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Blog - Page 23

  • Sur le rêve (22) Comme le veilleur de nuit

    « Si nous concevons le contenu du rêve comme la figuration d'un désir satisfait et ramenons son obscurité aux modifications pratiquées par la censure sur du matériau refoulé, nous n'avons plus de mal désormais à percer le secret de la fonction du rêve.

    En contradiction étonnante avec les locutions selon lesquelles le sommeil est perturbé par des rêves, nous sommes bien obligés de reconnaître le rêve comme le gardien du sommeil. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 11)

     

    Le cas du rêve enfantin est le plus simple, poursuit-il. Pour endormir un enfant, on lui lit des histoires quand il est dans un état de semi-conscience où, déjà gagné par le sommeil, il ne fait plus trop la différence entre la réalité et l'imaginaire. Le mécanisme de figuration du désir en est évidemment facilité.

    Pour l'adulte, c'est moins simple.

    « Cependant que l'instance dans laquelle nous identifions notre moi normal se règle sur le désir de dormir, elle semble contrainte par les conditions psychophysiologiques du sommeil à baisser le niveau d'énergie avec lequel d'ordinaire elle contenait le refoulé sous sa pression. »

    C'est bon, je suis empêché par le sommeil d'agir ce que je rêve, je peux me laisser aller, se dit le « moi normal ». Il laisse donc passer les désirs refoulés.

    Mais le moi, on l'a vu (cf 18) est surtout en charge de gérer la réalité : quelque chose en nous ne dort jamais que d'un œil, reste sur le qui-vive.

    « Nous devons admettre l'hypothèse que même dans un profond sommeil demeure offerte la contribution d'une libre attention faisant fonction de gardien (qui peut être confronté à) des stimuli sensoriels qui par exemple font apparaître le réveil comme plus souhaitable que la situation de sommeil. »

    Ces stimuli doivent être d'une certaine qualité, exemples : « la mère (réveillée) par les geignements de son enfant, le meunier par le fait que son moulin s'est arrêté (ou va trop vite, dirait la chanson), et la plupart des êtres humains à l'appel à voix basse de leur nom. »

    « Or cette attention qui monte la garde se tourne également vers les stimuli de désirs intérieurs issus du refoulé et élabore avec eux le rêve, qui en sa qualité de compromis contente ainsi simultanément les deux instances », celle qui veut dormir et celle qui veut rêver la satisfaction de son désir.

    « Notre moi aime en la circonstance se comporter comme un enfant ». Ou comme Éluard : Je rêve que je dors je rêve que je rêve ...

    « Cette conception n'est pas infirmée par le fait qu'il existe des cas limites pour le rêve, dans lesquels il ne peut plus tenir sa fonction de protection contre l'interruption du sommeil – comme dans le cas du rêve d'angoisse – (cf 20) et l'échange avec une autre fonction, qui est de l'arrêter à temps.

    En l'espèce il ne fait que se comporter comme le veilleur de nuit consciencieux, qui fait d'abord son devoir en faisant taire les perturbations, afin de ne pas troubler les citoyens, mais continue de l'accomplir en réveillant ces mêmes citoyens quand les causes du trouble lui semblent sérieuses et qu'il n'en vient pas à bout lui-même par ses seuls moyens. »

    Moyens qui consistent, on le sait, à intégrer au rêve les stimuli gênants (et même à le fabriquer en un éclair à partir d'eux) (la sonnerie du réveil ? Mais non, je suis au concert) « pour prolonger encore le sommeil d'un petit moment ».

     

  • Sur le rêve (21) A la frontière une censure

    « Les philosophes n'ont pas eu, jusqu'à présent, l'occasion de s'occuper d'une psychologie du refoulement. Il ne nous est donc pas interdit, en première approche de cet ordre de choses encore inconnues, d'esquisser une représentation visualisable du déroulement de la formation du rêve. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 10)

     

    Freud n'est pas ici tout à fait juste envers l'état des théorisations philosophiques. On peut nuancer sa (naïve?) vantardise « avant moi personne n'a compris grand chose à cette histoire ». Objection, Sigmund : qu'est-ce que tu fais du Nietzsche de la Généalogie de la morale, du Schopenhauer du Monde comme volonté et représentation ?

    Une note dans mon édition* dit qu'il prétend ne pas les avoir lus. Pour Nietzsche je ne sais plus trop j'avoue, cependant il me semble bien me souvenir que Freud mentionne parfois Schopenhauer (mais qui suis-je pour contredire ces spécialistes ?) (d'autant plus que j'ai la flemme de retrouver les passages).

    Bref tout cela pour souligner une fois encore la haute opinion que Freud a de son travail, et combien il est important pour lui de revendiquer son côté pionnier, éclaireur (qui est quand même en grande partie une réalité).

     

    « Nous posons par hypothèse qu'il y a dans notre appareil psychique deux instances productrices de pensées, la seconde détenant le privilège que ses productions trouvent librement accès à la conscience, tandis que l'activité de la première instance est en soi inconsciente et ne peut parvenir à la conscience qu'en passant par la deuxième.

