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Blog - Page 32

  • Petit dico (14) Insuffisance

    « Ceux qui, en m'oyant dire mon insuffisance aux occupations du ménage, vont me soufflant aux oreilles que c'est dédain pour avoir (parce que j'ai) à cœur quelque plus haute science, ils me font mourir. Cela c'est sottise et plutôt bêtise que gloire. Je m'aimerais mieux bon écuyer que bon logicien. »

    Essais III, 9 (De la vanité)

     

    Les occupations du ménage dont il s'agit ne consistent pas à passer l'aspirateur, cirer le parquet, décrasser la baignoire, détartrer la cuvette des toilettes et faire la vaisselle. Pour cela Montaigne disposait d'employés de maison et techniciens de surface en suffisance.

    Il s'agit de la gestion du domaine, du management de l'entreprise « Eyquem et fils ».

    À plusieurs reprises dans les Essais il rend hommage aux qualités d'entrepreneurs de son arrière grand père Ramon et surtout de son père Pierre, qui non seulement fera prospérer le domaine agricole (cf 4) mais aussi travaillera fort habilement à dorer le blason de la famille pour pousser son fiston dans les hautes sphères.

    Ce qui autorisera Michel, le premier de la famille, à se faire appeler de Montaigne tout court, et non plus Eyquem de Montaigne.

    Avec un peu de vanité, assumée certes, mais non sans un tantinet de vergogne, sensible dans l'autodérision de certains passages.

    Son regret de l'inaptitude à la gestion n'est pas feint.

    Elle est incompétence, non mauvaise volonté, dit-il. Si le reproche à ce propos éveille un certain malaise en lui (ambiguïté de la formule qui se veut plaisante ils me font mourir), c'est surtout par mortification de n'être pas à la hauteur de ses prédécesseurs. Assortie de la culpabilité de ne pouvoir payer sa dette à leur égard avec une monnaie de même aloi.

    Une culpabilité dont il s'acquitte par la minimisation de son talent propre.

    « Ceux que je vois faire des bons livres sous de méchantes chausses, eussent premièrement fait leurs chausses, s'ils m'eussent cru. Demandez à un Spartiate s'il aime mieux être bon rhétoricien que bon soldat ; non pas moi que bon cuisinier, si je n'avais qui m'en servît. »

    Conclusion :

    Montaigne non seulement a fait un livre de génie, mais en plus sous des chausses chic : si c'est pas une sacrée chance, ça ! (Oui ceci est un petit exercice de diction).

    J'aurais dû m'appliquer quand ma mère cherchait à m'apprendre la couture.

     

  • Petit dico (13) Moi pareil

    « 'Il faut faire comme les autres' : maxime suspecte, qui signifie presque toujours : 'il faut mal faire', dès qu'on l'étend au-delà des choses purement extérieures, qui n'ont point de suite, qui dépendent de l'usage, de la mode ou des bienséances. »

    La Bruyère Les Caractères (Des jugements 10)

     

    Bien vu. Depuis les gamins en cour de récré « c'est lui qui a commencé », jusqu'à la soumission aux régimes totalitaires « je ne suis qu'un rouage, et puis si ce n'est pas moi qui le fais, il s'en trouvera un autre pour le faire, et en y mettant moins d'humanité ».

    En passant par les plus ou moins grandes malhonnêtetés en tous genres, justifiées d'un « tout le monde prend sa part, je serais bien bête de pas faire pareil ».

    La cour de récré je l'ai quittée depuis un certain temps. Le régime totalitaire pour l'instant j'ai eu la chance d'y échapper. Mais pour le reste … Nous avons des exemples sous les yeux tous les jours. Tout en haut de la pyramide, chez les prétendues élites. Et si on descend dans la hiérarchie sociale ?

    On pourrait croire que lorsque les enjeux sont réduits et les gains escomptés somme toute négligeables, il est moins difficile d'assumer un minimum d'éthique, de développer un tant soit peu le sens du bien commun. Curieusement : non.

    On constate les mêmes accommodements avec la vérité, l'honnêteté, la parole donnée, on compte le même quota de tartufes, de petits et gros malins, de tricheurs, chez ceux d'en bas que chez ceux d'en haut. Déprimant, non ?

    (Si bien que je dois l'avouer, toute vergogne bue : tant qu'à faire on peut préférer avoir la chance de vivre ses agacements & indignations dans le moyennement-haut de la pyramide sociale. Comme ce bon La Bruyère, en fait …)

    Mais allons, mieux vaut en rire. C'est comme toujours la meilleure chose à faire. (Peut être la seule ?)

    Et à cette fin remarquons ceci. Quelle est la phrase qui vient généralement après Il faut faire comme les autres ? « Mais moi c'est pas pareil. » Impayable, non ?

     

  • Petit dico (12) Biodiversité

    « Je ne mets au-dessus d'un grand politique que celui qui néglige de le devenir, et qui se persuade de plus en plus que le monde ne mérite point qu'on s'en occupe. »

    La Bruyère Les Caractères (Des jugements 75)

     

    Le monde ne mérite point qu'on s'en occupe. C'est vrai : plus le monde est immonde, laid, inhumain, brutal et surtout si bête, plus on a tendance à se sentir Alceste. Déjà bien beau qu'on arrive à se protéger, à éviter la contamination de laideur et de connerie.

    Avec un soupçon de morgue, peut être. Car on hésite à se l'avouer, mais ce qu'on pense au fond ne serait-ce pas : le monde ne mérite pas que quelqu'un de mon mérite s'en occupe.

    Montaigne dit en gros : déléguons le boulot aux pourris, ils savent faire. Oui pourrir encore plus, ils sauront c'est sûr. (Et Montaigne n'était sérieux qu'à demi, comme souvent).

     

    Le monde ne mérite point qu'on s'en occupe. Scrogneugneu. Na. Voilà.

    Oui OK. Et après tu fais quoi ? Tu te suicides tout de suite ou tu attends le prochain accident nucléaire, le prochain attentat terroriste, le prochain cyclone dévastateur, planqué dans ton bunker splendidement isolé ?

    Dans un temps que les moins de 60 ans ne peuvent même pas imaginer, on disait (quand on était de gauche) : si tu t'occupes pas de politique, la politique s'occupera de toi.

    Persistant faut croire dans la gaucherie, je le pense toujours. Vous êtes embarqués il faut parier dirait Pascal.

    L'ennui c'est que La Bruyère n'a pas totalement tort (c'est pourquoi je lui rends hommage par un euphémisme, figure de style fort prisée à son époque).

    Vu le comportement requis (accommodement éthique, déni de la réalité au profit d'un discours que l'on fantasme performatif etc.) pour grimper dans un parti quel qu'il soit, pour se faire bien voir des médias, bref tout ce qui fait aujourd'hui la carrière politique, on ne peut qu'acquiescer : si le petit politique abonde, le grand politique lui n'existe guère (ou alors à l'état de chef d'œuvre inconnu).

    Reste une réalité : l'homme est un animal politique c'est incontournable, comme disait ce bon vieil Aristote.

    Soit. Choisissons donc notre totem. Laissons coqs et paons de basse-cour rivaliser dans leurs parades, hyènes et lions se disputer toutes sortes de charognes. Regardons du côté de petites bêtes actives et coopératives, comme les fourmis, les abeilles.

    Et dépêchons-nous tant qu'il en reste : il paraît que dans un avenir proche, l'insectitude sera essentiellement représentée par les mouches, moustiques et autres cafards.

    Cela dit, faut voir le bon côté : on ne peut rêver meilleur vivier de politiques potentiels.