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Blog - Page 239

  • Mytho

    « … l'orgueil (superbia) c'est une espèce de délire, parce que l'homme, les yeux ouverts, rêve qu'il peut toutes les choses qu'il atteint par la seule imagination et que de ce fait il contemple comme des réalités, et elles le transportent de joie aussi longtemps qu'il ne peut pas imaginer ce qui en exclut l'existence et limite sa puissance d'agir. L'orgueil est donc une joie née de ce qu'un homme fait de soi plus de cas qu'il n'est juste. »

    (Spinoza Éthique part.3 scolie prop.26)

     

    Exemple aussi drôle qu'éloquent du rapport problématique entre imagination et réalité, qui est posé depuis la proposition 18 (cf Même s'il n'existe pas). L'imagination peut être re-présentation d'une chose réelle. Comme, tout autant, elle peut être figuration d'une chose fantasmatique.

     

    C'est pourquoi tout ce passage de la partie 3 cherche à poser la pertinence éthique du concept logique d'épreuve de réalité. La justesse, conformation à la logique, ouvre à la justesse de comportement, la justice.

    Je pense juste donc je suis sur la bonne voie.

     

    Inversement l'espèce de délire de l'orgueilleux, qui induit un comportement grotesque, clownesque, avant tout risible, peut aussi en faire un dévoyé, un pervers radicalement injuste, ne reconnaissant d'autre loi que la sienne.

    Et là on rit nettement moins.

    On n'ose imaginer les dégâts produits par un orgueilleux bouffon solennel* qui, occupant un poste éminent (genre président d'une puissance mondiale) (un exemple au hasard), ferait joujou avec son pouvoir d'imposer sa mythomanie sociopathe à tort, à travers, et au monde entier.

     

    Non mais là c'est moi qui délire, c'est impossible, tout le monde réagirait, non ?

     

    *cf Vol libre 31-08-19

     

  • Qu'il vive

    « Ces affects de haine et leurs semblables se rapportent à l'envie, qui pour cette raison n'est rien d'autre que la haine même, en tant qu'on considère qu'elle dispose l'homme à se réjouir du malheur d'autrui, et, au contraire, à s'attrister de son bonheur. »

    (Spinoza Éthique part.3 scolie prop.24)

     

    Il est intéressant de mettre ceci en regard de :

    « l'appétit (et de là le désir, appétit avec conscience de l'appétit) n'est rien d'autre que l'essence-même de l'homme, de la nature de quoi suivent nécessairement les actes qui servent à sa conservation » (scolie prop.9 cf Généalogie de la morale)

     

    Le désir et l'envie s'opposent donc radicalement. Le désir est porteur d'une dynamique de vie. Donc à la fois actif et positif.

    L'envie est au rebours, à l'inverse. Elle dénigre, défait, dévitalise.

    L'envie est typiquement l'affect « passif-agressif ».

    On envie parce qu'on se sait ou se croit impuissant dans son désir. Alors on voudrait voir détruit chez l'autre ce qu'on ne peut avoir. Ou être.

     

    Le désir et l'envie s'opposent comme les deux mères lors du jugement de Salomon (1er livre Rois chap 3  v.16-28)

    Deux femmes se disputent le même enfant. Chacune en avait un, mais l'une des deux a étouffé (involontairement) le sien en dormant. Elle échange son enfant mort avec l'enfant vivant de l'autre femme. Celle-ci, quand elle s'en aperçoit, va demander justice à Salomon.

    « Coupez l'enfant en deux, donnez la moitié à chacune » est la sentence.

    L'envieuse, qui veut juste que l'autre n'ait pas ce qu'elle n'a pas, accepte.

     

    Mais l'autre, dans la puissance de son désir, a ce cri du cœur :

    « Donnez-le à cette femme, qu'il vive ! »

     

  • Promesse tenue

    Lectrice, lecteur, le temps est venu de tenir la promesse pour laquelle tu m'as élue : laisser de côté bon nombre de mes 59 propositions ...

    euh pardon je veux dire des 59 propositions de la partie 3 (cf Ils rêvent les yeux ouverts).

    En effet, maintenant que les paramètres sont en place, il ne s'agit plus que de faire jouer leurs combinaisons* pour aboutir à définir n'importe quel affect et ses propriétés.

     

    Ainsi dans le scolie suivant la proposition 22, les affects que Spinoza nomme pitié, faveur, indignation. Cette dernière définie comme la haine envers celui qui fait du mal à autrui. Une paradoxale haine altruiste, donc.

    Plus loin (prop.40 corollaire 2 et scolie de sa démonstration), la colère sera définie comme l'effort pour faire mal à celui que nous haïssons parce qu'on considère qu'il nous veut du mal, à nous.

     

    Naguère l'exhortation de Stéphane Hessel Indignez-vous fut un succès de librairie. Mais l'affect omniprésent dans le discours social actuel (et souvent les actes) est plutôt la colère. Avons-nous perdu en altruisme ? Ou en foi dans le faire-corps-social ?

    De fait les colères qui tiennent le haut du pavé sont le symptôme d'un morcellement du corps social.

    En tous cas la classification spinoziste les place ensemble, indignation et colère, dans la catégorie de la haine, c'est à dire de la tristesse, qui est affaiblissement.

    Et par conséquent elles ont peu de chances d'être facteurs de construction.

    Ce qui n'implique pas de les nier ou les invalider, mais incite à ne pas s'y arrêter, s'y cantonner. Sous peine de devenir incapable d'action véritable.

     

    * joie/tristesse, augmentation/diminution, sujet/objet/tiers