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Le blog d'Ariane Beth - Page 259

  • Raison d'état

    « Lâche est celui qui évite la raison politique* ; aveugle, celui qui occulte son intelligence ; indigent celui qui a besoin d'autrui et ne possède pas en lui-même de quoi vivre. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même IV,29)

    *politikon logon.

     

    Cette lâcheté consiste à ne pas assumer sa condition d'animal politique, à se dérober aux responsabilités qu'elle implique.

    Un exercice de responsabilité dont l'outil est le logos structurant la pensée et la parole. Outil par conséquent du débat démocratique (démocratique c'est moi qui le dis, Marco pensait sans doute davantage à sa raison de «despote éclairé») et d'une juste organisation sociale.

     

    Si le citoyen occulte son intelligence, s'en remet à l'opinion sans chercher la réalité des faits, sans vérifier les dires, il laisse le champ libre, en lieu et place des fameux lion et renard de Machiavel, aux animaux politiques les plus louches.

    Hyènes de tout poil, anguilles sous roche, caïmans de marigot, perroquets twitteurs …

     

    L'indigent qui ne possède pas en lui-même de quoi vivre : s'agit-il d'indigence matérielle ou de manque d'assise intérieure propre ?

    À ce second titre sinon au premier, nous sommes tous plus ou moins indigents. Indigence utile en tant qu'elle ouvre à l'apport de l'autre. Mais elle peut aussi conduire à se rassurer dans le conformisme.

    Dans le contexte de la vie politique romaine, Marc-Aurèle sait que l'indigent, au plan matériel comme moral, est une cible facile pour les manipulations des démagogues clientélistes. (Nihil nove sub sole ? Je vois pas ce qui te fait dire ça, lecteur)

     

    Bref la raison, en tant qu'elle est politique, incite à cultiver le sens de la responsabilité citoyenne, à exercer l'intelligence et la lucidité, à faire en sorte que chacun accède à son autonomie matérielle, culturelle, morale.

    En somme à constituer une société d'irremplaçables (cf l'essai éponyme Cynthia Fleury Gallimard 2015).

     

    Voilà voilà. Mais restons optimistes : le voyage de mille pas commence par un premier pas, dit le proverbe chinois.

    Et il n'y a que le premier pas qui coûte. Quoique. On n'occulte pas la lucidité on a dit. Faut savoir que chaque pas coûtera un tant soit peu. 

     

  • Un seul et même secret

    « Sois semblable à un roc contre lequel les vagues se brisent sans répit : il reste debout et autour de lui viennent mourir les bouillonnements du flot. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même IV,49)

     

    « Volonté et vague. Avec quelle avidité s'avance cette vague, comme s'il lui fallait atteindre quelque chose ! Avec quelle précipitation terrifiante elle s'insinue jusque dans les recoins les plus profonds des rochers crevassés ! Il semble qu'elle veuille y arriver avant quelqu'un ; il semble qu'y soit caché quelque chose de valeur, de grande valeur. - Et la voici qui revient, un peu plus lentement, toute blanche encore d'excitation, - est-elle déçue? A-t-elle trouvé ce qu'elle cherchait ? Fait-elle semblant d'être déçue ? - Mais déjà s'approche une autre vague, plus avide et plus sauvage encore que la première, et son âme aussi semble emplie de secrets et du désir de déterrer des trésors.

    C'est ainsi que vivent les vagues, - et c'est ainsi que nous vivons, nous qui voulons ! - je n'en dis pas davantage. - Comment ? Vous vous méfiez de moi ? Vous vous irritez contre moi, beaux monstres ? Eh bien ! Irritez-vous contre moi désormais, dressez vos dangereux corps verts aussi haut que vous le pouvez, élevez un mur entre moi et le soleil – comme à présent ! En vérité, il ne reste déjà plus du monde que le vert crépuscule et que de verts éclairs. Déchaînez-vous à votre guise, arrogantes, rugissez de plaisir et de méchanceté – ou plongez de nouveau, déversez vos émeraudes au fond du plus abyssal abîme, et recouvrez-les en lançant de votre blanche dentelle infinie d'écume et d'embruns – je souscris à tout, car tout vous va si bien, et je suis si reconnaissant pour tout : comment pourrais-je vous trahir !

    Car – prêtez bien l'oreille ! - je vous connais, vous et votre secret, je connais votre espèce ! Vous et moi, nous sommes d'une seule et même espèce ! - Vous et moi, nous avons un seul et même secret ! »

    (Nietzsche Le Gai savoir n°310)

     

    Que vous inspire le rapprochement de ces deux textes, du point de vue des styles, des conceptions philosophiques, personnalités de leurs auteurs ? 

    Mais oui je rigole, je sais bien c'est les vacances. (Juste : quel styliste l'ami Friedrich, non ?). Mais bon on va dire plutôt :

    Imaginez un QCM à faire sur la plage style magazine féminin

    « Êtes-vous roc ou vague ? »

    Perso je me vois bien en grain de sable. (Goût de la synthèse quand tu me tiens).

     

  • Corollaire spinoziste

    « Tout ce qui arrive est aussi habituel et familier que la rose au printemps et les fruits en été : la maladie, la mort, la calomnie, la trahison et tout ce qui réjouit et afflige les insensés. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même IV,44)

     

    Cette pensée marque bien une limite de la pensée stoïcienne. La limite idéaliste, ou dualiste.

    On ne peut qu'adhérer intellectuellement au propos de Marc-Aurèle. Tout le monde il est pas beau, tout le monde il est pas gentil (en plus y en a qui sont ni l'un ni l'autre), voilà c'est comme ça, faut faire avec, comme on dit.

    Sauf qu'on a beau dire et admettre que c'est ainsi, ça n'empêche pas d'en ressentir du bien ou du mal.

     

    Et donc l'insensé en fait ce serait plutôt Marco (sauf son respect), dans sa minimisation de la question pourtant centrale de l'affect.

    Mettons, par pure hypothèse, que nous soyions comme lui lucides et décidés à bien agir. Nous verrons vite, nous, que l'esprit réjoui ou affligé dans lequel nous agissons est loin d'être indifférent.

    À notre bien-être d'abord (mais ça Marco s'en fiche) (OK j'admets) mais aussi et surtout aux effets de notre action.

     

    Tout ceci nous amène comme par la main à cette formulation de l'impasse idéaliste :

    Pour la plupart, ceux qui ont écrit des affects et de la façon de vivre des hommes (…) on dirait (…) qu'ils conçoivent l'homme dans la nature comme un empire dans un empire. (…)

    Il n'a cependant pas manqué d'hommes très éminents (et nous avouons devoir beaucoup à leur travail et leur activité) pour écrire maintes choses remarquables sur la droite façon de vivre, et donner aux mortels des conseils pleins de prudence ; mais quant à la nature des affects et à leurs forces, et ce que peut l'esprit, en revanche, pour les maîtriser, nul, que je sache, ne l'a déterminé.

    Je sais, bien entendu, que le très célèbre Descartes a produit une fort belle théorie (je résume) ; mais, à mon avis du moins, il n'a rien montré d'autre que la pénétration de son grand esprit.*

    (Spinoza Éthique Préface part 3 Des affects)

     

    Axiome stoïcien « Quand on veut on peut ».

    Corollaire spinoziste « Encore faut-il savoir ce que vouloir veut dire ».

     

    *J'adore l'art de Spinoza d'être gentil dans la vacherie (ou vache dans la gentillesse).