Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Blog - Page 30

  • Sur le rêve (1) En manque d'explication

    « Dans les temps qu'on peut qualifier de préscientifiques, les hommes n'étaient pas embarrassés quand il s'agissait d'expliquer le rêve (...) Ils le prenaient pour un message favorable ou hostile adressé par des puissances supérieures, démoniaques ou divines. (…) Mais depuis qu'on a rejeté l'hypothèse mythologique, le rêve est en manque d'explication. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 1)

     

    Freud, qui comme on le sait n'était pas embarrassé quand il s'agissait de croire en lui, a considéré que le moment où il fait sa propre hypothèse d'explication du rêve est l'acte de naissance de la psychanalyse proprement dite.

    Et en effet, son originalité et sa force consistent à réaliser une Aufhebung, une synthèse dialectique, des points de vue scientifique et mythologique.

    Il choisit la date symbolique de 1900 pour publier ce qu'il nommera non pas l'explication, mais L'interprétation du rêve. En v.o Die Traumdeutung. Deutung signifie aussi traduction. De fait, c'est le point de départ déterminant : remarquer que la communication d'un rêve ne peut se faire que dans un récit, par la mise en mots des éléments qui le constituent.

    Éléments nombreux, de domaines fort différents :

    « Les conditions de son surgissement, son rapport à la vie psychique pendant l'état de veille, sa dépendance de stimuli qui finissent par s'imposer à la perception pendant l'état de sommeil, les nombreuses bizarreries de son contenu qui heurtent la pensée vigile, l'incongruence de ses productions imaginaires et des affects qui leur sont rattachés, enfin le caractère évanescent du rêve, la façon dont la pensée vigile le repousse sur le côté comme quelque chose d'étranger à elle, le mutile ou l'efface dans le souvenir : tous ces problèmes et de nombreux autres encore requièrent depuis bien des siècles des solutions qui jusqu'à présent n'ont pu être fournies de manière satisfaisante. »

    Die Traumdeutung décortique ces problèmes, à partir d'un échantillon fourni de rêves. Où Freud les trouve-t-il ? Pour l'essentiel, ce sont les siens. (Y compris certains de ceux qu'il attribue à des amis ou patients).

    L'abord des questions listées ci-dessus sollicite de nombreux domaines du savoir. Ça tombe bien : la culture de Freud est immense et éclectique, de l'anatomie à la philologie, de la physique à la philosophie, de la mythologie à l'ethnologie. Et puis, ce qui est déterminant, il va travailler à partir de sa spécialité de médecin : la neurologie.

    Cet ouvrage est de fait passionnant, attachant aussi, par tout ce que Sigmund y livre de lui-même, directement ou implicitement. Mais il a un gros défaut. Nombreux récits de rêves, analyses circonstanciées débouchant sur la discussion d'hypothèses, la recherche de construction d'une théorie : tout cela en fait une œuvre foisonnante, complexe, et, osons le mot, baroque.

    C'est à cette complexité que Freud attribue le peu d'écho rencontré par le livre à sa parution. Alors, il s'oblige à rédiger une sorte de digest, au titre moins ambitieux, plus anodin, histoire de ne pas effrayer le lecteur : Sur le rêve (Über den Traum), qu'il publie dans la foulée, en 1901.

    Je vous propose de le parcourir. Avertissement : cet ouvrage n'est pas le meilleur de Freud, loin de là. Laborieux, osons dire bâclé, il manque des qualités stylistiques que j'aime habituellement chez Papa Freud : une précision qui n'exclut ni l'élégance, ni les audaces de plume, sans compter un humour discret.

    Mais il donne une idée juste de sa théorie du rêve, que l'on ne connaît souvent qu'approximativement.

     

  • Charcot (5/5) On abandonna l'habitude du sourire méprisant

    « En étudiant les paralysies hystériques qui surviennent après des traumatismes, il lui vint l'idée de reproduire artificiellement (par l'hypnose) ces paralysies qu'il avait précédemment différenciées avec soin des paralysies organiques (…)

    Par une démonstration sans faille, il parvint à prouver que ces paralysies étaient le résultat de représentations qui dominaient le cerveau dans des moments de disposition particulière.

