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Blog - Page 119

  • Entre rochers et ronces

    « n°9 : Mes roses

     

    Oui ! Mon bonheur – veut donner le bonheur –,

    Tout bonheur veut certes donner le bonheur !

    Voulez-vous cueillir mes roses ?

     

    Il faut vous baisser et vous cacher

    Entre rochers et ronces,

    Et souvent vous lécher les doigts !

     

    Car mon bonheur – aime taquiner !

    Car mon bonheur – aime la malice ! – 

    Voulez-vous cueillir mes roses ? »

     

    (Friedrich Nietzsche. Le Gai Savoir. Prélude en rimes allemandes)

     

    Nietzsche, il écrit magnifiquement, mais il a une sorte de tic qui consiste à mettre des tirets par ci par là, je me demande un peu pourquoi.

    Ces tirets ne sont pas l'équivalent de parenthèses, comme c'est en général le cas (moi je préfère les parenthèses) (vous aviez remarqué je parie) (et même ça m'amuse de les accumuler) (comme une cascade de parce que) (ou de quoique).

    Ces tirets ne sont pas non plus ou rarement, la marque d'un dialogue (ou d'esquisse de dialogue).

    En fait ils m'évoquent le mot-césure (kireji) d'usage dans les haïkus. Suspension, pause, il est là pour donner le temps de s'imprégner d'un affect, de contempler une image.

    Il est difficile à rendre en français. On tente en général les interjections, onomatopées, ponctuations (points d'exclamation, de suspension, et tirets, donc).

    Exemples (ils sont de moi) (soyez indulgents, lecteurs)

    Chant du rossignol

    Dans la nuit comme une eau claire –

    Boire à la fontaine

     

    Dos rond des collines

    Vieille échine de la terre –

    Et le temps berger

     

    Le « oui ! » initial de ce n°9 (on dirait qu'on parle d'un parfum) (avec les roses c'est logique en fait) est du même ordre, c'est une autre forme de kireji créant d'emblée un climat vie en rose.

    Et donc non dépourvue d'épines, entre rochers et ronces.

     

  • Dialogue

    « n°4 : Dialogue

    A : Fus-je malade ? Suis-je guéri ?

    Et qui fut mon médecin ?

    Comme j'ai oublié cela !

    B : Maintenant seulement je te crois guéri :

    Car est guéri celui qui a oublié. »

     

    (Friedrich Nietzsche. Le Gai Savoir. Prélude en rimes allemandes)

     

    Si vous permettez, Friedrich, je m'immisce dans le dialogue. Un dialogue un peu trop elliptique à mon gré. Oui d'accord j'entends : il s'agit ici de poésie, de rimes et de chanson. Et de ce point de vue-là c'est réussi.

    Mais quand même Est guéri celui qui a oublié, vraiment ? Perso je tique. Je trouve que ça se discute. Au plan physique, mettons.

    Mais au plan psychique ? Papa Freud (qui vous a beaucoup lu d'ailleurs) vous répondrait que sur ce plan-là, l'oubli est, bien au contraire, un facteur pathogène. Le mal effacé de la conscience reste inscrit en mode inconscient. Et il fait retour sous forme de nouveaux symptômes.

    Parfois il sont un moindre mal, je l'admets. Mais pas toujours. Il n'est pas rare que les symptômes de retour du refoulé soient encore plus invalidants, douloureux, que ce qui a été refoulé.

    Mais bon j'ergote alors qu'il ne s'agit que de savourer l'élan, la joie étonnée et légère de votre exclamation Comme j'ai oublié cela !

    Un élan vers l'oubli qui consonne avec votre phrase la plus fameuse peut-être ce qui ne me détruit pas me rend plus fort (Le Crépuscule des idoles).

    Ce qui permet de suggérer une réponse à la question Et qui fut mon médecin ?

    Vous-même, Monsieur Nietzsche ?

     

  • Mon bonheur

    Il faut que je le confesse, ce que j'écris ces jours-ci n'est pas ce que je voudrais écrire. Je voudrais écrire des choses douces, légères, joyeuses et même si possible drôles.

    Parce que de tout cela, douceur, légèreté, joie et rire (même fou pourquoi pas), j'ai besoin.

    Et je gage que pour le lecteur, la lectrice, il en va de même.

    Mais voilà, je n'y arrive pas. De fait les temps ne sont ni à la douceur ni à la légèreté. Ou disons sans généraliser que moi, je me sens plus atteinte par la dureté du monde que par sa douceur.

    Alors, me suis-je dit, faute de légèreté, au moins me réfugier dans la force consolante de l'intelligence et de la lucidité. Ce que j'ai fait pendant quelques semaines avec Montaigne, je vais le continuer avec Nietzsche, me plonger dans Le Gai Savoir.

    Et je m'arrête, tout de suite, au début, à ces quatre petits vers qui viennent me donner le mode d'emploi de ma lassitude et de mon effroi devant les tempêtes du monde.

     

    « Depuis que je me suis fatigué de chercher,

    J'ai appris à trouver.

    Depuis qu'un vent m'a tenu tête,

    Je fais voile avec tous les vents. »

     

    (Friedrich Nietzsche. Le Gai Savoir. Prélude en rimes allemandes : n°2 Mon bonheur)