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Blog - Page 420

  • Neuf

    Que voilà un chiffre avenant, non ? Au point que je me demande pourquoi il n'est pas mon préféré, de préférence à huit ? En fait je crois que c'est purement euphonique. Neuf rime avec bœuf et teuf-teuf. Nouveau c'est mieux. Quoique. Nous veaux ou bœuf : un peu kif kif bourricot finalement.

    Côté image anthropomorphique, le bonhomme 9 est moins équilibré, moins harmonieux que le bonhomme 8. Grosse tête sur bas du corps filiforme, le genre qui a oublié que mens sana à condition que ce soit in corpore sano. Cela dit ça se discute, lequel est en meilleure santé, entre le 9 anorexique hydrocéphale et le 8 un peu replet ?

     

    Quoi de neuf ? La preuve par neuf qu'on pratiquait à l'école du temps antédiluvien de mon enfance, pour vérifier qu'on avait « fait juste » sa multiplication. Ça prouve surtout, la preuve par neuf, qu'en ce temps-là on ne dédaignait pas d'allier apprentissage et jeu gratuit. Car entre nous, il était plus simple de recompter sa multiplication vite fait. La preuve : je viens d'essayer de retrouver la manip ad hoc. Et rien. Zéro. Alors que faire une multiplication yes I can toujours, même avec des gros chiffres qui font peur, des accumulateurs de grosses sommes. Des nombres en fait.

     

    Quoi d'autre de neuf ? Les Muses. Une ronde de déesses dansant sur le Mont Parnasse. Quoique. 999999999 ça fait plutôt style « c'est la chenill' qui redémarr' ». Enfin notez quand même pour vos dîners en ville que la muse de la danse s'appelle Terpsichore. Ça lui va pas mal je trouve.

    « Glissez-les, vos pas chassés, les filles, et pour le pas de biche, plus d'élan ! Terpsichore ma poulette c'est quoi ces sissonnes ? T'es au courant qu'on va donner le lac des cygnes, pas la danse des canards ... Quoi ? Mais non je te traite pas de boudin, pourqu … ? Non ! Pas saucisson ! Sis-son-ne j'ai dit ... »

     

    On peut s'aviser aussi qu'il y a deux façons contradictoires d'envisager le statut de neuf (pour les statues de Muses, y en a beaucoup plus de deux).

    Si on considère que 9 = 10 – 1, on peut le voir comme un peu insuffisant, voire pas très démerdard, sans ambition. Genre c'est pas de bol pauvre vieux t'as raté la présidence de peu, il s'en est fallu d'un cheveu. (Ben oui en numération décimale, c'est le 10 qui est président - ou queen d'Angleterre si vous préférez, bref c'est le garant du système). Mais par ailleurs en tant qu'il est le plus grand des chiffres à un chiffre, on dira au neuf : bravo, t'as fait le maximum, mec. Je savais qu'on pouvait compter sur toi.

     

    Au fait, pourquoi je dis « le » 8, « le » 9 et pas « la » ? Juste parce que chiffre est un mot masculin ? Ah l'impérialisme grammatical. L'occasion de se demander : y a-t-il des chiffres masculins et d'autres féminins ?  

  • Huit

    « Dis un chiffre au hasard ! » C'est toujours rigolo de jouer à ce jeu. Et pas seulement rigolo. Ou plutôt, c'est rigolo pour la raison, toujours la même, qui fait aussi l'humour, le jeu de mots particulièrement. Laisser parler le hasard pour mettre à distance la crainte et l'espoir, l'inconnu, bref les lubies du destin indéchiffrable. « Tout peut arriver, OK je suis prêt à tout. On sait pas quand ? OK de toute façon pour le changement c'est toujours maintenant ».

    Sauf que le hasard ne parle pas. Quand on croit laisser parler le hasard, on s'adonne sans la savoir à un exercice de ventriloquisme – quité ? quitude ? C'est Freud qui le dit, expliquant et démontrant (ou tentant de démontrer) dans une page de Psychopathologie de la vie quotidienne que lorsqu'on avance un chiffre soi-disant au hasard, il est en fait l'expression d'un désir ou conflit inconscient. Tout pareil qu'un lapsus ou acte manqué.

     

     

    Faut-il interpréter de même la notion de chiffre préféré ? Attention je ne dis pas chiffre-fétiche ou porte-bonheur, là d'accord la cause serait entendue. Je parle bien de chiffre préféré, celui pour lequel inexplicablement on ressent sympathie, connivence. Dont on se dit si j'étais chiffre je serais celui-ci.