    Ainsi était pour la première fois élucidé le mécanisme d'un phénomène hystérique, et c'est de ce morceau de la recherche clinique d'une incomparable beauté que partit son propre élève Janet, que partirent Breuer et d'autres (parmi eux un certain Sigmund jeune collègue de Breuer qu'il prit sous son aile) pour jeter les bases d'une théorie de la névrose qui coïncide avec la conception du Moyen Age, une fois remplacé le ''démon'' de l'imagination cléricale par une formule psychologique. »

    (Freud. Article Charcot)

     

    La deuxième partie de l'article, plus technique, se centre sur l'historique de l'élucidation du phénomène hystérique. Freud note la progression à la fois logique et humaine dans la conception, et partant le soin, de cette maladie.

    Au Moyen Age on voit dans ces femmes (hommes plus rarement) des possédées, voire des sorcières. Le progrès scientifique issu des Lumières finit par avoir raison de cette aberration.

    Mais la première conception moderne, obnubilée par un rationalisme matérialiste, fait des hystériques des déficientes neurologiques. C'est l'époque où commence le travail de Charcot.

    Il avait été précédé par le geste libérateur de Pinel qui ôta leurs chaînes aux « insensées », accomplissant ainsi une révolution dans la Révolution :

    « La Salpêtrière qui pendant la Révolution avait vu tant d'horreurs avait bien été aussi le lieu de cette révolution-là, la plus humaine de toutes. »

    Charcot, s'il n'échappe pas entièrement au scientisme, dit Freud, avec sa surestimation de la notion de dégénérescence, accomplit quand même le pas décisif de restituer à l'hystérique sa dignité de sujet.

    « On ne voulait rien croire venant des hystériques. (Grâce au travail de Charcot) on abandonna peu à peu l'habitude du sourire méprisant. (L'hystérique) n'était plus par nécessité une simulatrice, puisque Charcot de toute son autorité répondait de l'authenticité et de l'objectivité des phénomènes hystériques. »

    L'article se termine de manière discrètement triomphaliste. Enfin arrive Freud qui a l'idée de remplacer la notion de dégénérescence par celle de clivage de la conscience. Ce qui ouvre à la conception d'une dynamique à l'œuvre entre le mode conscient du psychisme et son pendant inconscient.

    La psychanalyse allait naître, théorie de la névrose enfin possible une fois remplacé le « démon » de l'imagination cléricale par une formule psychologique.

     

  • Charcot (4/5) Littéralement fascinant

    « Cet afflux d'êtres humains ne s'adressait pas seulement au célèbre chercheur, mais tout autant à ce grand médecin et ami des hommes, qui savait toujours trouver une réponse, et qui devinait là où l'état présent de la science ne lui permettait pas de savoir. On lui a mainte fois fait reproche de sa thérapeutique qui, par la richesse de ses prescriptions, ne pouvait qu'offenser les scrupules d'un esprit rationaliste. »

    (Freud. Article Charcot)

     

    Freud se reconnaît là encore dans cette façon de combiner intuition et savoir, rationalisme et pratiques floues du point de vue logique. Ce n'est pas à ses yeux un défaut, un moins, mais un plus, une richesse au service à la fois des patients et de l'avancée scientifique.

    Autre qualité que Freud met au crédit de Charcot, son autorité et son brio d'enseignant :

    « Comme enseignant, Charcot était littéralement fascinant, chacune de ses conférences était un petit chef d'œuvre de construction et d'articulation, à la forme achevée et à ce point pénétrant que de toute la journée on ne pouvait chasser de son oreille la parole entendue et de son esprit l'objet de sa présentation. »

    Un mode d'autorité, fondé sur une certaine séduction, sur lequel on peut émettre des réserves : il présente un risque non négligeable de "gourouisme". D'ailleurs voilà sans doute une notation qui n'a pas échappé à un lecteur de Freud nommé Jacques Lacan, qui dispensa son enseignement en beau-parleur à la parole fascinante.

    Bref : on est frappé par le phénomène d'identifications en chaîne, de Charcot à Freud, de Freud à Lacan. Il n'y a rien là d'étonnant, l'identification est un des ressorts essentiels de la transmission culturelle, dans tous les domaines.

    « Je serai Chateaubriand ou rien », comme disait Hugo.

    Qui ainsi devint Hugo.