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Blog - Page 232

  • Etoiles filantes (6/7)

    La troisième étoile filante laissa dans le ciel d'été une traînée d'un blanc argenté qui brillait comme du givre.

    Et Madeleine qui n'était pas frileuse en ce temps-là fit le vœu d'aller en voyage au Pôle Nord. Là-bas où, au milieu des glaces éternelles, les Esquimaux chassent l'ours blanc et découpent la peau des phoques.

    La vieille Madeleine, tendant ses mains vers le feu de bois, hoche la tête en souriant. Non, elle n'est jamais allée au Pôle Nord. Le plus au Nord où elle soit allée dans sa vie, c'est à Amsterdam avec Léon, pour fêter un anniversaire de mariage.

    Il pleuvait et il faisait froid, ça tombait mal : ils avaient dû se replier au musée au lieu de flâner le long des canaux. Ah mais non, ça n'était pas mal tombé. Elle se souvient de la somptuosité des fleurs, des étoffes, de la présence si proche des visages sur la toile, de leur évidence.

    Et pourtant c'étaient des choses perdues, des gens morts depuis si longtemps.

    Elle se souvient, surtout, du tableau qu'elle préféra, ce jour de pluie au musée : La Ronde de nuit. Longtemps, elle était restée devant la petite fille blonde qui courait, une enfant de lumière qui arrivait jusqu'à elle depuis le fond noir du grand tableau, depuis la nuit du temps où dormait à jamais le grand Rembrandt.

     

    Non, elle n'est pas allée au Pôle Nord, mais bon : elle a vu tant de documentaires à la télé, qu'elle a l'impression d'avoir fait plusieurs séjours sur la banquise et dormi dans des igloos enfumés tandis que le blizzard transperçait la nuit polaire. Oui, au fond, Madeleine ne peut pas dire que la troisième étoile filante n'a pas exaucé son vœu.

    C'est autrement qu'elle l'avait imaginé, c'est tout.

    À vue d'étoile de toutes façons, le Pôle Nord et la latitude, nettement plus méridionale, où était posé son poste de télé dans sa maison devaient se confondre.

    Exactement comme à vue d'étoile, elles nichaient peut être dans le même endroit du temps, la petite fille de lumière qui traversait le tableau comme une étoile filante, et elle la vieille Madeleine immobile à côté de son feu.

    Peut être aussi dans le même endroit du temps, vue de l'étoile, le grand Rembrandt son pinceau à la main.

     

  • Etoiles filantes (5/7)

    La deuxième étoile filante, ce fut un trait qui avait la clarté de l'or : un collier d'or très fin qui brilla un instant sur la robe bleu-marine de la nuit.

    Et Madeleine qui était coquette en ce temps-là fit le vœu d'avoir elle aussi un beau collier d'or pour mettre avec sa robe à volants.

     

    Seulement le lendemain, c'est une robe sans volants qu'on lui passa pour aller au cimetière. En fait ce n'est pas qu'elle était partie si loin, sa grand mère : elle était seulement enfermée dans un « cercueil ». C'était pas loin, mais c'était bien fermé. C'était pour ça qu'elle ne reviendrait jamais.

    Il y eut des tas de discours et de prières, c'était ennuyeux.

     

    Madeleine passait le temps en regardant la chaîne que portait sa mère et à laquelle était accrochée une pierre transparente. Mais pour le collier de son vœu, elle eut beau attendre les jours suivants, les semaines suivantes, rien.

     

    Madeleine fut bien déçue, et puis elle oublia.

    Mais plusieurs années après, le jour de ses dix-sept ans, sa mère en l'embrassant lui tendit un petit écrin. Quand elle l'ouvrit, Madeleine eut l'impression d'avoir déjà vu ce fin collier d'or qui reposait sur le velours bleu-marine ... Ah mais oui, c'était bien cela !

    La deuxième étoile filante avait exaucé son deuxième vœu.

     

    Cela avait pris un peu de temps, c'est vrai. Mais après tout, les étoiles filantes, malgré leurs airs pressés, comptent probablement plutôt en années-lumière qu'en dixièmes de secondes. Madeleine aurait aussi bien pu recevoir le collier pour son cinq-millième anniversaire !

     

  • Etoiles filantes (4/7)

    Maman n'était pas venue. Elle était restée à la maison toute seule. Dans l'après midi, elle avait dit à Madeleine, assise sur ses genoux « La nuit dernière ta grand mère est partie …

    - Partie loin ?

    - Oui, ma chérie. Elle est partie … loin. On ne la reverra plus.

    - On ira loin, nous aussi, Maman ? Tu iras ? Et moi, j'irai, un jour ?»

    Sa mère n'avait pas répondu. Elle s'était levée, était allée à la fenêtre. Instinctivement, Madeleine avait su qu'il valait mieux partir avant qu'elle se retourne.

     

    Plus tard en se promenant, sa main dans la grande main de son père, Madeleine avait pensé « Je veux en voir beaucoup, d'étoiles filantes, et je ferai un vœu nouveau à chaque nouvelle étoile ! »

    Ce soir-là, elle avait vu quatre étoiles filantes, oui quatre !

     

    La première étoile avait tracé dans un coin du ciel un grand trait de lumière presque orange : une couleur de tarte à l'abricot. Et Madeleine qui était gourmande en ce temps-là avait fait le vœu de manger le lendemain de la tarte à l'abricot.

    Seulement, le lendemain, elle eut beau rôder autour de la cuisine, sa mère ne préparait pas la moindre tarte, pas plus aux pommes qu'à l'abricot. Maman avait les yeux tout rouges, et tous les adultes parlaient entre eux avec des voix sourdes.

    Aussi bien on ne mangerait même pas, aujourd'hui …

    Et puis voilà qu'à midi moins cinq, tante Elisabeth avait dit « Il faut quand même donner quelque chose aux enfants … Je file à la boulangerie. » Elle avait dit à Madeleine « Je te rapporte quoi, mon chou ? »

    Madeleine était une petite fille polie « Ce que tu voudras, tante Elisabeth. »

    Sa tante était revenue avec des fougasses, des chaussons au fromage, du pain de seigle. Et puis un carton à gâteau ...

    « Et alors, Madou, ça se mange pas qu'avec les yeux ! Si t'en veux pas donne-moi ta part » Sans attendre la réponse, le grand frère avait chipé dans son assiette.

    Une tartelette à l'abricot, de cette belle couleur orangée qui avait brillé la veille dans un coin du ciel …

     

    La première étoile filante avait exaucé le premier vœu de Madeleine !