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Le blog d'Ariane Beth - Page 118

  • Librement

    « n°43 : Conseil

    C'est à la gloire que tu aspires ?

    Alors écoute cette leçon :

    Renonce à temps, librement,

    À l'honneur. »

    (Friedrich Nietzsche. Le Gai Savoir. Prélude en rimes allemandes)

     

    Cette différence (et même cette opposition, voire incompatibilité) entre gloire et honneur, en quoi consiste-t-elle ?

    Germaine de Staël nous l'explique, en nommant d'un nom plus explicite l'honneur en question ici.

    « C'est en méditant sur l'ambition que je parlerai de tous les succès éphémères qui peuvent imiter ou rappeler la gloire ; mais c'est d'elle-même, c'est à dire de ce qui est vraiment grand et juste, que je veux d'abord m'occuper. » (De l'amour de la gloire)

    L'amour de la gloire, dit Germaine, « est aussi rare que le génie, et presque jamais il n'est séparé des grands talents qui font son excuse. »

    Mais l'ambition, elle, n'est que sa contrefaçon.

    « Par l'ambition, je désigne la passion qui n'a pour objet que la puissance, c'est à dire la possession des places, des richesses ou des honneurs qui la donnent » (De l'ambition)

    L'ambition c'est moche, c'est médiocre. Mais c'est surtout un mauvais calcul.

    « Je ne cherche point à détourner l'homme de génie de répandre ses bienfaits sur le genre humain ; mais je voudrais retrancher des motifs qui l'animent le besoin des récompenses de l'opinion ; je voudrais retrancher ce qui est l'essence des passions, l'asservissement à la puissance des autres. » (De l'amour de la gloire)

    La soif de reconnaissance qui caractérise l'ambitieux aboutit ainsi tout à fait logiquement à son asservissement à la puissance des autres.

    C'est de cet asservissement que Nietzsche incite à se libérer. En sachant qu'il faut payer le prix de la liberté.

    En fait on comprendrait mieux sa phrase avec un pluriel : renonce aux honneurs pour ne pas perdre ta liberté, renonce aux honneurs pour rester homme d'honneur.

    (Ou femme d'honneur, telle Germaine).

     

  • Cliquetis de chaîne

    « n°32 : L'asservi

    A: Il s'arrête et écoute : qu'est-ce qui a pu l'égarer ?

    Qu'entend-il bourdonner à son oreille ?

    Qu'est-ce qui l'a ainsi abattu ?

    B : Comme tout homme qui porta jadis une chaîne,

    Il entend partout – cliquetis de chaîne. »

     

    (Friedrich Nietzsche. Le Gai Savoir. Prélude en rimes allemandes)

     

    Voilà un texte qui, comme souvent avec Nietzsche, incite à de nombreuses interprétations. Par exemple ici on peut le lire avec une référence socio-politique. Il peut éclairer un ressort du wokisme, dans sa tendance à une déformation paranoïaque de la perception réelle. Dans le contexte de notre démocratie, où l'égalité et la liberté sont garanties en droit (et globalement respectées en fait, même si parfois il faut déployer une certaine énergie pour revendiquer son droit), il est injustifié, irrationnel même, de parler de racisme structurel ou d'état raciste.

    Mais peut être est-ce juste que l'on ressent, plus ou moins consciemment, une injonction intime à honorer la mémoire d'ancêtres esclaves, opprimés. Et l'on tend l'oreille vers le cliquetis de leur chaînes, comme porté jusqu'à soi à travers l'autre chaîne, celle des générations.

    Ce qui amène à l'interprétation d'ordre psychanalytique. Ce que Friedrich décrit ici, c'est, il me semble, essentiellement la difficulté à se libérer de la prégnance du trauma.

    Freud a cette formule L'hystérique souffre de réminiscences. Il la note pour la première fois dans Études sur l'hystérie, l'ouvrage co-écrit avec son ami Joseph Breuer (1896). Il la reprendra souvent par la suite dans ses essais et ses articles.

    Les réminiscences en question se présentent sous forme de pensées obsédantes, et/ou de symptômes somatiques, et/ou de passages à l'acte. Et/ou d'hallucinations et autres fantasmes : comme si nous visitait un fantôme, que l'on entendrait approcher au cliquetis de sa chaîne.

     

  • M'éloigner de moi

    « n°25 : Requête

    Je connais l'esprit de bien des hommes

    Et je ne sais pas qui je suis moi-même !

    Mon œil est bien trop près de moi –

    Je ne suis pas ce que je vois et vis.

    Je me serais bien plus utile,

    Si je pouvais m'éloigner de moi.

    Pas aussi loin qu'un ennemi !

    Trop loin est déjà le plus proche ami –

    Mais à mi-chemin entre lui et moi !

    Devinez-vous ce que je demande ? »

     

    (Friedrich Nietzsche. Le Gai Savoir. Prélude en rimes allemandes)

     

    Ce que vous demandez ? Pas de réponse il me semble, juste de poser la question avec vous.

    Et puis allez, en écho :

    « Je connais bien mouches en lait,

    Je connais à la robe l'homme

    Je connais le beau temps du lai,

    Je connais au pommier la pomme,

    Je connais l'arbre à voir la gomme,

    Je connais quand tout est de même,

    Je connais qui besogne ou chôme,

    Je connais tout, fors que moi-même.

    (…)

    Prince, je connais tout en somme,

    Je connais colorés et blêmes,

    Je connais Mort, qui tout consomme,

    Je connais tout, fors que moi-même. »

    (François Villon. Ballade des menus propos)

     

    Et puis aussi, forcément :

    « Je ne suis si attaché et mêlé à moi que je ne me puisse distinguer et considérer à quartier, comme un voisin, comme un arbre. »

    (Montaigne Essais III,8 De l'art de conférer)