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Blog - Page 24

  • Sur le rêve (19) Des satisfactions voilées

    « Je ne peux m'empêcher ensuite d'instaurer une relation de causalité entre l'obscurité du contenu onirique et l'état de refoulement, de l'incapacité à devenir conscientes de certaines des pensées du rêve, et de conclure que le rêve doit être obscur pour ne pas trahir les pensées du rêve honnies. J'en viens ainsi à la notion de défiguration onirique, qui est l'œuvre du travail du rêve, et qui sert de dissimulation, à cacher l'intention. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 8)

     

    Voici qui amène à une évidence que l'on peut formuler très simplement : le rêveur ne sait pas ce qu'il veut. Car c'est par son trop d'application à dissimuler certaines pensées (par des défigurations menant à des absurdités patentes) qu'il va au contraire les trahir.

    Pour le dire autrement il est en proie à l'ambivalence : en même temps dire et ne pas dire, signaler et dissimuler du même mouvement. D'où l'importance des formations de compromis (cf 12) produites par le rêve, telle la condensation (cf 9).

    Il y a ainsi un double jeu de l'instance chargée de la dissimulation, qui, sous le voile du déguisement, opère en fait une révélation.

    Remarquons au passage qu'il y a donc chez tout rêveur quelque chose de Hamlet lorsqu'il met en scène le récit du meurtre de son père (Hamlet Acte III sc 2) pour faire sortir son oncle, auteur du forfait, de sa dissimulation. C'est le point de bascule de la pièce, suivant immédiatement son fameux monologue (Acte III sc 1) à l'issue duquel il sort, lui, de son ambivalence. Hamlet, on le sait, a beaucoup intéressé Freud, peut être autant qu'Oedipe.

    « Après avoir ainsi fixé la notion de refoulement (…) nous pouvons énoncer sur un plan tout à fait général le résultat principal délivré par l'analyse du rêve. (…)

    La formule qui s'applique à ces rêves est donc la suivante : ce sont des satisfactions voilées de désirs refoulés. » (chap 9)

    Freud souligne lui-même la formule dans son texte, elle est en effet très riche dans sa concision.

    Les désirs qui motivent le rêve sont pour lui toujours plus ou moins liés à des éléments refoulés. Même ceux dont il a classé le contenu onirique dans la catégorie 1 « chargé de sens et compréhensible » (cf 6 pour les 3 classes de contenu onirique*) : en creusant, on trouve toujours à les raccorder à un désir refoulé, souvent lié au vécu de la prime enfance.

    D'autre part l'instance qui rêve, non contente de signaler ces désirs, se donne pour but leur satisfaction. Sauf qu'évidemment, les moyens de le faire sont très limités.

    Freud explique dans la Traumdeutung (et au chap 11 du présent essai, on le verra) un paradoxe fondamental. Les modalités de l'état de sommeil : inhibition du mouvement, retrait des sensations venues du monde extérieur et en corollaire accès plus fluide aux sensations internes (raison pour laquelle une douleur inaperçue durant la veille peut se faire présente durant le sommeil), sont celles qui à la fois permettent la formation du rêve et interdisent concrètement la satisfaction du désir dont il est porteur.

    La satisfaction va alors se faire de façon voilée. Un voile qui sera le parfait déguisement pour jouer le désir selon ce mode inconscient que Freud nommera l'autre scène.

    Un voile fait d'une étoffe d'écume impalpable (cf 2), mais dont les effets sont concrets pour la psyché.

     

     

    *C'est à dire, je le rappelle, le texte du rêve tel qu'il est remémoré. Donc avant l'analyse qui fera apparaître le contenu latent, celui que le refoulement entendait interdire d'accès à la conscience.

     

  • Sur le rêve (18) Des pensées que je ne me suis pas connues

    L'exposé des modalités du travail du rêve étant terminé avec le chap 7, Freud poursuit l'enquête sur ce qui lui paraît le point décisif.

    « Le cœur du problème se situe dans le déplacement, qui est de loin la plus remarquable des différentes opérations particulières réalisées par le travail onirique. (…) La condition essentielle du déplacement est de nature purement psychologique. Elle est de l'ordre de la motivation. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 8)

     

    Il explique avoir laissé de côté des éléments de l'analyse de son rêve de la table d'hôte (cf 4) par souci de « certains égards qu'il m'importe de respecter », dans la mesure où cela impliquait d'autres personnes que lui.

    « Mais quand je poursuis l'analyse pour moi-même sans tenir compte des autres (…) j'aboutis à des pensées qui me surprennent, que je ne me suis pas connues, qui me paraissent au contraire non seulement de nature étrangère, mais aussi désagréables, et que je voudrais donc contester énergiquement, alors même que l'enchaînement des pensées qui court dans toute l'analyse me les impose inexorablement. »

    Il fait donc l'hypothèse que ces pensées désagréables « étaient effectivement présentes dans ma vie psychique et qu'elles y possédaient une certaine intensité ou énergie psychique (…) mais ne pouvaient pas devenir conscientes pour moi. À cet état particulier je donne le nom de refoulement. »

    Pas devenir conscientes pour moi : soulignons ce « moi » que l'on peut entendre déjà au sens de la « deuxième topique » freudienne, bien qu'il ne l'élabore complètement que bien plus tard, dans les années 1920-23.

