire à ses amis réformés ….
(4)Lieux d'aisance
(5)Coups de bonnet = saluts déférents.
(6)Une chose qu'on vous a commise, c'est à dire confiée à faire. Par exemple assumer une charge, une fonction.
On sent le vécu, l'observation narquoise de ses collègues juges, et plus largement de tous les gens croisés dans les différentes vacations (= emplois) qu'il a occupées.
J'adore le ou leur mule qui clôt la phrase. C'est le cas de parler de « coup de pied de l'âne » ….