« Je ne peux m'empêcher ensuite d'instaurer une relation de causalité entre l'obscurité du contenu onirique et l'état de refoulement, de l'incapacité à devenir conscientes de certaines des pensées du rêve, et de conclure que le rêve doit être obscur pour ne pas trahir les pensées du rêve honnies. J'en viens ainsi à la notion de défiguration onirique, qui est l'œuvre du travail du rêve, et qui sert de dissimulation, à cacher l'intention. »
(Sigmund Freud Sur le rêve chap 8)
Voici qui amène à une évidence que l'on peut formuler très simplement : le rêveur ne sait pas ce qu'il veut. Car c'est par son trop d'application à dissimuler certaines pensées (par des défigurations menant à des absurdités patentes) qu'il va au contraire les trahir.
Pour le dire autrement il est en proie à l'ambivalence : en même temps dire et ne pas dire, signaler et dissimuler du même mouvement. D'où l'importance des formations de compromis (cf 12) produites par le rêve, telle la condensation (cf 9).
Il y a ainsi un double jeu de l'instance chargée de la dissimulation, qui, sous le voile du déguisement, opère en fait une révélation.
Remarquons au passage qu'il y a donc chez tout rêveur quelque chose de Hamlet lorsqu'il met en scène le récit du meurtre de son père (Hamlet Acte III sc 2) pour faire sortir son oncle, auteur du forfait, de sa dissimulation. C'est le point de bascule de la pièce, suivant immédiatement son fameux monologue (Acte III sc 1) à l'issue duquel il sort, lui, de son ambivalence. Hamlet, on le sait, a beaucoup intéressé Freud, peut être autant qu'Oedipe.
« Après avoir ainsi fixé la notion de refoulement (…) nous pouvons énoncer sur un plan tout à fait général le résultat principal délivré par l'analyse du rêve. (…)
La formule qui s'applique à ces rêves est donc la suivante : ce sont des satisfactions voilées de désirs refoulés. » (chap 9)
Freud souligne lui-même la formule dans son texte, elle est en effet très riche dans sa concision.
Les désirs qui motivent le rêve sont pour lui toujours plus ou moins liés à des éléments refoulés. Même ceux dont il a classé le contenu onirique dans la catégorie 1 « chargé de sens et compréhensible » (cf 6 pour les 3 classes de contenu onirique*) : en creusant, on trouve toujours à les raccorder à un désir refoulé, souvent lié au vécu de la prime enfance.
D'autre part l'instance qui rêve, non contente de signaler ces désirs, se donne pour but leur satisfaction. Sauf qu'évidemment, les moyens de le faire sont très limités.
Freud explique dans la Traumdeutung (et au chap 11 du présent essai, on le verra) un paradoxe fondamental. Les modalités de l'état de sommeil : inhibition du mouvement, retrait des sensations venues du monde extérieur et en corollaire accès plus fluide aux sensations internes (raison pour laquelle une douleur inaperçue durant la veille peut se faire présente durant le sommeil), sont celles qui à la fois permettent la formation du rêve et interdisent concrètement la satisfaction du désir dont il est porteur.
La satisfaction va alors se faire de façon voilée. Un voile qui sera le parfait déguisement pour jouer le désir selon ce mode inconscient que Freud nommera l'autre scène.
Un voile fait d'une étoffe d'écume impalpable (cf 2), mais dont les effets sont concrets pour la psyché.
*C'est à dire, je le rappelle, le texte du rêve tel qu'il est remémoré. Donc avant l'analyse qui fera apparaître le contenu latent, celui que le refoulement entendait interdire d'accès à la conscience.