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Blog - Page 241

  • La fontaine au poisson rouge

    « Fontaine je ne boirai pas de ton eau » : j'ai repoussé plus haut (Et en même temps) les explorations buissonnières en marge de cette lecture que je tente de faire aussi serrée que possible.

    Mais le lien établi par Spinoza entre flottement d'âme affectif et doute intellectuel (scolie prop.17 note précédente) m'amène comme par la main à mentionner le livre fort intéressant de Bruno Patino La civilisation du poisson rouge (Grasset 2019).

     

    Patino y analyse comment le capitalisme numérique fait fortune sur le marché de l'attention.

    Sans sacrifier à l'anti-internet primaire (il l'a vu naître avec enthousiasme), il constate la déception de la promesse de démocratie numérique, que sa diffusion planétaire, dans tous les domaines de la vie et de la culture, avait un temps permis d'espérer.

    Il souligne cette déception dans son propre domaine, le journalisme. Naguère agent de diffusion d'informations sourcées et vérifiées, support et initiateur de débats sociétaux et politiques éclairés, le journalisme court à présent après le mode pulsionnel de communication prévalent dans les réseaux dits sociaux.

    Ils le sont en un sens, puisqu'ils tissent du lien social. Sauf que les liens par lesquels ils nous lient sont de moins en moins des liens qui libèrent.

    À quoi cela est-il dû ? Au choix des firmes d'un mode de fonctionnement radicalement mercantile, conçu sur le mode capitalistique de la prise de parts de marché.

    En l'occurrence, la mine d'or du nouvel âge capitalistique gafaïen est la captation de l'attention, du temps.

    Bref le rapport avec le flottement d'âme ?

     

    Les infos & données que nous rencontrons sur internet nous affectent tantôt de joie/activité, tantôt de tristesse/passivité. Tout le problème est que nous ne choisissons pas, et de moins en moins. Nous sommes, via les outils algorithmiques des gafa, ballottés continuellement des unes aux autres.

    Car ces entreprises ont intérêt à nous enfermer dans un doute incessant (pas le questionnement actif de la science ou de la philosophie, mais bien l'assignation à la passivité de l'inadéquation). Ça leur est facile dans un système qui a fait sienne la question cynique d'Ubu « le mauvais droit ne vaut-il pas le bon ? »

     

    Intérêt des gafa à nous « endouter » ? Créer l'addiction : on va chercher fébrilement toujours plus d'infos pour échapper au malaise du flottement, multipliant clics pulsionnels et donc gains gafaïens.

    Provoquer une « fatigue décisionnelle » (source d'apathie et d'aboulie), dont nous dispenseront les algorithmes, qui l'ont d'abord provoquée (schéma connu du pompier pyromane).

    Et comment ne pas voir le profit politique que peut tirer de ce flottement le populisme, où le chef est par excellence celui qui sait et décide ?

    Patino conclut cependant : tout n'est pas perdu on peut redresser la barre. Oui, par exemple en lisant Spinoza (je dis ça je dis rien).

     

  • Flottement d'âme

    La suite complexifie encore le schéma arachnéen qui se met en place depuis la proposition 14. Encore ? (diras-tu lectrice-teur). Oui et c'est pas fini. Mais je te rassure on tient le bon bout.

    Je récapitule quand même ?

    Fil 1 une circonstance réelle produit un affect.

    Fil 2 l'imagination de la circonstance implique l'affect.

    Fil 3 des objets pas vraiment semblables, mais assimilables, impliquent des affects semblables.

     

    Et voici maintenant le nouage entre le 2 et le 3, l'imagination, non de la circonstance ou de l'objet, mais de la ressemblance.

    « Si nous imaginons qu'une chose qui nous affecte habituellement d'un affect de tristesse a quelque ressemblance avec une autre qui nous affecte habituellement de joie de grandeur égale, nous aurons cette chose en haine et en même temps nous l'aimerons. »

    (Spinoza Éthique part.3 prop.17)

     

    Le scolie qui suit commente :

    « Cet état de l'esprit qui naît de deux affects contraires s'appelle 'flottement d'âme', lequel, partant, est à l'affect ce qu'est le doute à l'imagination ».

    Lien nécessaire de l'imagination au doute, à cause de ses deux valeurs de re-présentation et de « fictionalisation » : ai-je vraiment joué dans ce film, (ou simplement l'ai-je vraiment vu), ou encore ce scénario est-il réaliste, ou bien suis-je en train de me faire mon cinéma ?

     

    Nous aurons en haine et en même temps nous aimerons.

    Le récurrent en même temps renvoie ici les lecteurs post-freudiens que nous sommes à la coexistence (et co-action) de l'inconscient et du conscient*.

    On a toutes les raisons de haïr (ou aimer) un objet, alors pourquoi le rapprocher d'un objet aimé (ou inversement) ? Y a forcément un truc qu'on sait pas et c'est lui qui nous fait imaginer la ressemblance.

     

    *Un nouage encore, que Lacan rend sensible en reformulant par le mot hainamoration le concept freudien d'ambivalence.

     

  • De cela seul

    « De cela seul que nous imaginons qu'une chose a une ressemblance avec un objet qui affecte habituellement l'esprit de joie ou bien de tristesse, et quoique ce en quoi la chose ressemble à l'objet ne soit pas la cause efficiente de ces affects, pourtant nous aimerons cette chose ou nous l'aurons en haine. »

    (Spinoza Éthique part.3 prop.16)

     

    Avec cette proposition l'effet double affect (note précédente) se complexifie. On voit se multiplier l'entrelacement des différents fils, tel un tissu neuronal qui se densifierait peu à peu.

    Après l'association d'affects résultant de la concomitance de perception, entrent maintenant dans le schéma :

     

    1) l'imagination de cette concomitance, autrement dit le fait de se la figurer comme présente, de l'actualiser. Pas nécessairement de façon volontaire, où l'on peut supposer le choix des éléments joyeux/actifs (conatus oblige).

    Le problème sera l'imagination fortuite qui risque de charrier de la tristesse.

     

    2) la ressemblance entre deux choses, qui (à la complexité comme à la complexité) ne porte pas nécessairement sur un aspect déterminant dans la provocation de l'affect (n'en est pas cause efficiente).

     

    Tous ces fils t'embrouillent un brin, lecteur-trice ? C'est un peu normal, alors n'hésite pas à suivre le conseil géométrique de Spinoza : revenir en arrière (dans ces notes, ou mieux, dans l'Éthique) et relire autant de fois qu'il le faudra pour raccorder tous les fils. En principe ça marche, parole d'Ariane.

     

    J'ajoute (tant qu'on y est) que l'efficacité inattendue d'une ressemblance apparemment anodine m'évoque le « trait unaire » freudien.

    C'est quoi encore ça ?

    Le sujet relève chez l'objet de son intérêt libidinal un trait (einzige Zug écrit Freud, un certain trait, Lacan traduira trait unaire) : comportement, langage, apparence.

    Ce trait devient pour lui la marque caractéristique de l'objet, si bien que tout autre objet le présentant sera quasi automatiquement gratifié du même intérêt.

    Exemple bien connu on tombera amoureux-se selon un « type » comportant un ou plusieurs traits (tel accent, les yeux de telle couleur, il-elle aimera la soupe au chou ou l'astronomie, Platon mais pas Spinoza, ou l'inverse, etc.)