    Topique signifie ici représentation du psychisme selon des « lieux » (en grec topoi). Le mot est piégeux, car ces « lieux » ne sont nulle part localisables, dans le cerveau ou ailleurs.

    On parlerait plus justement de modes de fonctionnement. À cet égard il faut noter que conscient comme inconscient ne viennent pas d'emblée sous la plume de Freud en tant que substantifs, mais bien en tant qu'adjectifs.

    Freud élabore d'abord sa première topique qui repose sur cette distinction entre conscient et inconscient (assorti de l'intermédiaire préconscient). On la trouve au chap 7 partie 6 de la Traumdeutung (et on va la rencontrer dans la suite de notre texte).

    Mais très vite, cette seule distinction lui apparaîtra comme insuffisante pour rendre compte de la complexité du fonctionnement psychique et surtout de la conflictualité qui en est d'après lui le moteur.

    Alors il conçoit sa deuxième topique, tridimensionnelle, le célèbre trio ça moi surmoi. Mais notons que cette deuxième topique vient préciser la première sans s'y substituer : si le ça est totalement en mode ics (et encore on l'a parfois discuté), le moi et surtout le surmoi sont susceptibles des deux modes.

    Bref, pour en revenir au passage que j'ai souligné ci-dessus, le moi est la « façade » sociale de l'individu, en charge de sa conformité aux critères sociaux tant intellectuels que moraux. Il est donc responsable à cet égard de l'élaboration secondaire du rêve.

     

  • Sur le rêve (17) Une sorte de façade

    Freud aborde ensuite ce qu'il appelle l'élaboration secondaire.

    « Sa prestation consiste à mettre en ordre les différents composants du rêve de telle sorte qu'ils s'aboutent à peu près en un ensemble cohérent. Le rêve reçoit ainsi une sorte de façade qui certes ne recouvre pas son contenu dans toutes ses localisations. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 7)

     

    Cette mise en ordre est, à l'intérieur-même du rêve, une tentative du rêveur de se donner « une première interprétation provisoire ». Une interprétation bâclée « en faisant, comme on dit, de tous les cinq un nombre pair, (qui) ne délivre d'ailleurs rien d'autre qu'une éclatante incompréhension des pensées du rêve ».

    Mais Freud (on le reconnaît bien là) ne se laisse pas abuser par cette grossière exhibition de cohérence qui revient à dire : circulez, il n'y a (plus) rien à interpréter.

    « Quand nous nous attaquons à l'analyse du rêve il faut d'abord nous affranchir de cette tentative d'interprétation. »

    Mais qu'est-ce qui peut motiver le rêveur à livrer ainsi un pack « rêve + interprétation » ? Surtout une interprétation que sa cohérence rend forcément terne. On la dirait faite exprès pour décourager la vis analytica : « bof si c'est pas plus marrant ou croustillant, à quoi bon tenter de se souvenir de ses rêves pour les interpréter ? »

    « Mais l'on s'égarerait si l'on ne voulait rien voir d'autre dans ces façades oniriques que (le travail réalisé) par l'instance consciente de notre vie psychique. Pour la construction de la façade du rêve il n'est pas rare que soient utilisées des représentations imaginaires de choses désirées qui se trouvent déjà formées à l'avance dans les pensées du rêve et qui sont de la même espèce que celles que nous connaissons de la vie à l'état de veille et qu'on appelle à juste titre ''rêves diurnes''. »

    Je souligne au passage l'insistance sur cet apparent oxymore rêves diurnes. Elle se rapporte à l'enjeu fondamental de la théorisation freudienne : montrer la porosité dans le psychisme entre vie rêvée et vie éveillée, et de même entre normal et pathologique. Toute façade, tout mur élevé pour maintenir un apartheid entre les deux séries de domaines ne pourra que s'écrouler dans le travail d'analyse.

    Quant aux rêves à proprement parler, rêves nocturnes, « (Leurs) productions imaginaires (…) s'avèrent souvent n'être que répétitions et réélaborations de scènes de l'enfance ; la façade onirique nous montre ainsi immédiatement, dans bien des rêves, le noyau proprement dit du rêve tel qu'il a été défiguré par le mélange avec un matériau différent. »

    Bref « le travail du rêve n'est pas créateur, il ne développe aucune production imaginaire qui lui soit propre » et se contente de « condenser (cf 9,10,11), déplacer (cf 12) et réélaborer le matériau dans la perspective de la visibilité (cf 13,14,15) à quoi vient encore s'ajouter l'ultime et infime variable d'un travail d'interprétation » qui rapetasse tout ça pour construire la façade du rêve.

    Cette construction, insiste Freud, est en fait une re-construction (cf 15 re-production) : une façade en trompe l'œil, « (copiant) le plus fidèlement du monde la littéralité (des propos utilisés par les pensées du rêve), tout en laissant à l'écart ce qui en a été l'occasion et en changeant leur sens de la façon la plus violente qui soit. »

    Et il termine le chapitre 7 par des exemples pour « soutenir ces dernières affirmations. »

    Je ne les reprends pas car ils valent par le détail de l'analyse, dont l'exposé rallongerait trop cette série déjà longue (mais c'est l'occasion, lecteur, d'aller voir le texte de Freud).