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Blog - Page 228

  • Foules sentimentales (3/16) Emportés par la foule

    Glosant Le Bon (selon son terme), Freud (Psychologie des foules et analyse du moi chap2 La peinture de l'âme des foules par Le Bon) revient à sa suite sur trois caractères de l'individu qui seraient de nouvelles propriétés conférées par sa mise en foule (ou sa prise par la foule, je ne sais comment dire).

     

    La foule étant anonyme, et par conséquent irresponsable, l'individu noyé dans la masse (comme on dit bien) s'autorise à céder à des instincts, que, seul, il eût forcément réfrénés.

    Freud en profite pour préciser en note la plus-value qu'il pense apporter à la réflexion de Le Bon.

    « Son concept d'inconscient ne coïncide pas totalement avec celui adopté par la psychanalyse. Il inclut avant tout les caractères les plus profonds de l'âme de la race, laquelle à vrai dire n'entre pas en ligne de compte pour la psychanalyse individuelle.

    (…) Le concept de refoulé manque chez Le Bon. »

    Je souligne ce passage car il marque bien la différence entre la psychanalyse freudienne et toute autre « psychologie des profondeurs » (à commencer par le jungisme) (il est certain que Freud y songe en écrivant ce texte et tient une fois de plus à tacler son ex-disciple).

    Le concept de refoulé individuel est essentiel pour lui. Il signe la dynamique conflictuelle de la personnalité (cf 1/16 à propos de Le moi et le ça), et son inscription dans la linéarité d'une histoire précise, unique.

    En d'autres termes, ce n'est pas l'être humain en soi qui est l'objet de ses interrogations, mais la manière dont chacun(e), dans le cours de sa vie, se débrouille avec son humanité.

     

    Outre l'irresponsabilité, on remarque chez les individus mis en foule (tiens, je vais dire enfoulés) la contagion mentale, découlant d'une forte suggestibilité.

    (Voilà qui amène le rapprochement entre réseaux sociaux et foule ainsi définie : viralité d'une vidéo, d'un tweet, facilité à croire une rumeur) (une des motivations, tu t'en doutais, lecteur-trice, de ma relecture de ce texte).

     

    Ce sont ces éléments conjugués qui donnent à la foule une irrésistible impétuosité vers l'accomplissement de certains actes.

    Des actes qui sont du genre à faire descendre à l'homme plusieurs degrés sur l'échelle de la civilisation. (Qu'en termes galants ces choses-là sont mises, non ?)

     

  • Foules sentimentales (2/16) D'emblée sociale

    « L'opposition entre la psychologie individuelle et la psychologie sociale, ou psychologie des foules, qui peut bien à première vue paraître très importante, perd beaucoup de son acuité si on l'examine à fond. (…)

    Dans la vie psychique de l'individu pris isolément l'Autre intervient très régulièrement en tant que modèle, soutien et adversaire, et de ce fait la psychologie individuelle est aussi, d'emblée et simultanément, une psychologie sociale, en ce sens élargi mais parfaitement justifié. »

    (Freud. Psychologie des foules et analyse du moi. Introduction)

     

    L'Autre en question s'incarne d'abord, au plus près de l'individu, dans les relations familiales, ou encore dans «son objet d'amour, son professeur ou son médecin, donc dans toutes les relations qui ont jusqu'à présent fait l'objet privilégié de l'investigation psychanalytique. »

    Il s'incarne de façon plus large dans les groupes intermédiaires auxquels appartient l'individu, lignée, caste, classe, institution. Ces groupes sont pour Freud des foules stables.

     

    Revenons un instant sur ce terme. Pour traduire le mot dans Psychologie des foules de Le Bon, appui principal de sa réflexion on le verra, Freud choisit le plus souvent Masse (en particulier pour son titre).

    Mais il dit aussi parfois Menge (mot courant pour foule), parfois Gruppe, sans introduire de nuance particulière (disent les traducteurs de l'édition que j'utilise, Payot 81). Autrement dit il entend désigner n'importe quel ensemble social relativement nombreux et déployé dans l'espace et/ou le temps.

    Et puis il y a la foule non stable, non instituée, « agrégat humain qui s'organise en foule pour un temps donné, dans un but déterminé. »

     

    Le point central est celui énoncé d'emblée : il n'y a pas rupture de continuité entre les mécanismes psychologiques qui font mouvoir l'individu, ceux de chacun des groupes où il est inclus, et ceux enfin de la société dans son ensemble.

    Réciproquement, toute foule est à considérer du point de vue psychologique comme un nouvel individu, agrégeant certes les individus qui la composent, mais en leur conférant des caractères qu'ils n'ont pas isolément.

     

  • Foules sentimentales (1/16) Contexte

     

    Freud publie Psychologie des foules et analyse du moi (Massenpsychologie und Ich-Analyse) en 1921. Dans les publications modernes, ce texte a été regroupé avec trois autres sous le titre Essais de psychanalyse.

     

    Considérations actuelles sur la guerre et la mort (1915). Le titre comme la date se passent de commentaires. Effarant autant que déprimant : ce texte est resté (faut-il dire ne cesse de redevenir) d'une actualité brûlante. (voir ce blog 17-24 sept 2014).

    Au-delà du principe de plaisir (1920). Un des textes les plus étonnants de Freud, dans lequel la réflexion sur la répétition névrotique fait passer du jeu d'un bébé (son petit neveu) aux traumas des soldats de 14*, pour finir par forger le concept de pulsion de mort.

    Bref on est toujours dans la franche rigolade (à part le moment sur le jeu où l'on s'attendrit devant l'art d'être grand-oncle de ce bon vieux Sigmund).

     

    Le moi et le ça (1923). Freud élabore sa 2° topique (représentation selon une métaphore spatiale). La 1ère avait formulé dynamique et structure du psychisme selon le rapport conscient/inconscient. La 2° distingue 3 instances qu'elle articule à ce rapport.

    Le ça (Es) est le réservoir pulsionnel du moi. Il comprend le refoulé qu'on peut retrouver par l'analyse, mais aussi un ics irréductible.

    Le surmoi (Überich) est l’instance qui intègre normes, interdits parentaux et sociaux, valeurs directrices. Freud l’associe surtout à la conscience morale. Il est en partie cs, en partie ics.

    Le moi (Ich) a la dure mission de synthétiser la personnalité. Il doit gérer d'un côté le rapport à la réalité, de l'autre les tensions entre ça et surmoi. Ce qui en fait une double zone tampon. Entre exigences pulsionnelles primaires et exigences morales raisonnées, d'une part ; entre élan immédiat et prise en compte de la réalité (conditions matérielles, relations avec les autres etc.).

    Ainsi pour Freud le psychisme humain n'existe que dans sa dynamique de conflits successifs. Prise en compte et résolution (même temporaire) du conflit = psychisme fonctionnel. Évitement du conflit ou fixation sur lui = psychisme dysfonctionnel.

     

    Voilà pour le contexte de Psychologie des foules. Cet ensemble d'essais n'est guère réjouissant par son contenu. Mais on y trouve la constante des écrits de Freud : énergie intellectuelle, puissance (dirait Spinoza) mise à chercher, à comprendre. Ceci console de cela.

     

    * Voir le magnifique film "1917" de Sam Mendes.