    Moi (par exemple au hasard) c'est 8. Du plus loin que je me souvienne, depuis ma première rencontre avec lui. Était-ce sous forme crayeuse sur un tableau noir ? Plus probablement sur une feuille blanche, tracé de la main de mon père (« Ah ah » dit Papa Sigmund) ? Après j'ai su, au temps que je m'alphabétisais, qu'il était aussi « huit », s'initialisant de ce H rébarbatif, qui pour être aspiré ne me parut pas très inspiré. Et je ne peux que m'accorder rétrospectivement un satisfecit en intuition linguistique (une fois n'est pas coutume), car, je vous le donne en mille, qu'ai-je appris en ouvrant Robert l'autre jour ?

     

    « Huit. Fin XI° uit, latin octo ; h pour éviter la prononciation (vit) ». Ce mot est donc affligé d'un h surnuméraire apposé par quelque grammairien pudibond, un h semblable aux feuilles de vigne cache-sexe dont fut couverte l'anatomie des statues de Michel-Ange.

    Cela dit, huit ou uit je m'en fous, moi c'est 8 que j'aime. Petit bonhomme de 8 propice aux projections anthropomorphiques & enfantines. Tiens oui, semblable au dessin charmant de l'esperluette. Et semblable aussi au signe qui note la notion d'infini, ouvrant tant d'espace aux spéculations mathématiques & imaginaires, voire métaphysiques si l'on est un tant soit peu pascalien.

    Mais je crois qu'enfant je l'ai surtout aimé parce qu'en lui je retrouvais la silhouette de mes copines fourmis que j'observais sans me lasser à longueur de jeudi dans le jardin de ma grand-mère. « Re ah ah », dira Papa Sigmund.

    A quoi je répondrai : et ... ? Et je dirai même plus : & ...? 

  • Dénombrement

    Sans me vanter les chiffres ne manquent pas de charme, semblables à de jolis bibelots ou des animaux familiers dans notre quotidien. Laissons-les donc nous accompagner un peu dans ce blog.

    Mais attention je dis bien les chiffres et non les nombres.

    Car il faut d'abord régler ce problème. Nombre, chiffre : quelle différence ? Que vous vous soyez ou non posé la question, Dieu me calcule j'ai la réponse nécessaire et suffisante.

    Le nombre dénombre, le chiffre déchiffre.

    Le nombre adhère donc à l'idéologie marchande, raisonne en quantité et en accumulation, en gain ou en perte, en plus ou en moins. Porté sur la comparaison, la concurrence et le classement, il peut décréter un numerus clausus. Philosophiquement parlant, le nombre est dogmatique, pour ne pas dire platonicien. Il croit à la hiérarchie et s'incline devant la souveraineté du nombre d'or.

    Quant au chiffre, Robert nous en livre le secret, la mystique peut être, grâce à une de ces mises au point étymologiques dont il est coutumier.

    « Chiffre (1485) : du latin médéval cifra (= zéro) de l'arabe sifr = vide. »

    Tandis que le nombre est avide, le chiffre est à vide. Une simple écriture. Un pur signifiant, il se donne, transparent, rien que présent. Prêt à se livrer à tous les jeux de la combinatoire mathématique. Comme la lettre est ouverte à l'infini des jeux de la signification. (cf notes du 28 et 31 mai)

    Si le nombre est un marchand, le chiffre est donc un poète. Et si le nombre est platonicien, le chiffre est sceptique.

    Quand le nombre dit combien, le chiffre garde le silence.

     

    C'est bien beau tout ça me direz-vous, mais concrètement on parle des chiffres du chômage. Oui, mais il me semble avoir clairement démontré ci-dessus que (si les mots ont un sens) c'est un non-sens. Car en rigueur de termes on ne peut parler (si l'on tient à aborder des sujets aussi déprimants) que du nombre des chômeurs.

    Cependant cet emploi fautif (du terme chiffre j'entends) ne laisse pas d'être riche de significations. Combien il révèle le respect religieux qui entoure le Marché dont les voies sont insondables malgré la multiplication des sondages ! On dit chiffres du chômage car le chômage est, et surtout doit rester indéchiffrable, énigmatique. Abstrait de la violente et sale réalité du pouvoir mercantile, de l'exploitation de l'homme par l'homme que ferait surgir à nos yeux l'évocation de la cohorte des chômeurs de chair et d'os, un à un dénombrés.

    Chiffres du chômage, chômage indéchiffrable qui maintient le pouvoir des hommes calculateurs sur ceux qui ne comptent pas.