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Blog - Page 227

  • Foules sentimentales (6/16) Portrait-robot

    Les « principal conditions » pour que s'organise la vie psychique de la foule sont selon Mc Dougall au nombre de cinq. (Freud. Psychologie des foules et analyse du moi chap.3)

     

    « La première condition fondamentale est un certain degré de continuité dans la composition de la foule (qui) peut être matérielle ou formelle ; matérielle quand les mêmes personnes demeurent en foule un temps assez long ; formelle quand à l'intérieur de la foule s'instaurent des positions déterminées assignées à des personnes qui se relaient. »

    Dans la pratique historique, la continuité matérielle du faire foule est celle des moments fondateurs, et la continuité formelle l'apanage des institutions qui en émergent.

    Passage de députés rassemblés dans la salle du Jeu de Paume à la structure de l'état jacobin. De disciples regroupés dans une salle après la mort de leur rabbi à la multinationale église catholique.

     

    « La deuxième est que se soit formée en chaque individu de la foule une représentation déterminée de la nature, de la fonction, des réalisations et des exigences de la foule, de sorte qu'il en résulte pour lui un rapport affectif à l'ensemble de la foule. »

    Rôle-clé d'idéologies, de storytellings, non seulement pour structurer la pensée, mais surtout stimuler le moteur affectif de l'action.

    « La troisième est que la foule soit mise en rapport avec d'autres formations de foules semblables à elle, mais pourtant s'écartant d'elle sur plusieurs points, et que, par exemple, elle rivalise avec celle-ci.

    La quatrième est que la foule possède des traditions, des coutumes et des institutions, en particulier de celles qui concernent les relations réciproques de ses membres.

    La cinquième est qu'il y ait dans la foule une organisation qui s'exprime dans la spécialisation et la différenciation de l'activité qui échoit à l'individu. »

     

    On voit ici se dessiner le portrait-robot des foules partis politiques, foules religions, foules clans, foules nations : besoin d'autre(s) foule(s) posée(s) en miroir, dans un schéma antagonique. Transmission culturelle fondant et assurant la hiérarchisation de la structure.

     

    Freud conclut qu'avec ces propriétés « il s'agit de doter la foule des propriétés-mêmes qui étaient caractéristiques de l'individu et qui s'effacèrent chez lui du fait de la formation en foule. »

    Un premier enfoulement déstructure l'individu, un second le reconfigure. Pourquoi pas dira-t-on, si c'est pour la bonne cause.

    Déjà l'expression mérite soupçon, ce n'est plus à démontrer.

    Autre problème dans l'opération l'individu perd son originalité et se coule dans un moule. Les traits de son visage sont redessinés selon un portrait-robot.

    Et là ça peut vraiment craindre.

  • Foules sentimentales (5/16) Autres évaluations

     

    Avec Autres évaluations de la vie psychique collective (Psychologie des foules et analyse du moi chap.3), Freud rapproche l'analyse de Le Bon et deux autres.

    Celle d'un dénommé Sighele formulée un peu avant dit-il, aux alentours de 1910, et surtout The Group Mind publié par Mc Dougall en 1920.

    Voilà qui m'inspire d'abord une remarque sur la manière dont Freud travaille.

     

    Il commence à s'intéresser à la question de l'organisation des sociétés avec Totem et Tabou (1912). Ce livre s'appuie sur une bibliographie considérable, constituée en grande part d'ouvrages récents. Preuve que Freud d'une part n'est pas du genre à bricoler, d'autre part est à l'affût de toute pensée nouvelle.

    Il est du genre penseur obsessionnel, capable de tracer son sillon pendant des années dans une thématique qui lui tient à cœur.

    Et celle-ci est pour lui essentielle. Il ne la lâchera pas, de Totem et Tabou donc, jusqu'à son ultime ouvrage L'homme Moïse et le monothéisme (1938), en passant par celui qui nous occupe.

     

    Freud tire d'abord de ces lectures une évidence :

    « On a vraisemblablement réuni sous le terme de 'foule' des formations très différentes qui ont besoin d'être distinguées. » 

    La réflexion de Le Bon porte sur des foules éphémères, dont la « peinture lui est inspirée par les caractères des foules révolutionnaires, en particulier de la grande Révolution française. »

     

    Mc Dougall, lui, étudie le passage de la foule comme agrégat (crowd) à la foule organisée en groupe, notant les «conditions nécessaires pour que s'élève à un niveau supérieur la vie psychique de la foule. »

    Autrement dit les conditions à même de canaliser le côté primaire (cf Aucun délai) de l'individu enfoulé. Pour un mieux-éthique. Ou pas.

     

  • Foules sentimentales (4/16) Aucun délai

    La foule « ne supporte aucun délai entre son désir et la réalisation de ce qu'elle désire (…) la notion d'impossible disparaît. (…) Extraordinairement suggestible et crédible, elle est dépourvue d'esprit critique, l'invraisemblable n'existe pas pour elle. »

    (Freud. Psychologie des foules et analyse du moi chap.2)

     

    L'individu enfoulé* perd conscience des limites. Il se déstructure littéralement, la foule dissout ses repères concrets de temps et d'espace, et surtout ses repères logiques. Ce qui ouvre la voie à la perte des repères moraux.

     

    Cependant Freud (comme Le Bon) n'instruit pas seulement à charge. Il souhaite juger équitablement de la moralité des foules.

    Certes « toutes les inhibitions individuelles tombent, tous les instincts cruels, brutaux, destructeurs sont réveillés (…) Mais les foules sont également capables, sous l'influence de la suggestion, de grands accès de renoncement, de désintéressement, de dévouement à un idéal. »

    Dans la mesure où les limites de son moi s'y dissolvent, l'individu enfoulé est en effet porté à oublier (un peu et pour un temps bref) son intérêt personnel, qui est pourtant d'habitude « son mobile à peu près exclusif. »

    « Alors que l'activité intellectuelle de la foule se situe toujours très au-dessous de celle de l'homme isolé**, son comportement éthique peut tout aussi bien s'élever très au-dessus de ce niveau que descendre très au-dessous. »

    Oui enfin s'élever très au-dessus ... à condition pour l'individu en question de partir de vraiment bas, non ?

     

    Le Bon, dit Freud, relève encore deux caractères.

    « La foule est soumise à la puissance véritablement magique de mots qui peuvent provoquer dans l'âme des foules les plus formidables tempêtes et les calmer.

    Les foules n'ont jamais connu la soif de la vérité. Elles réclament des illusions auxquelles elles ne peuvent renoncer. »

    Deux caractères dans lesquels Freud retrouve « la prédominance de la vie fantasmatique (…) déterminante dans la psychologie des névroses. »

     

    *que la foule soit matérielle ou virtuelle, dans l'anonymat du net.

    **quand on est plus de quatre on est une bande de cons dit Brassens encore plus sévèrement (car mettant le seuil critique de l'enfoulement fort bas).