Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 4

  • Une étoile qui danse

    « n°109 : Gardons-nous !

    (…) Gardons-nous de présupposer absolument et partout quelque chose d'aussi bien conformé que le mouvement cyclique des étoiles les plus proches de nous ; un simple coup d'œil sur la Voie lactée suscite le doute et nous fait nous demander s'il n'existe pas là des mouvements bien plus grossiers et contradictoires, et de même des étoiles suivant d'éternelles trajectoires de chute rectilignes et d'autres choses du même ordre.

    L'ordre astral dans lequel nous vivons est une exception ; cet ordre, et la durée considérable dont il est la condition, a à son tour rendu possible l'exception des exceptions : la formation de l'organique.

    Le caractère général du monde est au contraire de toute éternité chaos, non pas au sens de l'absence de nécessité, mais au contraire au sens de l'absence d'ordre, d'articulation, de forme, de beauté, de sagesse et de tous nos anthropomorphismes esthétiques quelque nom qu'on leur donne. (…)

    Gardons-nous de lui attribuer insensibilité et déraison ou leurs contraires : il n'est ni parfait ni beau ni noble, et ne veut rien devenir de tout cela, il ne cherche absolument pas à imiter l'homme ! Il n'est nullement concerné par aucun de nos jugements esthétiques et moraux ! Il ne possède pas non plus de pulsion d'auto-conservation, et pas de pulsions tout court ; il ne connaît pas non plus de lois.

    Gardons-nous de dire qu'il y a des lois dans la nature. Il n'y a que des nécessités : nul n'y commande, nul n'y obéit, nul ne transgresse. Si vous savez qu'il n'y a pas de buts, vous savez aussi qu'il n'y a pas de hasard : car c'est seulement aux côtés d'un monde de buts que le terme de « hasard » a un sens. »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Troisième livre)

     

    Dans ce passage Nietzsche associe à la notion de loi celle de justice, de sens moral du bon et du mauvais. C'est pourquoi il la récuse au sujet de la nature.

    Il rejoint la conception spinoziste de nécessité, en la poussant dans son ultime logique, en y débusquant peut être un anthropomorphisme caché.

    Le conatus spinoziste (l'effort, l'essai sans cesse repris de se maintenir dans l'être) n'est pas à comprendre comme le but d'auto-conservation d'une entité plus ou moins consciente d'elle-même.

    Au Deus sive natura (Dieu ou bien la nature, sous entendu peu importe le nom) de Spinoza, Nietzsche répond natura sine deo : la nature sans dieu.

    Fût-ce de façon minimale : genre un coup de pouce initial, un heureux hasard trop heureux pour être complètement hasard. Ou de façon subliminale, genre du divin infusé dans le monde et dans l'homme.

    Cependant avec Nietzsche, le règne de la nécessité, tout comme avec Spinoza là encore, n'est pas nécessairement désespérant, ni démobilisant. Le mot de chaos à cet égard ne doit pas effrayer, Nietzsche l'associe à la vie-même, sa potentialité de force, de joie.

    « Je vous le dis : encore faut-il porter du chaos en soi pour pouvoir donner naissance à une étoile qui danse. »

    (Ainsi parlait Zarathoustra Prologue 5)

     

    Encourageant, non ?

     

  • Une ombre formidable

    « n°108 : Nouveaux combats.

    Après que Bouddha fut mort, on montra encore son ombre durant des siècles dans une caverne, – une ombre formidable et terrifiante. Dieu est mort : mais l'espèce humaine est ainsi faite qu'il y aura peut être encore durant des millénaires des cavernes au fond desquelles on montrera son ombre. – Et nous – il nous faut aussi vaincre son ombre ! »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Troisième livre)

     

    « Dieu est mort, et moi même je ne me sens pas très bien » ajoute Woody Allen.

    Nietzsche ne se sent pas bien non plus, mais ça ne le fait pas rire. Il est trop conscient de la force terrifiante de l'ombre, de l'obscurantisme qui construit un dieu à son image, un dieu à la face obscure.

    La caverne est bien sûr allusion à Platon : Nietzsche a su, comme Spinoza ou Montaigne avant lui, comme Freud après lui, qu'il y a une forme d'idéalisme qui peut n'être qu'un négatif de l'obscurantisme (et vice versa). Alors on ne sait voir le monde qu'en blanc et noir, ignorant toutes les nuances de couleurs qui font la vie.

    Ce sont deux dangers qui se répondent et s'alimentent mutuellement, deux ombres formidables sur la lumière de la vie.

     

  • Cette liberté qui se tient au dessus des choses

    " n°107 : Notre ultime reconnaissance envers l'art.

    (…) L'art, entendu comme la bonne disposition envers l'apparence.

    (…) Comme phénomène esthétique, l'existence demeure toujours supportable, et l'art nous offre l'œil, la main et surtout la bonne conscience qui nous donnent le pouvoir de faire de nous-mêmes un tel phénomène.

    Nous devons de temps en temps nous reposer de nous-mêmes en jetant d'en haut un regard sur nous-mêmes, et, avec un éloignement artistique en riant sur nous-mêmes ou en pleurant sur nous-mêmes ; nous devons découvrir le héros ou même le bouffon qui se cachent dans notre passion de connaissance, nous devons quelquefois nous réjouir de notre folie pour pouvoir continuer à éprouver de la joie à notre sagesse !

    Et c'est précisément parce que nous sommes en dernière instance des hommes lourds et sérieux, et plutôt des poids que des hommes, que rien ne nous fait tant de bien que le bonnet de bouffon : nous en avons besoin à l'égard de nous-mêmes – nous avons besoin de tout un art insolent, planant dans les airs, dansant, moqueur, enfantin et bienheureux pour ne pas perdre cette liberté qui se tient au dessus des choses que notre idéal exige de nous. "

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Second livre)