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  • Des livres si précieux et si royaux

    « n°102 : Un mot pour les philologues.

    Qu'il y ait des livres si précieux et si royaux que des lignées entières de savants sont bien employées si leur labeur permet de conserver à ces livres leur pureté et leur intelligibilité – c'est pour affermir constamment cette croyance que la philologie existe.

    Elle présuppose qu'il ne manque pas de ces hommes exceptionnels (même si on ne les voit pas) qui savent réellement utiliser des livres aussi précieux : – ce seront justement ceux qui font ou pourraient faire de tels livres.

    J'ai voulu dire que la philologie présuppose une croyance noble, – la croyance qu'il faut, au profit d'une poignée d'hommes qui toujours « sont à venir » et ne sont pas là, abattre au préalable une montagne de travail méticuleux et même malpropre : c'est tout entier du travail in usum Delphinorum. »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Second livre)

     

    In usum Delphinorum, mot à mot pour l'usage des Dauphins : c'est à dire au service de la postérité, des successeurs, sans que celui qui fournit le travail en profite lui-même.

    Nietzsche le philologue s'attela à accomplir ce travail méticuleux. Plus que tout autre, il le fit en assumant son éventuel côté malpropre.

    J'entends par là pour ma part l'idée, je le dis prosaïquement, qu'on ne fait pas d'omelettes sans casser d'œufs.

    Autrement dit on ne dévoile pas ce que parler veut dire sans découvrir parfois quelques mochetés tapies sous les mots (on voit comment le travail de Nietzsche a pu inspirer celui de Freud).

    La noblesse de la philologie est ainsi paradoxale. Une certaine malpropreté y est au service de la chose la plus noble : la recherche de la vérité.

     

    Notons aussi que ce passage vient compléter celui que je citais hier : nul doute que Nietzsche se range parmi ces hommes exceptionnels (même si on ne les voit pas) qui savent réellement utiliser des livres aussi précieux (et) font ou pourraient faire de tels livres.

    Et d'ailleurs ils les ont faits.

    Car ce sont bien les grands livres d'autres hommes exceptionnels (exemples au hasard Les Essais, l'Éthique) qui ont été in usum delphini pour lui Nietzsche : tout un savoir, toute une une joie de penser, qui ont rendu possible la naissance du Gai Savoir.

     

  • En travers de la gorge

    « n°100 : Apprendre à rendre hommage.

    Les hommes doivent apprendre aussi à rendre hommage, tout comme ils apprennent à mépriser. Tout homme qui emprunte des chemins nouveaux et en a conduit de nombreux autres sur des chemins (constate) avec étonnement à quel point ces nombreux hommes sont maladroits et pauvres dans l'expression de leur reconnaissance, voire avec quelle rareté cette reconnaissance parvient simplement à s'exprimer. On a l'impression que quelque chose lui reste en travers de la gorge de sorte qu'elle ne fait que se la racler et en se la raclant finit par se taire de nouveau. (…)

    Il est parfois besoin de générations entières pour découvrir une simple convention de remerciement courtoise : et c'est seulement très tard que vient le moment où une espèce d'esprit et de génialité a pénétré jusque dans la reconnaissance : alors, il se trouve aussi d'ordinaire un homme qui est le grand bénéficiaire de remerciement non seulement pour ce qu'il a fait lui-même de bien, mais la plupart du temps pour ce que ses prédécesseurs ont amassé progressivement jusqu'à en faire un trésor de choses les plus hautes et les meilleures. »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Second livre)

     

    On se demande à qui il peut bien penser, avec ces hommes qui méritent reconnaissance et ne l'obtiennent pas …

     

  • Par expérience

    « n°98 : À la gloire de Shakespeare.

    La plus belle chose que je sache dire à la gloire de Shakespeare, la voici : il a cru en Brutus, et il n'a pas jeté le moindre grain de méfiance sur cette sorte de vertu ! C'est à lui qu'il a consacré sa meilleure tragédie – on continue aujourd'hui de la désigner sous un faux nom –, à lui et au plus terrible contenu de la haute morale. L'indépendance de l'âme ! – voilà de quoi il s'agit ici ! (…)

    Et était-ce vraiment la liberté politique qui poussa le poète à partager le sentiment de Brutus, – qui en fit le complice de Brutus ? Ou bien la liberté politique n'était-elle qu'une symbolique pour quelque chose d'inexprimable ? Peut être nous trouvons-nous face à un événement et une aventure obscurs, demeurés inconnus, qu'éprouva l'âme du poète, et dont il ne put parler que par signes ?

    Qu'est-ce que toute la mélancolie de Hamlet à côté de la mélancolie de Brutus ! – et peut être Shakespeare connaît-il aussi celle-ci, comme il connaissait la première, par expérience ! »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Second livre)

     

    L'indépendance de l'âme voilà de quoi il s'agit ici : William, Friedrich, même combat ?