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Blog - Page 237

  • Excrétions et exécrations

    Dans les propositions qui suivent, Spinoza se centre sur la passion par excellence, l'amour.

    Il l'envisage selon la triple logique qu'il a posée :

     

    1) la force de l'imagination/représentation

    (L'homme, suite à l'image d'une chose passée ou future, est affecté du même affect de joie et de tristesse que suite à l'image d'une chose présente. prop.18 cf Même si elle n'existe pas)

    2) l'imitation des affects

    (De ce que nous imaginons une chose semblable à nous, que nous n'avons poursuivie d'aucun affect, affectée d'un certain affect, nous sommes par là même affectés d'un affect semblable. prop.27 cf Spéculation)

    3) le besoin de reconnaissance

    (Nous nous efforcerons également de faire tout ce que nous imaginons que les hommes considèrent avec joie, et au contraire nous aurons de l'aversion à faire ce que nous imaginons que les hommes ont en aversion. prop.29 cf Habituellement humanité)

     

    Leur conjonction implique que la passion amoureuse a tendance à s'indexer sur l'affect supposé d'un supposé rival. Le flottement d'âme qui en découle nous amène vers des eaux freudiennes, et leur mythique triangle oedipien.

     

    Spinoza décrit dans le cadre de cette indexation le renchérissement ou la dévaluation de l'objet aimé (prop.31), assortis de l'esprit de propriété à son égard (prop.32), ce qui amène la définition de la jalousie :

    « Si quelqu'un imagine que la chose aimée joint à elle-même un autre, du même lien d'amitié, ou bien d'un plus étroit, que celui par lequel il la possédait seul, il sera affecté de haine envers la chose aimée, et il enviera cet autre. »

    (Spinoza Éthique part.3 prop.35)

     

    Une jalousie dont l'expression se fait extraordinairement crue dans le scolie qui suit :

    « Qui en effet imagine une femme qu'il aime se prostituant à un autre, non seulement sera attristé de ce que son propre appétit se trouve réprimé, mais encore, parce qu'il est contraint de joindre l'image de la chose aimée aux parties honteuses et aux excrétions de l'autre, il l'a en aversion. »

    Dérangeant, non ?

     

  • Pénible à tous

    J'enchaîne donc sur les affects négatifs mentionnés dans ce scolie de la prop.30 part.3 (cf note précédente).

     

    Pudor note un sentiment de honte, induisant un comportement de retenue (d'où notre mot pudeur, dans lequel la honte a été gommée plus ou moins). Il peut se préciser à l'aide d'un terme de sens proche.

    Pour signifier la retenue ou la réserve, le latin dispose aussi du mot verecundia qui a donné vergogne.

    Quelle différence entre les deux ? La retenue impliquée par la verecundia repose sur le respect d'autrui. On s'abstient de faire une chose qui risque de le choquer.

    Mais la retenue qui procède de la pudor provient de la peur d'être mal vu de l'autre (à l'inverse de la gloire consistant à être bien vu). Comme toute peur elle implique l'inhibition. Et l'inhibition est chose contraire à l'affirmation du conatus.

    La honte est donc une tristesse au fort pouvoir ravageur.

     

    Penitentia, tristesse symétrique de la joie acquiescentia in se, je le traduirais bien par auto-flagellation.

    La traduction par repentir peut s'éclairer elle aussi dans le même sens, selon le propos de Montaigne dans son chapitre intitulé précisément Du repentir :

    « Excusons ici ce que je dis souvent, que je me repens rarement et que ma conscience se contente de soi, non comme de la conscience d'un ange ou d'un cheval, mais comme de la conscience d'un homme »

    (Essais III, 2, c'est moi qui souligne).

     

    Éloquent, non ? Tout le secret de la force tranquille de Montaigne est livré là.

     

    Et puis chose promise chose due, la fin du scolie :

    « Ensuite, parce qu'il peut se faire que la joie dont quelqu'un imagine (= se représente) affecter les autres soit purement imaginaire (= inventée), et que chacun s'efforce d'imaginer de lui-même tout ce qu'il imagine l'affecter de joie, il peut donc aisément se faire que le glorieux soit orgueilleux (= qui fait de soi plus de cas qu'il n'est juste cf Mytho), et imagine être agréable à tous alors qu'il est pénible à tous. »

    (Spinoza Éthique part.3 scolie prop.30)

     

    On sent le vécu …

     

  • Satisfaction de soi

    « La joie qu'accompagne l'idée d'une cause intérieure, nous l'appellerons gloire (gloria) et la tristesse qui lui est contraire, honte (pudor) : entendez, quand la joie ou bien la tristesse naît de ce que l'homme se croit loué ou bien blâmé ;

    autrement, la joie qu'accompagne l'idée d'une cause intérieure, je l'appellerai satisfaction de soi (acquiescentia in se ipso), et la tristesse qui lui est contraire, repentir (penitentia). »

    (Spinoza Éthique part.3 scolie prop.30)

     

    Le tableau des affects continue à se remplir en fonction du double paramétrage sujet/objet/tiers et joie/tristesse.

    Ce qui différencie gloire et satisfaction de soi, et en parallèle leurs versions « attristées » honte et repentir, c'est l'intervention supposée d'un tiers par qui on se croit loué ou blâmé.

    Voilà qui nous ramène au phénomène spéculaire fondamental de l'inter-subjectivité humaine, illustré par deux voyageurs dans un train et un enfant très malin (cf Spéculation).

    Le mot gloire, dans ses connotations optiques (cf rayonnement), dit bien cette spécularité.

     

    Arrêtons-nous sur les autres termes.

    L'acquiescentia in se ipso est un affect fondamental dans le système spinoziste. Il exprime la ratification personnelle de chacun au conatus, une reconnaissance de soi :

    « ça c'est vraiment moi, je peux persister et signer ».

    Le terme latin en rend compte plus clairement que sa traduction satisfaction de soi, qui fleure un peu son petit Narcisse. Je l'ai déjà dit (et souvent) acquiescentia, formé sur la racine quies (repos), exprime le fait de trouver sa pleine assise, de pouvoir se poser sans in-quiétude.

    Le fait que ce soit in se ipso, en soi-même, assure cette assise en la soustrayant à la dépendance du regard d'autrui.

    Elle est ainsi un bon antidote aux flottements d'âme dont rend passible l'intersubjectivité. Cet antidote doit son efficacité, sa vertu, à l'effet-puissance porté par l'affect joie. Une joie (qu'accompagne l'idée d'une cause) intérieure.

    Intériorisation source d'autonomie, car elle libère du (supposé) regard évaluateur de l'autre, de sa louange ou de son blâme.

     

    Quant aux tristesses aux noms déconcertants de pudor et penitentia, on en parle la prochaine fois. Et avec en prime la fin bien marrante de ce scolie.