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Le blog d'Ariane Beth - Page 257

  • Tu peux le faire

    « Si quelque chose t'est difficile, n'en déduis pas que c'est impossible à l'homme mais, en revanche, si quelque chose est possible et familier à l'homme, considère que tu peux le faire toi aussi. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même VI,19)

     

    La deuxième partie de la phrase se veut positive. Cependant remarquons que si elle s'entend pour le meilleur, elle s'entend aussi pour le pire. Que de choses familières à l'homme sont des horreurs, des cruautés, des infamies, ou simplement des petitesses, des vulgarités que nous minimisons d'autant plus qu'autrui ne les verra pas.

    Les premières, les horreurs, mettons qu'un être humain né dans un contexte à peu près normal et civilisé arrive à les éviter (du moins en leur forme paroxystique).

    Mais les secondes, les petitesses, il faut avouer qu'elles nous tentent tous un jour ou l'autre. « Bah, tant d'autres le font, je peux bien le faire aussi. »

     

    N'en déduis pas que c'est impossible à l'homme, voilà qui évoque le mot magnifique de Mark Twain « Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait ».

    Là on peut affirmer avec une quasi-certitude que ce que nous trouvons difficile sera plutôt du côté du bien.

    « Notre zèle fait merveilles, quand il va secondant notre pente vers la haine, la cruauté, l'ambition, l'avarice, la trahison, la rébellion. À contrepoil, vers la bonté, la bénignité, la modération, il ne va ni de pied ni d'aile. »

    (Montaigne Essais II,12 Apologie de R.Sebon)*

    Ni de pied ni d'aile, soit. Mais bon, à la nage, à la rame, on peut toujours essayer ...

     

    *cf 17-04 Ukase et Karénine. (Phrase tellement vraie et si bien écrite que je ne m'en lasse pas).

     

  • Y en a aussi

    « La meilleure façon de se défendre est de ne pas imiter l'offenseur. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même VI,6)

     

    Imiter : mot-clé des relations humaines, pour le meilleur et le pire. En un premier temps l'enfant progresse et se forme par imitation d'adultes qu'il aime et admire. Passage nécessaire avant de pouvoir frayer son propre chemin et son propre mode d'être au monde.

    Inversement, l'imitation a partie liée à l'envie et à la violence, au désir d'éliminer l'autre qui, parce qu'il est trop semblable à vous, vous fait de l'ombre.

    La pensée de Marc-Aurèle m'évoque deux choses.

     

    Le conseil évangélique : si l'on te frappe sur une joue, tends l'autre. L'autre, donc pas la même. Conseil quelque peu surhumain, ouvrant la voie à un par-delà le bien et le mal entendus selon la logique humaine et comptable du talion (je ne sais ce que dirait Friedrich de mes extrapolations - enfin si, un peu, mais il viendra pas me chercher).

     

    La notation spinoziste du mécanisme d'imitation des affects, qui fonctionne en contagion négative ou positive.

    La contagion joue dans une situation réelle, c'est facile à comprendre : fou-rire qui se propage à voir les autres se bidonner, euphorie qui vous gagne dans l'énergie d'un groupe en liesse ; à l'inverse escalade de paroles et d'actes violents dans une foule en colère.

    Mais ce que dit Spinoza de décisif pour l'éthique, c'est que le mécanisme d'imitation est inscrit en nous, est un trait endogène de la psyché, si bien qu'il peut se mettre en branle sans besoin de cause prochaine.

    « De ce que nous imaginons une chose semblable à nous, et que nous n'avons poursuivie d'aucun affect (donc a priori indifférente), affectée d'un certain affect, nous sommes par là-même affectés d'un affect semblable. »

    (Éthique. Partie 3 prop 27) (c'est moi qui souligne).

     

    D'où le conseil de Baruch futé : t'égare pas dans l'imagination, programme plutôt ton GPS sur « raison ».

    « En tant qu'ils sont en proie aux affects qui sont des passions, les hommes peuvent être contraires les uns aux autres. »

    « C'est en tant seulement qu'ils vivent sous la conduite de la raison que les hommes nécessairement conviennent toujours par nature. » (P4 prop 33-34)

     

    Quoi on n'est pas rendu ? Pessimistes !

    Qu'entendre dans ce par nature sinon que la raison dans l'humanité, c'est comme la pomme (ou la poire ?) dans la gnôle des tontons flingueurs : y en a aussi.

     

  • Un loup pour l'homme

    « D'un certain point de vue, les hommes sont nos proches et nous devons leur faire du bien et les supporter. Mais dans la mesure où certains menacent mes propres actions, l'homme me devient indifférent au même titre que le soleil, le vent ou une bête sauvage. Il se pourrait qu'ils entravent l'une de mes activités, mais pas mon impulsion ni ma disposition : ces entraves-là, je les écarte et les renverse. En effet pour réaliser son projet, la pensée renverse et déplace tout obstacle à son activité ; ce qui gênait une action prend la place de l'action et ce qui barrait le chemin, celle du chemin. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même V,20)

     

    Pour être philosophe on n'en est pas moins empereur. Un empereur qui aurait médité par avance son Machiavel. Avec, tout aussi anachroniquement, un soupçon d'Attila dans la métaphore finale.

    Et un tantinet de mégalomanie par la correspondance implicite : moi l'empereur je suis l'esprit, la raison, les autres sont la matière que j'informe. Un je ne sais quoi de désagréablement hégélien, non ?

    Quoique. On peut y voir aussi une formulation un peu rude et directe du conatus spinoziste.

     

    « Ce qui n'est pas nuisible à la cité ne nuit pas non plus au citoyen. Chaque fois que tu t'imagines qu'on t'a nui, applique cette règle : si cela ne nuit pas à la cité, cela ne me nuit pas non plus. - Mais si cela nuit à la cité, inutile de se fâcher contre le responsable. Il suffit de lui signaler sa méprise. »

    (Pensées pour moi-même V, 22)

    Après Hegel ou Spinoza, y a du Rousseau dans cette perception du faire corps avec la cité. Quant à il suffit … Ouais ouais … Mais d'accord, c'est pas une raison pour renoncer à expliquer.

    Quoique ? Voilà qui nous ramène aux questions de la dernière fois : le responsable des nuisances est-il juste con ou vraiment méchant ?

    S'il est con (et/ou dans l'erreur), on peut tenter quelque chose, mais si c'est un méchant, un vrai ? Mission impossible.

     

    « Rechercher l'impossible est de la folie. Or, il est impossible que les méchants ne fassent rien de mal. » (Pensées pour moi-même V,17)

    Reste à supporter. Au stoïcisme comme au stoïcisme.