« Dans les temps qu'on peut qualifier de préscientifiques, les hommes n'étaient pas embarrassés quand il s'agissait d'expliquer le rêve (...) Ils le prenaient pour un message favorable ou hostile adressé par des puissances supérieures, démoniaques ou divines. (…) Mais depuis qu'on a rejeté l'hypothèse mythologique, le rêve est en manque d'explication. »
(Sigmund Freud Sur le rêve chap 1)
Freud, qui comme on le sait n'était pas embarrassé quand il s'agissait de croire en lui, a considéré que le moment où il fait sa propre hypothèse d'explication du rêve est l'acte de naissance de la psychanalyse proprement dite.
Et en effet, son originalité et sa force consistent à réaliser une Aufhebung, une synthèse dialectique, des points de vue scientifique et mythologique.
Il choisit la date symbolique de 1900 pour publier ce qu'il nommera non pas l'explication, mais L'interprétation du rêve. En v.o Die Traumdeutung. Deutung signifie aussi traduction. De fait, c'est le point de départ déterminant : remarquer que la communication d'un rêve ne peut se faire que dans un récit, par la mise en mots des éléments qui le constituent.
Éléments nombreux, de domaines fort différents :
« Les conditions de son surgissement, son rapport à la vie psychique pendant l'état de veille, sa dépendance de stimuli qui finissent par s'imposer à la perception pendant l'état de sommeil, les nombreuses bizarreries de son contenu qui heurtent la pensée vigile, l'incongruence de ses productions imaginaires et des affects qui leur sont rattachés, enfin le caractère évanescent du rêve, la façon dont la pensée vigile le repousse sur le côté comme quelque chose d'étranger à elle, le mutile ou l'efface dans le souvenir : tous ces problèmes et de nombreux autres encore requièrent depuis bien des siècles des solutions qui jusqu'à présent n'ont pu être fournies de manière satisfaisante. »
Die Traumdeutung décortique ces problèmes, à partir d'un échantillon fourni de rêves. Où Freud les trouve-t-il ? Pour l'essentiel, ce sont les siens. (Y compris certains de ceux qu'il attribue à des amis ou patients).
L'abord des questions listées ci-dessus sollicite de nombreux domaines du savoir. Ça tombe bien : la culture de Freud est immense et éclectique, de l'anatomie à la philologie, de la physique à la philosophie, de la mythologie à l'ethnologie. Et puis, ce qui est déterminant, il va travailler à partir de sa spécialité de médecin : la neurologie.
Cet ouvrage est de fait passionnant, attachant aussi, par tout ce que Sigmund y livre de lui-même, directement ou implicitement. Mais il a un gros défaut. Nombreux récits de rêves, analyses circonstanciées débouchant sur la discussion d'hypothèses, la recherche de construction d'une théorie : tout cela en fait une œuvre foisonnante, complexe, et, osons le mot, baroque.
C'est à cette complexité que Freud attribue le peu d'écho rencontré par le livre à sa parution. Alors, il s'oblige à rédiger une sorte de digest, au titre moins ambitieux, plus anodin, histoire de ne pas effrayer le lecteur : Sur le rêve (Über den Traum), qu'il publie dans la foulée, en 1901.
Je vous propose de le parcourir. Avertissement : cet ouvrage n'est pas le meilleur de Freud, loin de là. Laborieux, osons dire bâclé, il manque des qualités stylistiques que j'aime habituellement chez Papa Freud : une précision qui n'exclut ni l'élégance, ni les audaces de plume, sans compter un humour discret.
Mais il donne une idée juste de sa théorie du rêve, que l'on ne connaît souvent qu'approximativement.