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Blog - Page 31

  • Charcot (3/5) Créant d'un côté et démontrant de l'autre

    « Charcot ne se fatigua jamais non plus de défendre contre les empiétements de la médecine théorique les droits du pur travail clinique qui consiste à voir et ordonner.(...)

    ''La théorie c'est bon, mais ça n'empêche pas d'exister''*. » (Freud. Article Charcot)

    *en français dans le texte.

     

    Freud dit avoir été, de même que les autres étudiants étrangers comme lui élevés dans la physiologie académique allemande, très impressionné par cette formule.

    Mais il ne dit pas quel mot exactement a fait schibboleth.* On parie que c'est « ça » ? (Mais non je rigole).

    « Ce fut alors une chance que le même homme pût se charger de l'exercice des deux compétences, créant d'un côté les tableaux pathologiques par l'observation clinique, et démontrant de l'autre (…) le fondement du mal. »

    Donner à la clinique tous ses droits face à la théorie, mais aussi, à partir de la clinique, produire de la théorie : cet aller-retour constant constitue tout le ressort du travail et de l'œuvre de Freud.

    La création d'une nosographie suppose déjà une théorisation implicite. C'est pourquoi il a été tenté de prendre des libertés par ci par là avec les observations cliniques, de tripatouiller les données dans le sens de ses intuitions.

    On le lui a à juste titre reproché, et d'ailleurs (on l'oublie souvent) il se l'est lui-même parfois reproché.

    Exemples entre autres le récit du rêve de "l'injection à Irma" (L'interprétation du rêve chap 2), ou l'analyse du cas Dora dans Cinq psychanalyses.

    L'auto-reproche tenait lieu d'aiguillon pour reconsidérer ce qui « existait » en dépit d'une théorisation trop hâtive. En revanche les reproches venus des autres étaient moins bien accueillis. C'est que dans l'équipe faut quand même reconnaître le chef.

    « ''L'école de la Salpêtrière'', c'était naturellement Charcot lui-même, qu'il n'était pas difficile de reconnaître en chacun des travaux de ses élèves (…)

    Dans le cercle des jeunes hommes qu'il attira ainsi à lui et qu'il fit participer à ses recherches (…) il arriva que tel se distingua par une affirmation que le maître trouvait plus brillante que juste et qu'il combattait sarcastiquement dans ses propos et ses leçons, sans que la relation à l'élève aimé en souffrît. »

    On n'est qu'en 1893 pourtant, avant la création par Freud de son petit cénacle, avant la controverse avec Adler, les relations ambivalentes puis la rupture avec Jung, Mais, pour paraphraser Hugo, déjà un grand Herr Doktor Freud perçait sous l'élève Sigmund.

    Car on peut penser qu'il fut de ces sujets brillants que Charcot « remit à sa place ».

    Ce qui l'incita à reproduire ensuite le schéma avec ses propres élèves ...

     

    *Schibboleth n.m. Avant 1778. mot hébreu « épi », du récit biblique selon lequel les gens de Galaad reconnaissaient ceux d'Ephraïm en fuite à ce qu'ils prononçaient sibboleth. Rare : Épreuve décisive qui fait juger de la capacité d'une personne. (Petit Robert)

    Personnellement je n'ai lu ce mot que dans des textes de Freud (et consécutivement de Lacan, et divers commentateurs de l'un ou l'autre ou les deux) : adhérer à son interprétation du mécanisme du rêve serait "le schibboleth de la psychanalyse."

     

     

  • Freud avec Charcot (2) Voir quelque chose de nouveau

    « On pouvait l'entendre dire que la plus grande satisfaction qu'un homme puisse vivre était de voir quelque chose de nouveau, c'est à dire de le reconnaître comme nouveau (…)

    D'où venait-il donc que les hommes ne voyaient jamais en médecine que ce qu'ils avaient déjà appris à voir, comme il était merveilleux de pouvoir voir brusquement de nouvelles choses – de nouveaux états pathologiques – qui pourtant étaient vraisemblablement aussi vieilles que le genre humain, et comme il devait lui-même se dire qu'il voyait maintenant bien des choses qui avaient durant trente ans échappé à son regard dans ses salles de malades. »

    (Freud. Article Charcot)

     

    Voilà qui rappelle nombre de passages de son œuvre où Sigmund feint de s'étonner.

    Par exemple que personne avant lui n'ait compris ce qu'il en était de l'hystérie : l'hystérique souffre de réminiscences, c'était si sorcier à deviner ?

