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Blog - Page 29

  • Sur le rêve (4) Le contraire qui est vrai

    « Un repas en société, on est assis, table ordinaire ou 'table d'hôte' … On mange des épinards … Madame E.L. est assise à côté de moi, se tourne entièrement de mon côté et pose familièrement la main sur mon genou. J'écarte la main d'un geste dissuasif. Elle me dit alors : mais vous avez toujours eu de si beaux yeux … Je vois ensuite indistinctement quelque chose comme deux yeux qui seraient dessinés ou comme le contour d'un verre de lunette. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 2)

     

    Freud signale d'abord qu'il trouve ce rêve dérangeant. « Madame E.L. est une personne avec qui j'ai à peine eu quelque relation amicale, ni n'en ai, autant que je sache, jamais désiré de plus cordiale. »

    Entre nous la dame a dû se demander comment elle devait prendre ces propos « pourquoi donc suis-je allé rêver de cette bonne femme qui n'est pas du tout mon genre » (Heureusement pour le narcissisme de cette pauvre Madame E.L. le précautionneux autant que je sache.)

    Puis il se lance dans l'analyse, selon la méthode qui consiste à « décomposer le rêve en ses éléments et à rechercher pour chacun de ses fragments les idées qui viennent s'y accrocher. »

    Les éléments considérés sont : la table d'hôte, le geste de la dame, la mention des beaux yeux, les épinards. Il déroule alors fil à fil les différentes associations. Pour cause de format je fais l'impasse sur ces passages. Comme dans la Traumdeutung, ils sont certes le plus concret et amusant de l'ouvrage, mais si je m'y attarde on n'est pas sorti de la table d'hôte. Je vais donc directement à la théorisation qui est le but de Freud.

    Il signale d'abord l'émergence d'une logique (inattendue) dans ce rêve. Les associations, malgré le côté hétéroclite des éléments de départ et leurs ramifications nombreuses semblables aux méandres d'un fleuve, débouchent pourtant sur une unique idée qu'il formule ainsi :

    « N'est-il pas courant, lorsque quelqu'un attend que d'autres se soucient de son avantage, sans y trouver eux-mêmes le leur, de demander ironiquement à ce mal élevé : ''Croyez-vous donc que ceci ou cela vous arrivera pour vos beaux yeux ?'' Dès lors, ce que dit Madame E.L ''vous avez toujours eu de si beaux yeux'' ne signifie rien d'autre que : les gens ont toujours tout fait pour l'amour de vous ; vous avez toujours tout eu pour rien.

    C'est naturellement le contraire qui est vrai : tout ce que d'autres ont pu me faire comme bien, je l'ai payé cher. »

    Une certaine amertume dans cette dernière phrase en forme de règlement de comptes. Amertume rare dans les écrits de Freud, jugulée d'habitude par sa confiance en lui, en la validité de ses théories. Elle est en fait à la mesure de la déception que la parution de sa Traumdeutung n'ait pas fait date, comme il s'y attendait (cf 1).

    Mais C'est naturellement le contraire qui est vrai, au-delà des états d'âme de Sigmund, ouvre implicitement sur une hypothèse théorique : et s'il fallait remonter à contresens pour accéder au sens du rêve ?

     

  • Sur le rêve (3) Quelque chose comme

    « Je suis parvenu à de nouvelles lumières sur le rêve en lui appliquant une nouvelle méthode qui m'avait rendu d'excellents services pour résoudre les phobies, les idées obsessionnelles, délirantes, etc., et qui depuis sous le nom de ''psychanalyse'' a trouvé un accueil auprès de toute une école de chercheurs. (…)

    Les angoisses et les idées obsessionnelles ont le même rapport d'étrangeté à la conscience normale que les rêves à la conscience vigile. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 2)

     

    C'est dans ce rapport d'étrangeté qu'il décèle l'affleurement d'un autre mode de vie psychique, comme on peut déceler, à quelques fils différents sur la trame d'un tissu, son envers. Il nommera cet envers inconscient, in-su (Unbewüsst).

    C'est donc sur ce rapport d'étrangeté, qui seul rend décelable l'inconscient, que doit porter l'investigation. Il se repère dans le rêve, dans les maladies mentales ou les simples dysfonctionnements névrotiques, et même dans la vie quotidienne.*

    « Ce procédé (d'investigation) est facile à décrire, quand bien même son exploitation requiert sans doute une initiation et de l'entraînement. (…)

    Par exemple à un malade souffrant d'angoisses, on enjoint de diriger son attention sur l'idée concernée, mais pas, comme il l'a fait si souvent, à y réfléchir, à rassembler au contraire sans exception dans son esprit et à communiquer au médecin tout ce qui lui passe par la tête à son propos. »

    La difficulté consiste à passer outre la « critique qui (exclut) toutes ces idées spontanées de la communication et même de la prise de conscience. » Une critique qui présente un volet intellectuel (c'est stupide, absurde, sans importance etc.) et/ou un volet moral (c'est moche, agressif, obscène etc.).

