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Blog - Page 113

  • Ajouteurs de mensonge

    « n°29 : Les ajouteurs de mensonge.

    Lorsque l'on commença, en France, à combattre, et par conséquent aussi à défendre les unités d'Aristote, on put voir une fois de plus ce que l'on peut voir si souvent, mais que l'on n'apprécie pas de voir : – on inventa des raisons mensongères pour justifier l'existence de ces lois, simplement pour ne pas s'avouer que l'on s'était habitué à la domination de ces lois, et que l'on ne voulait pas voir cette situation changer.

    Et c'est là ce qui se produit au sein de toute morale et de toute religion dominantes et ce qui s'est toujours produit : les raisons et les intentions qui soutiennent l'habitude lui sont ajoutées par mensonge lorsque certains commencent à contester l'habitude et à demander des raisons et des intentions. C'est en cela que réside la grande malhonnêteté des conservateurs de toutes les époques : – ils sont les grands ajouteurs de mensonges. »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Premier livre)

     

    Ce passage rejoint celui sur La conscience morale en matière intellectuelle (cf Je ne veux pas y croire note du 22 mars).

    Impossible dissociation de la probité éthique et de la probité intellectuelle, qui met en position clé la notion de vérité et par là son antagonique, son meurtrier, le mensonge.

    Cela nous parle tout autant qu'à l'époque de Friedrich. Il nous est facile d'observer, dans le débat public plus ou moins cadré, comme dans le chaos sans foi ni loi des résasociaux, comment les deux groupes de mensonges s'ajoutent l'un à l'autre, se combinent, entrent en résonance. On (se) raconte des histoires sur le monde et sur soi-même.

    Mensonge intellectuel reposant sur la propagande, les fake news, les bulles de filtre etc.

    Mensonge éthique, existentiel, d'un fonctionnement narcissique en faux self, bien caractérisé par cette expression des cours de récré de mon enfance : untel/unetelle, il/ elle s'en croit.

    C'est bien ce mensonge existentiel qui est la source du conservatisme comme Nietzsche le formule ici, l'impossibilité comme on dit si bien de se remettre en question. On tire le verrou du mensonge sur son confortable immobilisme.

    Et il s'agit le plus souvent de la forme de mensonge qui permet de garder une relative bonne conscience, et que l'on nomme fort justement mensonge par omission : passer sous silence l'élément qui (nous) gênerait ...

     

  • Cruel et impitoyable

    « n°26 : Que veut dire vivre ?

    Vivre – cela veut dire : repousser continuellement loin de soi quelque chose qui veut mourir ; vivre – cela veut dire: être cruel et impitoyable envers tout ce qui chez nous faiblit et vieillit, et pas uniquement chez nous. Vivre – cela veut donc dire être sans pitié envers les mourants, les misérables et les vieillards ? Être constamment un assassin ? – Et le vieux Moïse a pourtant dit : ''Tu ne tueras point !'' »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Premier livre)

     

    On a ici un prolongement ce que je notai à propos du n°12, sur la bipolarité de Friedrich, et son rapport fondamental à la culpabilité. (cf Comme prix à payer)

    Le rejet sans pitié de tout ce qui chez nous faiblit et vieillit peut se lire ici comme la défense maniaque qu'il oppose à la tendance dépressive devant la faiblesse, l'angoisse, la mort.

    La dernière phrase à cet égard rend compte d'un déchirement. Pas celui qu'il exhibe à certains endroits de son œuvre entre morale/religion et Wille zur Macht, cette volonté non tant de puissance que d'action, cette volonté d'être une force qui va (tel l'Hernani du jeune Hugo).

    Il s'agit plutôt de la tension existentielle du mélancolique entre les deux places de victime et de bourreau.

    Freud l'explique dans Deuil et mélancolie. La mélancolie est, dit-il, un deuil qui ne passe pas. On a perdu un objet d'amour : parce qu'il est mort, est parti, a cessé de vous aimer etc. La perte est parfois celle d'un idéal abstrait, d'une conviction tout à coup démentie, et sur laquelle, pas de chance, on avait construit sa vision du monde.

    Devant l'impossibilité de faire le deuil, on trouve la solution croit-on : annuler la perte en s'incorporant fantasmatiquement l'objet perdu.

    Fatale erreur, dit Freud, mauvais calcul, ce compromis névrotique. Car chaque fois qu'on va agresser l'objet pour se venger de son abandon (dans une sorte de réflexe de légitime défense), on s'agressera par la même occasion, puisque l'objet fait désormais partie de soi.

    Voilà qui explique, poursuit-il, le caractère si déroutant, vu de l'extérieur, de la maladie mélancolique. Cet état paradoxal qui fait osciller entre surestimation et dévalorisation de soi, entre reproches envers le méchant objet, et auto-reproches envers sa propre insuffisance.

    Mais tout n'est pas noir dans la mélancolie : au bout d'un moment, se réjouit Freud, toute cette fureur finit par s'apaiser. Ce qui explique une apparente absurdité : que des gens mélancoliques grand teint, ayant vécu dans l'amertume et la tristesse une grande part de leur vie, puissent vieillir, contre toute attente, dans une certaine sérénité.

     

  • On ne parlera pas du temps

    « n°22 : L'ordre du jour pour le roi.

    C'est le début de la journée : commençons à organiser pour ce jour les affaires et les cérémonies de notre très gracieux Seigneur qui daigne encore se reposer. Sa Majesté a aujourd'hui mauvais temps : nous nous garderons de le qualifier de mauvais ; on ne parlera pas du temps, – mais nous traiterons aujourd'hui les affaires avec un peu plus de solennité et les cérémonies avec un peu plus de pompe qu'il ne serait besoin sans cela.

    Peut être même sa Majesté sera-t-elle malade ; nous lui présenterons pour son petit déjeuner la dernière bonne nouvelle de la soirée, l'arrivée de monsieur de Montaigne, qui sait si agréablement plaisanter de sa maladie, – il souffre de calculs. (…)

    J'ai l'habitude de commencer la journée en l'organisant et en la rendant supportable pour moi, et il est bien possible qu'assez souvent je l'aie fait de manière trop pompeuse et trop princière. »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Premier livre)

     

    J'aime beaucoup ce passage qui permet d'apprécier le sens de l'autodérision de Friedrich, la brillante ironie mise à narguer son narcissisme. Et surtout sa manière aussi pudique qu'émouvante de ruser avec sa souffrance.

    Monsieur de Montaigne n'arrive pas ici par hasard.