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  • Cruciverbiste (1) Mots de passe

    Faire des mots croisés est l'une de mes activités favorites.

    Activité ? N'est-ce pas là plutôt occupation ringarde de mémère oisive ? Pas du tout. Activité, je maintiens.

    Il y a déjà le côté sportif. S'attaquer à une nouvelle grille c'est comme se placer au pied d'une paroi, d'un mur d'escalade : il va falloir déterminer un parcours, ajuster ses prises. Il y a aussi quelque chose du marathon. Selon la taille et la difficulté des grilles, il faut tenir la distance.

    Et pour ma part j'ai une prédilection pour les grandes muettes. Mais non je ne parle pas d'armées, mais de ces grilles où l'on doit soi-même placer les cases noires pour séparer les mots.

    C'est aussi un voyage, une randonnée, une exploration. Comme compulser un atlas, parcourir des yeux une mappemonde. Comme se balader dans les pages du dictionnaire, un mot renvoyant à l'autre dans un jeu de piste, un logorallye.

    Activité oui : en cruciverbant, on fait vraiment quelque chose, au sens où l'on aboutit à un résultat tangible, visible. Le vide des cases se comble, des mots se trouvent écrits.

    Tiens tout à coup je réalise que je remplis ma grille comme enfant je faisais mes devoirs. Un pensum alors ? Mais non : faire les devoirs j'aimais vraiment ça.

    Je passais d'un cahier et d'un livre à l'autre, avec un plaisir semblable à celui que j'éprouvais en découvrant mon jeu quand je commençais une partie de cartes. Chaque fois c'était à la fois du connu et de l'inconnu, des combinaisons se retrouvaient, d'autres étaient inédites. Il y avait des itinéraires balisés (tel exercice de math sur le modèle exact de celui qu'on avait fait en classe), d'autres à frayer.

    Et quand j'avais fini, je refermais livres et cahiers avec le sentiment réconfortant d'avoir gagné quelque chose, d'en savoir plus. Et même, je crois, d'en être plus.

    Quant à la ringardise supposée, pas du tout. La preuve mon petit-fils (neuf ans) m'a dit récemment : tu sais Mamie moi aussi j'aime les mots croisés. Nous avons illico fait un tour au kiosque à journaux pour trouver un livret adapté à son niveau. (Parce que bon devant mes grilles muettes il est quand même resté un peu perplexe).

    Cet intérêt lui vient-il de moi ? Je n'en serais pas peu fière, mais tant d'influences et de hasards concourent à former les goûts d'un enfant.

    En tous cas, je le revois, tout petit encore, attraper ma revue de mots croisés, tourner les pages dans l'effort visible de comprendre ce qui pouvait tellement m'y arrêter. Parfois, ayant saisi le crayon qui traînait à côté, il avait annoté d'un discret gribouillis. Et j'étais toute heureuse de le trouver en rouvrant la revue après son départ, comme un salut de sa petite main.

    Pour moi je sais d'où me vient l'addiction. D'aussi loin que je me souvienne, je revois mon père faire lui aussi des mots croisés. Sans doute s'est-il attaqué à ses premières grilles pour tromper l'ennui des longues traversées (il était dans la marine). En alternance avec les parties de cartes, les réussites, les puzzles. Jeux de cartes, puzzles : au nombre, là encore, de mes intérêts et de ceux de mon petit-fils. On fait les transmissions qu'on peut.

    Bref tout ça pour dire que je vais proposer au lecteur chaque fois une définition, dont je livrerai dans la note suivante la solution (assortie de commentaires et billevesées).

    Commençons (si l'on peut dire) (eh eh gros indice) avec celle-ci : a des divisions avec des restes (12 lettres).

     

  • Marguerite et Adrien (7/7) Pour un temps

     

    « Lieux où l'on a choisi de vivre, résidences invisibles qu'on s'est construites à l'écart du temps. J'ai habité Tibur, j'y mourrai peut être, comme Hadrien dans l'île d'Achille.

                                                                    *

    Non. Une fois de plus, j'ai revisité la Villa, et ses pavillons faits pour l'intimité et le repos, et ses vestiges d'un luxe sans faste, aussi peu impérial que possible, de riche amateur qui s'efforce d'unir les délices de l'art aux douceurs champêtres ; j'ai cherché au Panthéon la place exacte où se posa une tache de soleil un matin du 21 avril ; j'ai refait, le long des corridors du Mausolée, la route funèbre si souvent suivie par Chabrias, Celer et Diotime, amis des derniers jours.

    Mais j'ai cessé de sentir de ces êtres, l'immédiate présence, de ces faits, l'actualité : ils restent proches de moi, mais révolus, ni plus ni moins que des souvenirs de ma propre vie.

    Notre commerce avec autrui n'a qu'un temps ; il cesse une fois la satisfaction obtenue, la leçon sue, le service rendu, l'œuvre accomplie.

    Ce que j'étais capable de dire a été dit ; ce que je pouvais apprendre a été appris.

    Occupons-nous pour un temps d'autres travaux. »

     

    (Marguerite Yourcenar. Carnets de notes de 'Mémoires d'Hadrien')

     

  • Marguerite et Adrien (6/7) Le graphique d'une vie humaine

     

    « En un sens, toute vie racontée est exemplaire ; on écrit pour attaquer ou pour défendre un système du monde, pour définir une méthode qui nous est propre.

    Il n'en est pas moins vrai que c'est par l'idéalisation ou par l'éreintement à tout prix, par le détail lourdement exagéré ou prudemment omis, que se disqualifie presque tout biographe : l'homme construit remplace l'homme compris.

    Ne jamais perdre de vue le graphique d'une vie humaine, qui ne se compose pas, quoi qu'on dise, d'une horizontale et de deux perpendiculaires, mais bien plutôt de trois lignes sinueuses, étirées à l'infini, sans cesse rapprochées et divergeant sans cesse : ce qu'un homme a cru être, ce qu'il a voulu être, et ce qu'il fut. »

     

    (Marguerite Yourcenar. Carnets de notes de 'Mémoires d'Hadrien')