    « Quand on peut inciter la personne concernée à renoncer à ce genre de critique à l'égard des idées qui lui viennent et à continuer de filer les séries de pensées qui résultent d'une attention soutenue, on recueille alors un matériau psychique qui se raccorde bientôt nettement à l'idée pathologique prise comme sujet, qui met à nu les liens avec d'autres idées, et permet en avançant plus loin de remplacer l'idée pathologique par une idée nouvelle qui s'insère de manière intelligible dans le contexte psychique. »

    Il s'agit donc d'appliquer cette méthode à l'analyse du rêve. En guise d'exemple « certains motifs m'incitent à choisir un de mes propres rêves, qui m'apparaît opaque et absurde dans mon souvenir et qui présente l'avantage de la brièveté. Peut être le rêve de cette nuit suffira-t-il à ces requêtes. »

    Voilà un rêve de cette nuit qui tombe bien ... Mais bon on n'est pas là pour faire l'analyse sauvage de Freud, les certains motifs du choix de cet exemple le regardent. Nous tout ce qu'on veut c'est avoir des infos sur sa méthode d'interprétation.

    Commençons par le texte du rêve :

    « Un repas en société, on est assis, table ordinaire ou 'table d'hôte' … On mange des épinards … Madame E.L. est assise à côté de moi, se tourne entièrement de mon côté et pose familièrement la main sur mon genou. J'écarte la main d'un geste dissuasif. Elle me dit alors : mais vous avez toujours eu de si beaux yeux … Je vois ensuite indistinctement quelque chose comme deux yeux qui seraient dessinés ou comme le contour d'un verre de lunette. »

     

    *En même temps que la rédaction de Sur le rêve, il entreprend Psychopathologie de la vie quotidienne, qui étudie les actes manqués, lapsus etc., occurrences banales de l'étrangeté dans le normal.

  • Sur le rêve (2) Une écume impalpable

    « Au premier rang des centres d'intérêt on trouve la question de la signification du rêve, question qui contient un sens double. La question porte d'abord sur la signification psychique de l'activité onirique et sur l'hypothèse d'une fonction biologique de celle-ci, et deuxièmement elle voudrait établir si le rêve est interprétable. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 1)

     

    Freud poursuit en condensant le long premier chapitre de la Traumdeutung, consacré à la littérature scientifique sur les problèmes du rêve.

    « On peut observer trois directions dans la façon de s'intéresser au rêve. L'une d'elles, qui a gardé en quelque sorte un écho tardif de l'antique surestimation du rêve (…) (suppose) à la base de la vie onirique, un état particulier de l'activité psychique (qui constitue) une élévation à un degré supérieur (…)

    D'autres penseurs ne vont pas si loin, mais maintiennent avec conviction que les rêves naissent essentiellement d'impulsions psychiques et mettent en scène l'expression de forces psychiques empêchées de se déployer librement pendant la journée (…) On attribue à la vie onirique une aptitude à des prestations supérieures dans certains secteurs (celui de la mémoire). »

    Une conception disons romantique du rêve. Elle remplace l'idée antique d'investissement de la psyché par le divin par la révélation, sous l'effet du rêve, d'une étincelle, sinon divine du moins supérieure, dans la psyché individuelle.

    « À cette conception s'oppose très nettement l'opinion de la majorité des auteurs médecins, qui de leur côté accordent à peine au rêve la valeur d'un phénomène psychique. Les déclencheurs du rêve, selon eux, sont exclusivement des stimuli sensoriels et somatiques, soit qui atteignent le dormeur depuis l'extérieur, soit se mettent en action par hasard dans ses organes internes (…) ou chez certains groupes de cellules spécifiques dans le cerveau, qui sinon est enfoncé dans le sommeil. »

    Ces deux conceptions, aussi divergentes qu'elles soient, ont pourtant un point commun : l'interrogation théorique : pourquoi, comment. La troisième est pragmatique, utilitariste.

    « L'opinion populaire, peu influencée par ce verdict de la science et peu soucieuse de connaître les sources du rêve, semble persister à croire que le rêve a quand même un sens, lié à la prédiction de l'avenir, et qu'on peut dégager ce sens par un quelconque procédé d'interprétation à partir du contenu souvent confus et énigmatique qui est le sien.

    Les méthodes d'interprétation employées consistent soit à remplacer le contenu onirique remémoré par un autre contenu, pièce après pièce, selon une clé fixe, soit à remplacer le tout du rêve par un autre tout auquel il se réfère à la manière d'un symbole. »

    Les termes que Freud met en italique (ce que je rends par le caractère gras) sont essentiels pour comprendre son point de vue. L'idée de clé fixe, d'interprétation passe-partout, heurte sa conception de l'originalité absolue de chaque être humain. Une conception qu'il défendra dans son débat avec Jung à propos de l'inconscient, montrant de grandes réserves sur la notion d'inconscient collectif. De même la notion de symbole, prisée aussi par Jung, lui paraît négliger l'inscription concrète dans la psyché de l'histoire individuelle du rêveur.

    Double récusation donc : celle de l'abstrait, celle de l'intemporel.

    « Mais les hommes sérieux sourient de ces efforts, ''Traüme sind Schaüme'' dit l'allemand : les rêves sont une pure et simple écume impalpable. »

    Le chapitre se termine sur une pirouette ironique, en guise de captatio benevolentiae pour inciter le lecteur à poursuivre son effort à lui : comprendre ce que le sérieux Herr Doktor Freud nous dit du rêve.