Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Blog - Page 235

  • Quelque chose qu'il nie des autres

    « (La) tristesse qu'accompagne l'idée de notre faiblesse s'appelle humilité ; et la joie qui naît de la contemplation de nous-mêmes, amour-propre (philautia) ou bien satisfaction de soi (acquiescentia in se ipso). »

    (Spinoza Éthique part.3 scolie prop.55)

     

    Le problème pour la phil-autia c'est qu'on manque d'auto-nomie, assujetti qu'on est au conformisme social humain trop humain*.

    Si bien que pour s'assurer qu'on est quelqu'un, qu'on le reste, on va en chercher toujours plus de preuves dans l'admiration d'autrui (facebook un jour facebook toujours).

     

    « De là vient que chacun adore raconter ses hauts faits et faire étalage de ses forces tant corporelles que spirituelles, et que les hommes, pour cette raison, sont pénibles les uns aux autres. »

    Phénomène déjà rencontré avec le grotesque orgueilleux (cf Mytho). Ici cette pénibilité révèle pleinement sa face obscure.

    « D'où de nouveau il suit que les hommes sont envieux par nature, autrement dit se réjouissent de la faiblesse de leurs égaux et, au contraire, sont attristés de leur vertu. »

    Leurs égaux. L'égalité essentielle qui fait de chacun un exemplaire de l'humaine condition. Mais précisément l'envie, naturelle à cette humaine condition, fait que chacun veut sortir du lot, être plus égal.

    Il est d'autant plus content de lui « qu'il peut mieux (se) contempler comme une chose singulière. » Là on dit oui OK, où est le mal ?

     

    « Et donc, là où chacun se réjouira le plus à se contempler lui-même, c'est quand il contemple en lui-même quelque chose qu'il nie de tous les autres. Mais si ce qu'il affirme de soi, il le rapporte à l'idée universelle d'homme ou bien d'animal, il ne se réjouira pas autant (…) il sera attristé s'il imagine que ses actions, comparées à celles des autres, sont plus faibles, tristesse que du reste il s'efforcera d'éloigner, et ce en interprétant de travers les actions de ses égaux ou en enjolivant les siennes autant qu'il peut. »

    Enjoliver ses actions, bon : Tartarin de Tarascon fait rire. Mais interpréter de travers (formule lourde de calomnies et diffamations) les actions des autres pour les rabaisser, là ça commence à craindre.

    Après quoi le scolie finit de nous plomber avec cette remarque trop souvent vérifiée :

    « À quoi s'ajoute l'éducation même. Car les parents, d'ordinaire, incitent leurs enfants à la vertu par le seul aiguillon de l'honneur et de l'envie. »

     

    *prop.29 : Nous nous efforcerons de faire tout ce que nous imaginons que les hommes considèrent avec joie, et au contraire nous aurons de l'aversion à faire ce que nous imaginons que les hommes ont en aversion. (cf Habituellement humanité)

  • Opium du peuple

    « L'amour et la haine à l'égard d'une chose que nous imaginons être libre doivent l'un et l'autre être plus grands, à cause égale, qu'à l'égard d'une chose nécessaire »

    (Spinoza Éthique part.3 prop.49)

     

    « De là suit que les hommes, du fait qu'ils s'estiment libres, se poursuivent les uns les autres d'un amour ou bien d'une haine bien plus grands qu'ils ne font des autres choses ; à quoi s'ajoute l'imitation des affects ».

    (scolie prop.49)

     

    D'où l'intérêt, pour esquiver une probable haine, d'arriver à convaincre les autres que le mal qu'on leur inflige est chose nécessaire.

    « C'est comme ça, c'est une loi de la vie, de l'économie (le célèbre there is no alternative de Thatcher en son temps), ou encore c'est la volonté de (tel ou tel) Dieu ».

    Ce qui amène naturellement la question : comment se fait-il que tous les perdants, les malmenés, les sacrifiés de ces fausses nécessités se laissent convaincre ?