    Qu'à la frontière entre les deux instances, au passage de la première à la deuxième, se trouve une censure qui ne laisse passer que ce qui lui agrée, mais retient le reste.

    Dès lors, ce qui est repoussé par la censure, selon notre définition, se trouve en état de refoulement. »

    Freud précise dans la Traumdeutung que juste derrière cette barrière, aux avant-postes de la frontière vers la conscience, il y le préconscient. Des pensées sur lesquelles la censure s'exerce avec moins de sévérité, leur octroyant à certaines conditions un laisser-passer pour franchir le check-point. Pour les autres, plus réprimées, poursuit-il, le laisser-passer est tout de même relativement facile à obtenir de l'état de sommeil.

    « Mais comme la censure n'est jamais abolie, mais simplement abaissée, il lui faudra accepter certaines transformations qui adoucissent (les) aspects choquants (du refoulé). Ce qui dans ce genre de cas devient conscient est un compromis entre ce qui est visé par l'une des instances et ce qui est requis par l'autre. »

    Mais, même avec les adoucissements requis, le permis de séjour accordé au refoulé n'est que temporaire.

    « Quand l'état de sommeil est dépassé, la censure se réinstalle rapidement à son niveau et peut désormais anéantir de nouveau tout ce qui lui a été arraché pendant les temps où elle était faible.

    Le fait que l'oubli du rêve, du moins en partie, requière cette explication est attesté par d'innombrables expériences. Il n'est pas rare que pendant le récit d'un rêve ou pendant l'analyse de celui-ci, un fragment du contenu onirique qu'on croyait oublié refasse soudain surface. Cette pièce arrachée à l'oubli contient régulièrement le meilleur et le plus proche accès à la signification du rêve.

    C'est sans doute uniquement pour cette raison qu'il avait été victime de cette chute dans l'oubli, c'est à dire de la répression renouvelée. »

     

    *Points Essais 2011, traduction JP Lefebvre, présentation et notes Fabien Lamouche.

     

  • Sur le rêve (20) L'angoisse est ici l'ersatz

    « Les rêves se divisent en trois classes, en fonction de leur rapport à la satisfaction du désir. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 9)

     

    Je m'arrête un instant sur cette phrase, car elle me rappelle l'admiration de Freud pour le talent nosographique de son maître Charcot (cf ma série précédente Freud avec Charcot 1/5). Il marcha sur ses traces en fait de nosographie, et plus généralement il était féru de classement en tout genre. Effet tout à la fois d'un tempérament, d'un profil psychologique, et des modes scientifiques de son époque.

    « Il y a premièrement ceux qui figurent sans voile un désir non refoulé ; ce sont les rêves de type infantile, ils deviennent de plus en plus rares chez les adultes.

    Deuxièmement, les rêves qui expriment de manière voilée un désir refoulé ; ce sont sans doute l'immense majorité de tous nos rêves, et leur compréhension requiert le recours à l'analyse.

    Troisièmement, les rêves qui certes figurent un désir refoulé, mais sans voile ou alors avec un voile insuffisant. Ces rêves sont habituellement accompagnés d'une angoisse qui interrompt le rêve. L'angoisse est ici l'ersatz de la défiguration onirique (…) le contenu représentationnel qui nous cause l'angoisse dans le rêve a été autrefois un désir et depuis il est soumis au refoulement. »

    Représentationnel : j'aurais dit ''contenu de représentations'', en meilleur français (mais qui suis-je pour contester la traduction ?)

     

    À la classification déjà produite au début du livre (cf 6), Freud ajoute ici un élément non encore apparu : l'angoisse, cette angoisse qui provoque le cauchemar sur lequel nous nous éveillons en sursaut.

    C'est le moment de la signaler, car elle intervient dans le cadre non plus de la simple perception du désir, mais de sa satisfaction. À ce titre elle n'est pas seulement l'ersatz de la défiguration. Le texte laisse entendre que le désir d'autrefois auquel elle se rapporte a peut être, avant de succomber au refoulement, trouvé une forme de satisfaction. Ou au moins a été considéré à l'époque sans déplaisir.

    L'angoisse est donc aussi l'ersatz du plaisir passé.

    C'est la même charge d'affect, mais soumise à une inversion de signe, passant du positif au négatif. Qu'est-ce qui est responsable de ce changement de signe ? C'est bien sûr l'instance qui prend en charge le refoulement.

    Cette instance, c'est le surmoi, garant du principe de réalité et vérificateur de la conformité aux lois sociales et morales. Et à ce titre il entre dans ses attributions d'assumer la police des rêves.

    Dans le cadre de cette police l'angoisse est le prix à payer, l'amende infligée, pour avoir goûté à nouveau, même fugacement, dans l'écume impalpable du rêve, à un plaisir passé frappé d'interdiction.