« Je trouve que nous ne sommes pas seulement lâches à nous défendre de la piperie, mais que nous cherchons et convions à nous y enferrer. Nous aimons à nous embrouiller en la vanité, comme conforme à notre être. (…)
L'erreur particulière fait premièrement l'erreur publique, et, à son tour, après, l'erreur publique fait l'erreur particulière. (…)
Moi-même, qui fais singulière conscience(1) de mentir et qui ne me soucie guère de donner créance et autorité à ce que je dis, m'aperçois toutefois, aux propos que j'ai en main, qu'étant échauffé ou par la résistance d'un autre, ou par la chaleur de la narration, je grossis et enfle mon sujet. (…) La parole vive et bruyante, comme est la mienne ordinaire, s'emporte volontiers à l'hyperbole. »
(Montaigne Essais livre III chapitre 11 Des boiteux)
(1)Faire conscience de : avoir scrupule à.
Nous aimons à nous embrouiller en la vanité. Cette pente aux débats futiles, aux réflexions sans plus d'effets que d'objets réels, même si elle est prégnante dans le fonctionnement actuel de nos communications, elle n'est pas nouvelle, la preuve.
Sur cette vanité (cf les citations que j'ai relevées dans son chapitre de ce titre) Montaigne ne porte pas le regard d'un moraliste sévère. C'est juste que la vanité est conforme à notre être. Il est souvent plus facile, plus à notre portée, de trouver lieu d'être dans les choses vaines que dans celles de conséquence.
Là où ça coince pour lui, c'est que la vanité confine forcément à l'erreur (ben oui quand on pense que c'est pas important on se fatigue pas vraiment à vérifier ni à raisonner). Et le dommage collatéral, c'est que s'il est des erreurs sans importance réelle, il en est beaucoup de ravageuses dans leurs effets, délétères pour l'individu, comme pour le corps social.
Allez, on termine sur une note plus légère : la dernière phrase ne signe-t-elle pas joliment le tempérament bien gascon de Montaigne ? (Quelque chose dans le climat du côté de Bergerac va savoir ...)