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Le blog d'Ariane Beth - Page 117

  • Ferme libre et audacieux

    « n°52 : Écrire avec le pied

    Je n'écris pas seulement avec la main :

    Mon pied aussi veut toujours écrire.

    Ferme, libre et audacieux, il court.

    Tantôt à travers champs, tantôt sur le papier. »

    (Friedrich Nietzsche. Le Gai Savoir. Prélude en rimes allemandes)

     

    Ce quatrain évoque tout d'abord le goût de Nietzsche pour les randonnées. Il y trouvait joie du contact avec la nature et dépense physique, toutes deux fort utiles à équilibrer son humeur bipolaire.

    Et surtout, comme pour Rousseau, la marche favorisait sa pensée, faisait naître en lui les idées et les mots pour les dire.

    Mais ces vers me rappellent aussi autre chose :

    « Au pis aller, cette difforme liberté de se présenter à deux endroits, et les actions d'une façon, les discours de l'autre, soit loisible à ceux qui disent les choses ; mais elle ne le peut être à ceux qui se disent eux mêmes, comme je fais ; il faut que j'aille de la plume comme des pieds. » (Montaigne Essais III,9 De la vanité)

    Comme Montaigne (qu'il lisait et admirait), Nietzsche ne voulait pas d'une difforme liberté.

    Ferme, libre et audacieux, il ne se contenta pas de l'être en paroles, il le fut en actes.

     

  • Au mieux des vaches

    « n°50 Avoir perdu la tête

    Elle a de l'esprit, à présent – comment a-t-elle pu le trouver ?

    Un homme vient de perdre la raison à cause d'elle,

    Son esprit était riche avant ce divertissement :

    Son esprit s'en est allé au diable – non ! non ! à la femme ! »

    (Friedrich Nietzsche. Le Gai Savoir. Prélude en rimes allemandes)

     

    Amis de la misogynie, bonjour … Et ce n'en est pas là, on le sait, le seul exemple dans l'œuvre de Nietzsche. On retrouve le même type de provocation par exemple dans ce passage de Zarathoustra :

    « La femme n'est pas encore capable d'amitié ; des chattes, voilà ce que sont les femmes, ou des oiseaux. Ou, au mieux, des vaches. » (De l'ami)

    Question : pour ces jolis moments de finesse machiste, on dit merci qui ?

    Merci Lou Andreas Salomé. Sans aller jusqu'à dire que cette femme fut un loup pour cet homme, il faut reconnaître que dans le genre félin Lou était davantage tigresse que chatte. Belle, intelligente, cultivée, hyper narcissique surtout (elle le dit elle-même), elle avait pour séduire les hommes tous les atouts dans son jeu. Et ce fut un grand chelem : elle suscita l'amour passionné de tous ceux qui croisèrent sa route. Elle leur en fit pas mal baver, surtout les plus sensibles et passionnés du lot. Exemple le poète Rilke dont elle entretint le syndrome bipolaire. Freud, en vieux renard de la psyché, sentit le lézard, et évita de s'empêtrer dans des histoires trop compliquées. Il se contenta de lui faire une place dans les groupes de la psychanalyse naissante.

    Quant à Nietzsche, Lou l'engagea avec Paul Ree pour tourner dans une version perso et assez hard de Jules et Jim. Voir la célèbre photo où elle fait mine de fouetter les deux hommes attelés à une carriole. Une blague d'intellos anticonformistes qu'ils étaient tous les trois, je veux bien. Mais, distance ironique ou pas, ce genre de film finit mal en général.

    Bref, même si Lou n'est pas seule responsable du fait que Friedrich ait finalement perdu la raison, disons qu'à tout le moins elle l'a vachement déçu.

    Mais je dois à la vérité de noter une autre phrase de ce chapitre de Zarathoustra :

    « La femme n'est pas encore capable d'amitié. Mais dites-moi, vous les hommes (Männer), qui d'entre vous est donc capable d'amitié ? » (De l'ami)

    Ben oui c'est Nietzsche quand même, le genre de mec dont le trip était de penser plutôt que se saouler à la bière, de préférence devant un match de foot avec ses potes. (Cela dit la bière il ne devait pas cracher dessus non plus).

     

  • Aujourd'hui

    « n°45 : À jamais

    ''Je viens aujourd'hui, parce que aujourd'hui cela me plaît'' –

    Pense toujours celui qui vient pour toujours.

    Que lui importe que le monde dise :

    ''Tu viens trop tôt ! Tu viens trop tard !''

    (Friedrich Nietzsche. Le Gai Savoir. Prélude en rimes allemandes)

     

    Trop tôt trop tard assigne à une relativité, à une normativité extérieure, à l'évaluation d'un autre, celui qui interpelle ici le « tu ». Trop tôt ou trop tard, toujours à contretemps, et par là ou superflu, ou insuffisant, jamais ce qu'on attend.

    Mais le « tu » en question, lorsqu'il prend la parole comme « je », revendique au contraire un rapport absolument libre au temps. Une liberté qu'il fonde sur cela me plaît.*

    D'un côté répondre à un besoin extérieur, de l'autre satisfaire à un désir subjectif, au désir qui vous fait sujet. Et qui (ça va sans dire mais mieux en le disant) n'est pas une pulsion, une lubie égoïste, mais un chemin vers une liberté exigeante, responsable, articulée à celle des autres.

    Car celui qui vient pour toujours doit aussi venir pour tous.

    C'est ce chemin que Nietzsche désigne, un chemin périlleux, présentant tous les dangers d'un chemin de crête. Tous les dangers mais toutes les joies, comme dans ce passage euphorique, c'est le mot, où maintenant fait écho à l'aujourd'hui du quatrain.

    « J'ai appris à marcher : depuis ce temps je me laisse courir. J'ai appris à voler : depuis je n'attends plus qu'on me pousse pour changer de place. Maintenant je suis léger, maintenant je vole, maintenant je m'aperçois au-dessous de moi-même, maintenant un dieu danse en moi. » (Ainsi parlait Zarathoustra. Lire et écrire)

     

    *Cela rejoint à mon sens l'acquiescentia in se ipso selon Spinoza, une adhésion à soi libérée de toute comparaison à l'autre.