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Blog - Page 226

  • Foules sentimentales (9/16) Comme s'ils étaient uniformes

    Poursuivant l'analyse des foules selon le paramètre libidinal, Freud remarque que les individus en foule semblent échapper à un caractère essentiel du lien, qu'il nomme ambivalence.

    « Selon le témoignage de la psychanalyse, presque tout rapport affectif intime de quelque durée entre deux personnes – relation conjugale, amicale, parentale et filiale – contient un fond de sentiments négatifs et hostiles, qui n'échappe à la perception que par suite du refoulement. »

    (Psychologie des foules et analyse du moi chap.6 Autres problèmes et orientations de travail)

     

    Il rapporte ces sentiments négatifs, inclus dans la positivité de la libido, à la prévalence du narcissisme, lien de soi à soi, sur tout lien à autrui.

    Une ambivalence particulièrement sensible dans le « narcissisme des petites différences. L'Allemand du Sud ne peut pas sentir l'Allemand du Nord, l'Anglais dit tout le mal possible de l'Ecossais, L'Espagnol méprise le Portugais. 

    Que de plus grandes différences aboutissent à une aversion difficile à surmonter, celle du Gaulois contre le Germain, de l'Aryen contre le Sémite, du Blanc contre l'Homme de couleur, a cessé de nous étonner. »

    (Passage qui mériterait des tonnes de commentaires – d'ailleurs il les a eues. La lecture visuelle rend frappante l'avalanche de majuscules accusant l'essentialisation au fondement de toute discrimination).

     

    Curieusement « toute cette intolérance se dissipe, temporairement ou durablement, du fait de la formation en foule et à l'intérieur de la foule (…) les individus se conduisent comme s'ils étaient uniformes, supportent la singularité de l'autre, se mettent à égalité avec lui et n'éprouvent aucun sentiment de répulsion à son endroit. »

    (Il a rappelé plus haut la parabole des porcs-épics de Schopenhauer cf ce blog 29-12-2016).

     

    Le pas suivant du raisonnement consiste à rapprocher les limitations de l'amour de soi narcissique que vivent les enfoulés des manifestations de l'état amoureux.

    Autrement dit, l'enfoulement serait de l'ordre de l'enamoramento. S'agréger à une foule serait un peu comme tomber amoureux.

    D'où la question suivante : quel élément est déterminant pour provoquer le mécanisme d'enamoramento ?

     

  • Foules sentimentales (8/16) Foules sentimentales

    Freud a mentionné plus haut (cf Autres évaluations 5/16) la discrimination possible des foules en fonction du temps, entre foules éphémères ponctuellement rassemblées, et foules structurées au long cours.

     

    Il en envisage une autre, à ses yeux plus déterminante encore « la distinction entre foules sans meneur (Führer) et celles avec meneur. »

    Il la développe en analysant Deux foules artificielles : l'église et l'armée. (Titre chap.5 Psychologie des foules et analyse du moi.)

     

    Artificielles ? « C'est à dire qu'une certaine contrainte extérieure est mise en œuvre pour les préserver de la dissolution et éviter des modifications quant à leur structure. »

    En clair ce sont des institutions que le souci premier de se préserver en tant que telles rend intolérantes à toute dissidence (hérésie, objection de conscience etc).

    Et par conséquent (Freud ne le dit pas, mais ça va sans dire) en délicatesse avec la vérité, ferventes pratiquantes du mensonge par omission.

    Secret défense de la grande Muette (justifié parfois, parfois dévoyé), secret de la confession, fabuleuse omerta cléricale d'un si bel usage pour l'édification de la jeunesse.

     

    Dans ces foules artificielles « prévaut le même mirage (illusion) qu'un chef suprême est là (…) qui aime tous les individus de la foule d'un égal amour. De cette illusion, tout dépend. » Elle est le ciment des liens entre enfoulés à tous niveaux.

    « Il est indubitable que le lien unissant chaque individu isolé au Christ est également la cause de leurs liens mutuels. Il en va pareillement pour l'armée ; le commandant en chef est le père, qui aime tous ses soldats également, et c'est pourquoi ils sont camarades entre eux. »

     

    L'analyse de ces deux foules reste largement pertinente. Ce que ce chapitre amène en outre, c'est la perception du fonctionnement totalitaire, comme y invite le terme de meneur.

    À cet égard, le fascisme italien et le nazisme n'en étaient certes qu'à leurs balbutiements. En revanche la lucidité sur les dérives du régime soviétique naissant était déjà possible. Et autres encore.

    « Si un autre lien à la foule prend la place du lien religieux, ce à quoi le lien socialiste semble actuellement parvenir, il en résultera la même intolérance envers ceux de l'extérieur qu'au temps des guerres de religion, et si les différences de points de vue dans les sciences pouvaient jamais avoir pour les foules une importance analogue, c'est également pour ce motif que le même résultat se reproduirait. »

    Encourageant, non ?

     

  • Foules sentimentales (7/16) Concept miracle

    « Ce qui nous est habituellement offert comme explication par les auteurs traitant de sociologie et de psychologie des foules, c'est toujours la même chose, quoique sous des noms changeants : le mot magique de suggestion. »

    (Freud. Psychologie des foules et analyse du moi chap.4 Suggestion et libido)

     

    (Parmi ces noms changeants il cite contagion, imitation).

    Le concept de suggestion a gêné Freud dès le début, dit-il, lors de son séjour en France, en assistant aux expériences d'hypnose de Bernheim.

    « Je n'ai pas perdu le souvenir d'une sourde hostilité qu'alors j'éprouvais déjà contre cette tyrannie de la suggestion ».

    En effet, c'était là injustice patente et acte de violence envers le pauvre malade accusé de se contre-suggestionner s'il n'était pas bon sujet hypnotisable.

    Au plan théorique, le reproche était que « la suggestion, qui expliquerait tout, devrait elle-même être dispensée d'explications. »

    La génération spontanée d'un concept est forcément louche (genre imaginer Oedipe né dans un chou).

     

    Trente ans après, Freud pense avoir trouvé un concept plus satisfaisant, « qui nous a rendu de si bons services dans l'étude des psychonévroses.

    Nous désignons par libido l'énergie, considérée comme grandeur quantitative – quoique pour l'instant non mesurable –, de ces pulsions qui ont affaire avec tout ce que nous résumons sous le nom d'amour. »

     

    Après le mot magique, le concept miracle, à voir l'extension du domaine de la libido : l'amour sexuel mais aussi « l'amour filial et parental, l'amitié et l'amour des hommes en général (et) même l'attachement à des objets concrets et à des idées abstraites. »

    Un miracle de synthèse :

    « toutes ces tendances sont l'expression des mêmes motions pulsionnelles, qui dans les relations entre sexes poussent à l'union sexuelle, et qui dans d'autres cas sont certes détournées de ce but sexuel ou empêchées de l'atteindre, mais qui n'en conservent pas moins assez de leur nature originelle pour garder une identité bien reconnaissable (sacrifice de soi, tendance à se rapprocher). »

     

    Ce concept-clé a valu à son auteur, de la part de la majorité des gens cultivés, le reproche de pansexualisme. Il le note ici comme un discret (ou pas) clin d'œil à son courage intellectuel et son anticonformisme.

    Puis, revenant à ses foules moutonnières :

    «Nous allons donc maintenant risquer l'hypothèse que les relations amoureuses (en termes neutres : liens sentimentaux) constituent également l'essence de l'âme des foules. »