     

    Réponse : Nous sommes par nature ainsi constitués que nous croyons facilement à ce que nous espérons, et difficilement à ce qui nous fait peur, et que nous en faisons soit plus soit moins de cas qu'il n'est juste. Et c'est de là que sont nées les superstitions auxquelles les hommes sont partout en proie. (Scolie prop.50)

    C'est à dire que la superstition nous convainc plus que la raison, triste réalité.

     

    Exemple aujourd'hui. Pourquoi est-on porté à minimiser (faire moins de cas qu'il n'est juste) le changement climatique dont l'emballement de plus en plus évident rapproche les conséquences destructrices non plus à moyen mais à court terme ?

    C'est que ça fait vraiment trop peur. À quoi s'ajoute l'imitation des affects (cf Raccord) : après tout, les autres y zont pas l'air de s'en faire. Alors pourquoi que je m'en ferais ? Les autres y font pas d'efforts de sobriété pour éviter la cata. Alors pourquoi que j'en ferais, moi, des efforts ?

     

    Ainsi se rend-on sourd à la raison qui appelle à modifier d'urgence notre mode de vie, et on préfère penser : la science trouvera bien une solution. Et l'on s'en remet passivement à ce qu'il faut bien appeler une superstition technologique.

    Paradoxal, non ? Je dirais même plus : oxymorique.

     

  • Par bonheur ils n'en avaient pas

    « La joie qui naît de ce que nous imaginons détruite ou affectée d'un autre mal une chose que nous haïssons, ne va pas sans quelque tristesse de l'âme. »

    (Spinoza Éthique part.3 prop.47)

     

    L'affect de haine envers une chose (c'est à dire, je rappelle*, le fait que cette chose – ou même sa seule idée – nous déprime, nous dévitalise), a pour origine un mal éprouvé à cause de cette chose.

    (Ça ne veut pas dire que le mal soit toujours voulu de sa part mais bon le fait est là).

    L'imaginer détruite ou affectée d'un autre mal est alors une réaction logique de défense contre l'abattement (prop.13 et son scolie*).

    Ça nous requinque, nous donne l'impression de regagner l'énergie perdue. Et on croit voir s'inverser le sens du curseur sur notre ligne tristesse/joie (cf À part ces trois-là).

     

    Oui mais voilà : on a tous fait l'expérience, comme Spinoza, que cela ne va pas sans quelque tristesse. Autrement dit vouloir du mal à quelqu'un, ou vouloir abîmer quelque chose, on s'en aperçoit vite, c'est à nous d'abord que ça fait du mal, c'est avant tout nous-mêmes que ça abîme.

    Et entre nous, lectrice-teur (ne le dis à personne hein), je m'autorise le cynisme de trouver que c'est dommage : sans ce dégât collatéral on aurait là un antidote idéal à tous les empoisonnements de l'existence. Non ?

    (Attention il s'agit bien de se payer en douce, à part soi, un petit plaisir d'imagination, et non de passer à l'acte d'un mal réel sur l'autre).

     

    À propos de cynisme, je me demande si Spinoza n'en manque pas un peu sur ce coup-là. Car devant certains comportements de persévérance dans la haine (entre autres ceux évoqués la dernière fois), on se demande si leurs auteurs ne sont pas en proie au masochisme d'un conatus vraiment très con ? Ou incapables de ressentir une quelconque tristesse de l'âme ?

    Si c'est la deuxième option, on doit en déduire que chez de tels bourrins il en va de l'âme comme d'une partie plus matérielle dans la chanson Hécatombe de Brassens : par bonheur ils n'en avaient pas**.

     

    *cf Parce que

    **La formule s'y applique aux cognes. Le côté gauloiserie vintage et antiflic primaire (là ce sont des gendarmes) fleurant un anarchisme vieillot (mais par définition l'anarchisme est régression) est compensé par l'humour burlesque et cartoonesque de la scène. (C'est Brassens quand même).