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Blog - Page 225

  • Foules sentimentales (12/16) Trop faible seul

    Au chapitre suivant, Freud revient sur le comportement régressif de l'individu enfoulé :

    « Les signes d'affaiblissement du rendement intellectuel et de désinhibition de l'affectivité, l'incapacité de se modérer et de temporiser, la tendance au dépassement de toutes les limites dans l'expression des sentiments et à leur décharge totale dans l'action. »

    (Psychologie des foules et analyse du moi chap.9 La pulsion grégaire).

     

    Une telle régression est inhérente davantage aux foules ordinaires (un mot encore après éphémères et primaires) (le flou lexical signe les tâtonnements de la réflexion) qu'aux foules artificielles, hautement organisées.

    « Ainsi avons-nous l'impression d'un état dans lequel la motion affective isolée et l'acte intellectuel personnel de l'individu sont trop faibles pour se faire valoir seuls et sont absolument forcés d'attendre que la confirmation leur vienne d'une répétition identique chez les autres. »

    (Toute ressemblance avec la recherche de clics approbateurs sur les réseaux sociaux n'est pas fortuite).

     

    Et du coup forcément « l'énigme de l'influence de la suggestion s'accroît pour nous (…) et nous nous faisons le reproche d'avoir mis unilatéralement l'accent sur la relation au meneur, en repoussant injustement celui de la suggestion réciproque. »

     

    Parenthèse. Les écrits de Freud, s'ils sont intéressants par leur contenu, le sont au moins autant par leur mode de formulation. Freud associe le lecteur à sa réflexion en lui présentant au fur et à mesure les divers états d'un work in progress.

    Bon quiconque connaît un peu le bonhomme saura corriger en « ce qu'il donne pour » un work in progress. Vieille ficelle rhétorique de captatio benevolentiae.

     

    Pour ma part je marche, malgré la petite manipulation.

    J'y lis surtout une paradoxale et touchante naïveté dans l'exposition de son désir d'auteur :

    « ne me lâche pas lecteur, sans toi je parle dans le vide. Même si Onfray ou d'autres trouvent que je parle pour ne rien dire, c'est pas grave. Car le pire, vois-tu, c'est de ne parler pour personne. »

     

  • Foules sentimentales (11/16) Un détour du narcissisme

    « Dans l'état amoureux une certaine quantité de libido narcissique déborde sur l'objet. Dans maintes formes de choix amoureux, il devient même évident que l'objet sert à remplacer un idéal du moi propre, non atteint. »

    (Freud Psychologie des foules et analyse du moi chap.8. État amoureux et hypnose)

     

    Bref, résume Freud cyniquement, l'amour n'est jamais qu'un détour pour satisfaire son narcissisme. Mais le narcissisme finit mal, sinon en général, en tous cas dans « ses développements extrêmes qu'on appelle fascination, sujétion amoureuse.»

    Alors le mouvement identificatoire s'inverse. Au contraire de s'augmenter des qualités de l'objet le sujet « est appauvri, il s'est abandonné à l'objet, a mis celui-ci à la place de son élément constitutif le plus important. » Plus qu'appauvri donc, évidé, et remplacé par un autre-soi.

     

    « Il n'y a manifestement pas loin de l'état amoureux à l'hypnose. Même soumission humble (…) même absence de critique (…) même résorption de l'initiative ; aucun doute, l'hypnotiseur a pris la place de l'idéal du moi. »

    En effet, poursuit Freud renvoyant à son article Compléments métapsychologiques à la théorie du rêve, « parmi les fonctions de l'idéal du moi, il y (aurait) aussi l'exercice de l'épreuve de réalité. » 

    Quelle qu'en soit l'explication, la distorsion de réalité joue un rôle non négligeable dans le mécanisme d'enfoulement. C'est un fait que nous pouvons constater dans maints exemples actuels. Surtout (et logiquement) pour les foules virtuelles s'agrégeant au hasard des réseaux.

     

    Inversement « on peut dire aussi que la relation hypnotique est – si cette expression est permise – une formation en foule à deux. » (Je permets, Sigmund, très joli).

    Et ainsi « De la structure compliquée de la foule, elle isole pour nous un élément, le comportement de l'individu en foule envers le meneur. »

    C'est l'élément décisif pour donner la formule de la constitution libidinale d'une foule. (Du moins précise-t-il, une foule primaire et non secondaire, devenue une organisation cf supra l'église et l'armée)*.

    « Une telle foule primaire est une somme d'individus, qui ont mis un seul et même objet à la place de leur idéal du moi et se sont en conséquence, dans leur moi, identifiés les uns aux autres. »

    Donc un phénomène d'identification où c'est la fascination, la sujétion amoureuse pour le meneur qui est le trait unaire (cf 10/16) suffisant.

     

    *Freud voyait-il dans sa lucidité que certain meneur fascinait assez la foule pour conférer à son parti nazi (foule secondaire) les pires caractères de la foule primaire ?

    De fait la distinction foule primaire (éphémère) et secondaire (organisée) reste floue dans tout l'article (cf 4/16).

     

  • Foules sentimentales (10/16) A Maman pour la vie

    Le déterminant pour l'enamoramento ?

    Freud répond : L'identification (Psychologie des foules et analyse du moi. Titre chap.7)

    Il en résume ainsi le processus :

    « Premièrement, l'identification est la forme la plus originaire du lien affectif à un objet. » Un lien étrangement indécis entre le désir d'être ou d'avoir l'objet, de se l'assimiler.

    Caractère visible dans la phase orale (le bébé avec le sein), mais qui peut s'inscrire culturellement. « Le cannibale, comme on sait (…) aime ses ennemis jusqu'à les dévorer, et ne dévore pas ceux qu'il ne peut aimer d'une manière ou d'une autre. »

     

    « Deuxièmement, par voie régressive (à l'oralité), elle devient le substitut d'un lien objectal libidinal (comme dans la phase dite génitale) en quelque sorte par introjection de l'objet dans le moi. »

    Le sujet s'approprie un trait de son objet d'amour/intérêt (comportement, langage, apparence) qui en est pour lui la marque caractéristique. (Einzige Zug écrit Freud, un certain trait, Lacan traduira trait unaire). C'est le moyen de l'avoir toujours avec lui, de ne jamais en être séparé. 

    En quoi l'adoption du trait unaire évoque un tatouage genre à Maman pour la vie (pour rester dans une note oedipienne).

     

    « Troisièmement, elle peut naître chaque fois qu'est perçue à nouveau une certaine (einzige) communauté avec une personne qui n'est pas objet des pulsions sexuelles. Plus cette communauté est significative, plus cette identification partielle doit pouvoir réussir et correspondre ainsi au début d'un nouveau lien. »

    C'est à ce troisième axe d'identification que Freud rapporte le lien réciproque entre les individus de la foule. Soulignons réciproque (gegenseitige) : le lien se fait d'individu à individu, et la foule se construit en tant que telle (comme nouveau lien) par intégration de ces liens successifs.

    L'atteinte d'un niveau significatif des réciprocités mises en œuvre, celui qui sera à même de créer le nouveau lien (l'enfoulement à proprement parler), dépend donc du type du trait qui fait reconnaissance.

    Plus il sera simple, facile à percevoir et à reproduire, plus vite et plus fortement il soudera la communauté.

     

    Slogans en guise d'explication du monde et de programme d'action, désignation de personnes ou groupes dont l'écartement, voire l'élimination serait nécessaire à la cohésion et à l'identité de ladite communauté : les exemples historiques et contemporains de ces modes d'enfoulement ne manquent pas.