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Blog - Page 121

  • De la simplicité sur le chaos du monde

    « La science ne pourra jamais vraiment s'attaquer à l'irrationnel. C'est pourquoi elle n'a aucun avenir en ce monde. »

    (Oscar Wilde Un mari idéal)

     

    « En nous faisant connaître les opinions des gens sans instruction, le journalisme moderne nous permet de garder le contact avec l'ignorance de la communauté. »

    (Oscar Wilde Le critique en tant qu'artiste)

     

    William Audureau est un journaliste moderne. Fort de son travail d'enquête et de son expérience personnelle (il explique être passé lui-même par cette case) il a livré un état des lieux de la galaxie conspirationniste, assorti d'un mode d'emploi du dialogue avec les adeptes de toutes ces théories dans le livre Dans la tête des complotistes (Allary éditions 2021).

    « Cette réalité (du complotisme) fait désormais partie de nos vies : qu'on le veuille ou non, il nous faut apprendre à cohabiter avec elle. Mais il nous manque encore un mode d'emploi. Au niveau collectif, les pouvoirs publics comme les médias n'ont toujours pas trouvé moyen de freiner le développement de ce phénomène.

    Au niveau individuel, nous sommes nombreux à avoir éprouvé la difficulté à maintenir le fil du dialogue avec des personnes tenant des propos conspirationnistes. (…) Pour combattre ce phénomène, il faut commencer par le comprendre. » (Introduction)

    Cependant la lucidité, dans ce livre, n'empêche pas la bienveillance. Pour Audureau, le défaut d'instruction pointé par Wilde, s'il existe, n'est pas déterminant. Ce qui l'est davantage, c'est un défaut de construction personnelle et sociale.

    Un défaut qui incite à se bricoler des opinions réparatrices. À même de réparer les incertitudes cognitives (que la science moderne multiplie par le fait même de la rigueur de son travail) et les incertitudes psycho-affectives dues à un environnement hyper concurrentiel, que ce soit dans la vie concrète ou dans le monde d'internet.

     

    « Quand les gens sont d'accord avec moi, j'ai toujours le sentiment que je dois être dans l'erreur. »

    (Oscar Wilde Le critique en tant qu'artiste)

     

    « Au niveau individuel, (le complotisme) naît de la rencontre entre un tempérament (souvent idéaliste, indépendant ou encore provocateur), un écosystème (qu'il s'agisse de ''bulles de filtre'' exposant à des contenus conspirationnistes sur Internet ou d'un environnement social sensible aux contre-récits), et un moment de vulnérabilité, qu'il soit personnel ou collectif. C'est la conjonction de tous ces facteurs qui peut pousser un individu à recourir à la pensée magique pour donner un sens à son quotidien.

    Le complotisme présente en effet de nombreux avantages. Il met de la simplicité sur le chaos du monde, offre le sentiment de posséder des clés pour comprendre ou, au moins, enquêter. Il permet de se sentir à la fois moins seul et plus fort. Surtout, il offre des outils narratifs capables de repousser indéfiniment la contradiction, voire, si le besoin s'en fait sentir, de révoquer le réel.

    Mais il a vite fait, aussi, de se transformer en une méfiance généralisée, potentiellement invivable, ou en crédulité aveugle, qui peut se révéler extrêmement dangereuse. »

    (William Audureau. Dans la tête des complotistes. Conclusion)

     

     

  • Ses livres aux ailes déployées

    « C'est une absolue perfection, et comme divine, de savoir jouir loyalement(1) de son être. Nous cherchons d'autres conditions, pour n'entendre l'usage des nôtres, et sortons hors de nous, pour ne savoir quel il y fait.

    Si, avons nous beau monter sur des échasses, car(2) sur des échasses encore faut-il marcher sur nos jambes. Et au plus élevé trône du monde, si ne sommes assis que sur notre cul.