    Ou du rêve : pour comprendre qu'il est l'accomplissement figuré d'un désir inconscient, fallait juste avoir l'idée de détricoter le travail du rêve (autrement dit se mettre à décoder, et arrêter de déconner avec des clés des songes et autres inepties, dirait Lacan) (d'ailleurs il l'a dit).

    Bref tous les moments, dans les écrits freudiens, d'autosatisfaction (plus ou moins distanciée, d'aucuns diront déguisée) qui ont le don de hérisser Onfray. (Sans doute parce que l'autosatisfaction c'est pas mal son rayon aussi) (mais pas d'analyse sauvage).

    Qui avait durant trente ans échappé à son regard dans ses salles de malades.

    Rapportée à Freud, cette notation amène deux réflexions. Lui ce n'est pas durant trente ans qu'il a cherché sans bien savoir quoi, mais presque quarante, depuis le désir de sa jeunesse d'apporter à l'humanité quelque chose de décisif.

    Oui excusez du peu hein. (Ce que c'est que d'avoir une mère juive en adoration devant son bambin) (c'est lui-même qui le dit).

    C'est autour de ses quarante ans qu'il finit par trouver sa voie, par un chemin auquel il n'avait pas songé, et que pour tout dire il trouvait en dessous de son standing intellectuel. Il se voulait grand théoricien, et c'est par la clinique qu'il fit le pas décisif, non pas dans ses salles de malades comme Charcot, mais chez lui (ou chez elles) en prenant au sérieux la parole des hystériques.

    Et pourtant c'est sans enthousiasme que, pour gagner la vie de sa famille, il s'était résolu à les écouter, ces bonnes femmes oisives qui faisaient des histoires.

     

  • Freud avec Charcot (1/5) Un visuel, un voyant

    « Il trouvait dans son grand succès un juste plaisir humain et aimait à parler de ses débuts et de la voie qu'il avait prise. »

    (Sigmund Freud Charcot. Article de 1893, in Résultats idées problèmes I PUF 1984)

     

    Freud publie cet article dans la Semaine médicale viennoise peu après la mort de Charcot, dont il avait suivi l'enseignement à la Pitié-Salpêtrière. C'est un hommage un tantinet hagiographique mais totalement sincère.

    Il rend compte de l'importance de Charcot dans l'histoire de la neuropsychiatrie, et dans celle d'un certain Sigmund par la même occasion. Il s'y acquitte de sa dette envers l'un de ses principaux maîtres.

    Mais au delà, pas besoin d'être grand exégète ni psychanalyste pour lire dans cet article un autoportrait par prétérition.

    « Ce n'était pas quelqu'un qui rumine, ni un penseur, mais une nature artistiquement douée, selon ses propres termes, un visuel*, un voyant (…)

    Il avait coutume de regarder toujours et à nouveau les choses qu'il ne connaissait pas, d'en renforcer l'impression jour après jour jusqu'à ce que soudain la compréhension en surgît. Devant l'œil de son esprit s'ordonnait alors le chaos, dont le retour incessant des mêmes symptômes avait donné l'illusion (…)

    Il appelait cette sorte de travail intellectuel où il n'avait pas son pareil, faire de la nosographie* et il en était fier. »

    *en français dans le texte (= description et classement des maladies)

    Une nature artistiquement douée, tel s'est sans doute voulu Freud l'esthète (tout en étant obligé de se reconnaître plutôt du côté des penseurs ruminants). En tout cas à la fin de sa vie, c'est bien en voyant qu'il se concevra dans l'identification à Moïse (L'homme Moïse et le monothéisme 1938).

    Quant à la nosographie initiée par Charcot, il l'appliquera dans tous les volets de son œuvre.

    Nosographie des névroses, explorant les caractéristiques de l'hystérie, de la phobie, de la névrose obsessionnelle.

    Nosographie des pathologies mentales en général, classées en névrose, psychose et perversion (cf l'ouvrage éponyme).

    Son classement des comportements « normaux » sera une nosographie aussi, voyant par exemple dans lapsus, actes manqués, tics et tocs, des symptômes à déchiffrer (d'où le titre psychopathologie de la vie quotidienne).

    De même il abordera sous l'angle nosographique la religion (dans nombre d'articles et surtout dans L'avenir d'une illusion), les arts, et même la science ou la philosophie. Bref l'ensemble des productions culturelles, et de là le phénomène-même de la culture.

    En somme, il s'est toujours agi pour lui de faire apparaître le lien organique, l'absence de solution de continuité, entre pathologique et normal.