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Blog - Page 27

  • Sur le rêve (10) Le chat de Schrödinger

    « Quand ces éléments communs existant entre les pensées du rêve n'existent pas déjà, le travail onirique s'efforce d'en créer, afin de rendre possible la figuration commune dans le rêve. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 4)

     

    Quand ces éléments communs existant n'existent pas : curieuse formulation, non ? Quatre explications possibles à cette contradiction frôlant le non sens.

    1)Une désinvolture délibérée envers la logique classique pour laquelle ne peuvent être simultanément vraies deux propositions contraires.

    2)Une intuition de la fameuse expérience de pensée dite du chat de Schrödinger.

    3)Une désinvolture cynique avec la réalité factuelle du fait de la roublardise de Sigmund.

    4)Un défaut de formulation nuisant à la clarté du texte.

    Considérer comme vraie chacune de deux propositions contradictoires, ou maintenir l'indécidable entre elles (options 1 et 2), c'est la routine dans le mode inconscient. Freud le nomme mode primaire de penser, le rapprochant de la pensée enfantine ou magique. Mais il n'en rend jamais compte que dans un discours logique et argumenté : il n'était pas du genre à se livrer à l'écriture automatique façon surréaliste.*

    L'option 3 aura la faveur des détracteurs de Freud. Mais je gage qu'il était trop soucieux de faire reconnaître le sérieux de ses théories, et d'abord de s'en assurer lui-même, pour se satisfaire d'une victoire au bluff. Il faut l'excuser, il ne connaissait pas notre monde merveilleux friand de mensonge et de bêtise, où la falsification fonctionne tellement mieux que la vérification pour asseoir la crédibilité.

    Mais l'option 4 est plus probable. Pour limiter les dégâts de la mauvaise réception de sa Traumdeutung (cf 1), Freud écrit en vitesse, se débarrasse de ce qu'il voit comme un pensum. D'où des formules approximatives (mais qui finissent toujours par se préciser).

     

    Reprenons donc « … le travail onirique s'efforce d'en créer, afin de rendre possible la figuration commune dans le rêve. La voie la plus commode pour rapprocher deux pensées du rêve qui n'ont encore rien de commun consiste à modifier la formulation verbale de l'une, cependant que l'autre viendra peut être encore s'opposer à elle en se coulant de manière adéquate dans une autre expression. »

    Freud rapproche cela de « la composition de vers rimés, où l'homophonie tient lieu de l'élément commun recherché. Une bonne part du travail du rêve consiste à créer ce genre de pensées intermédiaires ».

    Le rapprochement entre travail poétique sur les mots et travail inconscient sur les pensées est un des outils les plus féconds de la pensée freudienne. Il sera fondamental dans son analyse du mot d'esprit (Witz), et constitue un des paramètres fiables pour l'interprétation dans la pratique clinique.

    En psychanalyse freudienne (contrairement au coaching ou autre forme plus ou moins soft de « direction de conscience »), celle-ci n'est ni assertion ni ordre ni conseil. Elle consiste à trouver de(s) mot(s) (attitudes, réactions) pour attirer l'attention de l'analysant sur ce qu'on perçoit dans son discours comme possible indicateur de ses enjeux inconscients. À lui d'y entendre ce qu'il peut ou veut, et d'en faire comme il l'entend.

     

    Bon ben avec tout ça, désolée, j'ai encore pas fini ce chap 4 cette fois-ci, mais ce sera pour la prochaine fois sans faute.

     

    *Ce qu'en un sens on peut considérer comme méfiance envers la validité du message inconscient, et donc comme inconséquence théorique. Lacan, lui, au fil de ses séminaires, assumera de plus en plus de (ou se laissera aller à) parler en associations libres, comme l'analysant sur le divan. Plus grande confiance envers la pertinence de la pensée inconsciente, ou paresse roublarde à mettre en forme ses intuitions ? Je laisse le lecteur décider (à supposer que la psyché de Lacan soit un objet plus décidable que l'état du chat de Schrödinger).

     

  • Sur le rêve (9) Une grandiose opération de condensation

    Freud revient sur l'analyse de son rêve de la table d'hôte (cf 4).

    « Il apparaît dans cette analyse que ma femme s'occupe d'autres personnes à cette table, ce que je ressens comme désagréable ; de cela le rêve contient l'exact contraire, savoir, que la personne qui remplace ma femme tourne toute son attention vers moi. Mais à quel désir un épisode vécu désagréable peut-il mieux donner lieu qu'à celui que ce soit le contraire de cet épisode qui se soit produit, comme le rêve en contient l'accomplissement ? (…)

    Une partie des antagonismes entre contenu onirique manifeste et contenu latent devrait donc pouvoir être ramené à une satisfaction de désir. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 4)

     

    Mais le travail du rêve ne porte pas seulement sur ce bidouillage, ce bricolage, qui grime le désagréable en agréable.

    « Il y a une autre prestation – plus évidente encore – du travail onirique, qui fait naître les rêves incohérents. Quand on compare, dans n'importe quel exemple, le nombre d'éléments imaginaires ou l'ampleur de la consignation écrite dans le cas du rêve proprement dit et dans les pensées du rêve auxquelles l'analyse aboutit (…) on ne peut douter que le travail onirique a réalisé une grandiose opération de compression ou condensation»

    C'est pourquoi un rêve noté en peu de mots, raconté en quelques minutes, peut nécessiter une dizaine de pages (ou d'heures de divan) pour son interprétation.

    « On ne peut dans un premier temps juger des dimensions de cette condensation. Mais elle impressionne d'autant plus qu'on a pénétré profondément dans l'analyse du rêve. On ne trouve là aucun élément du contenu onirique dont les fils associatifs ne partiraient pas dans deux ou plusieurs directions, aucune situation qui ne serait l'aboutement de deux ou plusieurs impressions et épisodes vécus. »

    Cependant tout n'est pas apte à la condensation, elle obéit à certains critères.

    « Il est donc requis qu'il existe déjà dans tous les composants un – ou plusieurs – élément commun. Le travail du rêve procède donc comme Francis Galton* quand il réalise des photos familiales. Il recouvre les différents composants les uns par les autres comme s'il les superposait ; après quoi l'élément commun ressort nettement dans l'image globale, les détails qui se contredisent s'effacent à peu près entièrement les uns les autres. Ce processus de fabrication explique aussi en partie les définitions hésitantes (…) d'un flou caractéristique. (…)

    L'interprétation du rêve énonce alors la règle suivante : (…) on remplacera cet ou bien ou bien par un « et », et on prendra chaque membre de l'alternative apparente comme point de départ indépendant d'une série d'idées spontanées. »

    Cette exploration pas à pas du labyrinthe onirique en suivant les différents fils associatifs fait parfois de l'analyse d'un rêve une longue randonnée, agréable ou pas, selon les paysages intérieurs qui s'y révèlent …

    Mais tout n'est pas dit encore sur le travail de condensation, on en saura un peu plus la prochaine fois.

     

    *Francis Galton (1822-1911) photographiait sur une même plaque plusieurs membres d'une même famille pour faire ressortir leurs traits communs. En fait son propos était eugéniste : différencier les « bons » traits des « mauvais ». Théorie absurde en fait, et surtout dangereuse, dont on sait l'usage qui fut fait dans la suite.

     

  • Sur le rêve (8) Une vision directe au présent

    Les adultes ont aussi parfois des rêves directs, surtout quand un besoin intense est en jeu.

    « Le chef d'une expédition polaire rapporte ainsi par exemple que pendant tout l'hivernage forcé dans les glaces, avec l'alimentation monotone et les rations spartiates, son équipage rêvait régulièrement, comme les enfants, de grands repas, de montagnes de tabac, et de ce qu'ils étaient à la maison. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 3)

     

    Remarquons les montagnes de tabac qui s'imposent comme exemple de besoin intense à l'esprit de ce « médecin viennois qui fumait des cigares pour se donner un cancer de la langue » comme dit avec une affectueuse ironie Delphine Horvilleur (Il n'y a pas de Ajar Grasset 2022).

    Plus sérieusement, on sait que les rêves d'enfin manger à sa faim, d'enfin retrouver son chez soi, sont rapportés dans beaucoup de récits de déportés.

    Freud poursuit « Il est certain que ce serait pour les énigmes du rêve une solution simple et satisfaisante si par exemple le travail d'analyse devait nous permettre de ramener également les rêves d'adultes absurdes et confus au type infantile de satisfaction d'un désir diurne éprouvé avec intensité. »

    Simple et satisfaisante ? Simple oui, satisfaisante pas sûr : il faut bien que notre Sigmund ait des occasions de faire preuve d'acuité clinique, de rigueur analytique et d'inventivité théorique ...

    « Mais avant de quitter les rêves infantiles » il note que « je peux remplacer chacun de ces rêves par une phrase optative : Ah si (…) (pas de chance pour moi il prend ses exemples dans les rêves que je n'ai pas mentionnés. Alors disons : ah si j'étais monté sur le Dachstein) : « simplement le rêve fournit plus que cet optatif. Il montre le désir comme étant déjà satisfait, figure son accomplissement comme réel et actuel, et le matériau de la figuration onirique consiste de manière prépondérante – quoique non exclusivement – en situations et en images sensorielles le plus souvent visuelles. Dans ce groupe aussi on ne déplore donc pas complètement l'absence d'une sorte de transformation – que l'on peut désigner comme travail du rêve : une pensée à l'optatif est remplacée par une vision directe au présent. »

    On ne déplore donc pas complètement l'absence : voilà qui nous fait noter pour notre part combien Freud tient à son schéma fondé sur l'hypothèse d'un travail psychique à l'origine de la production du rêve.

    Ce sont les modalités de ce travail qu'il va s'attacher à étudier dans la suite.