    Les plus belles vies sont, à mon gré, celles qui se rangent au modèle commun et humain, avec ordre, mais sans miracle et sans extravagance. Or la vieillesse(3) a un peu besoin d'être traitée plus tendrement. Recommandons-la à ce Dieu(4), protecteur de santé et de sagesse, mais gaie et sociale :

    Frui paratis et valido mihi/ Latoe, dones, et, precor, integra/ Cum mente, nec turpem senectam/ Degere, nec cythara carentem

    (De jouir des biens que j'ai acquis, avec une santé robuste, voilà ce que je te demande de m'accorder, fils de Latone, et je t'en prie, que mes facultés restent entières ; fais que ma vieillesse ne soit pas honteuse et n'ait pas défaut de cithare. Citation d'Horace)

     

    (1)Loyalement : selon la loi qui les implique toutes, la loi de la « condition » humaine.

    (2)C'est ironique : super idée de monter sur des échasses, vu que ...

    (3)Mais la vieillesse quant à elle.

    (4)Il s'agit d'Apollon, qu'Horace nomme ici fils de Latone.

     

    Ainsi se terminent les Essais. Tels sont les derniers mots sur lesquels Montaigne nous a laissés, dans sa dernière relecture. Des mots qui ne sont pas les siens.

    Il a commencé son œuvre si personnelle en s'imprégnant des mots des autres, en annotant leurs textes. Il la termine en laissant son poète préféré Horace parler pour lui.

    Avec lui il invoque le dieu Apollon, comme il a invoqué les Muses, vingt ans auparavant, lors de la solennelle entrée dans la librairie (cf Vivre à propos).

    Avec lui il exprime ses dernières volontés : que sa mens reste integra, que reste entière la faculté d'appliquer sa conscience à son être ; que ses derniers jours ne soient pas carentem cythara, ne manquent pas de cithare. La cithare, cet instrument de la poésie lyrique, du chant d'amour. Un instrument qui chante la sagesse gaie et sociale, le bonheur du lien à l'autre humain.

    Au moment où Montaigne le cavalier est sur le départ pour son dernier voyage, se présente à lui Pégase, le cheval des poètes. Son Pégase aux ailes déployées dans les milliers de feuillets des Essais.

    Si bien que s'impose à moi l'évocation de cette phrase de La Recherche (on est après la mort de l'écrivain Bergotte, un des doubles que s'est donné Proust dans son œuvre) :

    « On l'enterra, mais toute la nuit funèbre, aux vitrines éclairées, ses livres, disposés trois par trois, veillaient comme des anges aux ailes déployées, et semblaient, pour celui qui n'était plus, le symbole de sa résurrection. » (Marcel Proust La Prisonnière)

  • De bon coeur

    « J'accepte de bon cœur, et reconnaissant, ce que Nature a fait pour moi, et m'en agrée et m'en loue. On fait tort à ce grand et tout puissant donneur de refuser son don, l'annuler et le défigurer. Tout bon, il a fait tout bon. »

    (Montaigne Essais livre III chapitre 13 De l'expérience)

     

    Cette phrase fait explicitement écho au refrain qui scande le célèbre poème de la création au premier chapitre de la Genèse : Et Dieu vit que cela était bon.

    Le poème biblique culmine sur la création de l'homme à l'image de Dieu : Dieu fait l'homme à son image, homme et femme il le fait. Mais ici, dans cette bible humaniste que sont les Essais, Dieu est remplacé par nature, l'homme est célébré dans sa nécessaire et suffisante humanité :

    « Ils veulent se mettre hors d'eux et échapper à l'homme. C'est folie ; au lieu de se transformer en anges, ils se transforment en bêtes.* »

    Ce ils n'est pas précisé par le contexte. Il englobe, sans nul doute, autant certains promoteurs d'une philosophie désincarnée que certains religieux dans leur horreur suspecte de la chair. Et puis il vise les enragés des guerres de religion.

    « Entre nous, ce sont choses que j'ai toujours vues de singulier accord : les opinions supercélestes et les mœurs souterraines. »

    Déserter, que ce soit par le haut ou par le bas, la place du bon vieux père Adam (l'être de terre), l'expérience nous a appris, en effet, que les deux mènent à des comportements d'inhumanité.

     

    *Blaise Pascal, qui l'a beaucoup lu, reprendra on le sait la formule à sa sauce : L'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête.