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Le blog d'Ariane Beth - Page 261

  • Insolence

    « N'adopte pas les opinions de l'insolent ou celles qu'il veut t'imposer sans vérifier si elles sont conformes à la vérité. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même IV,11)

     

    Traduit par insolent, un mot formé sur la racine hybris. Ce terme est essentiel pour définir l'être au monde dans la pensée grecque.

    C'est, dans la mythologie, l'attitude de qui ne se conforme pas à l'ordre et à la hiérarchie du cosmos. Les hommes à leur place, les dieux à la leur. Et les dieux sont très attachés à ce schéma, vu qu'ils se sont arrogé la place de chefs.

    Pour qui se met à mélanger les deux ordres (hybris a donné le mot hybride), cela se passe mal, exemple type Prométhée. (Sauf pour Zeus en fait, ou autres divinités allant séduire des mortel(le)s, selon le principe bien connu : faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais).

     

    Pour Marc-Aurèle, l'ordre du monde ne repose pas sur la revendication de pouvoir absolu de dieux copies conformes des despotes humains.

    Il ne peut exister que par l'adéquation entre fonctionnement de la nature et comportement des humains. Cette adéquation est le socle et le critère de la vérité.

    Elle n'est pas donnée, il faut la discerner par la raison (censée être caractère essentiel de l'être humain), et ainsi tenter d'y conformer ses opinions et ses actes.

    On remarque donc ici un renversement fort intéressant.

    C'est l'insolent en question qui veut imposer ses opinions, comme les dieux une loi selon leurs caprices et leurs intérêts.

    Et il faut alors des êtres humains raisonnables et sages pour vérifier leur conformité à la vérité, autrement dit c'est la raison humaine qui est en charge de préserver l'ordre social et cosmique. 

    C'est dire si on est mal barré.

     

  • Opinion piège à ...

    « En supprimant l'opinion, on supprime le dommage et en supprimant le dommage on supprime le tort. »

    (Marc-Aurèle.Pensées pour moi-même IV, 7)

     

    Le terme employé, hypolepsis, nous l'avons déjà rencontré (cf Opinion privée liberté publique 23-06) (je répète pas, à toi de bosser un peu, lecteur, t'es pas dans un blog pour flemmards).

    L'opinion : celle que l'on se fait, ou celle que les autres se font de vous ? Il s'agit probablement du second cas de figure.

    On se trouve donc devant une version stoïcienne du proverbe Les chiens aboient la caravane passe. « Fais ce que tu penses devoir faire, laisse dire, ne te soucie pas de ce qu'on pense et dit de toi, et comme ça tu verras : même pas mal. »

    Je ne sais si à l'époque de Marco il était aisé de faire ainsi fi du qu'en dira-t-on, j'en doute fort, ce n'est pas d'aujourd'hui que l'on aime à s'entre-débiner.

    L'ennui pour aujourd'hui c'est que la technologie décuple les possibles effets de l'opinion. Effets positifs oui si l'opinion est constructive, négatifs souvent : la violence, le mensonge, l'obscénité, c'est tellement plus buzzant.

    Voir les ravages de l'humiliation numérisée sur de fragiles adolescents, ou tous ceux qui ont le tort d'être « différents ».

     

    Voilà qui attire l'attention, en ce qui concerne l'opinion en sens inverse, celle que nous nous faisons, sur le lien entre avoir tort, avoir et surtout professer une opinion erronée, et faire du tort.

    On comprend donc que Marc-Aurèle, comme gouvernant plus encore que comme philosophe, fasse de l'opinion une question si déterminante.

    L'opinion constitue un bruit dommageable à la perception de la vérité, si elle préfère stimuler l'affect que discerner l'objectivité des faits.

    Elle sera dommageable à l'exercice de la liberté si elle opte pour la mise en cases des choses et des gens plutôt que pour l'observation et l'analyse de la complexité.

    Dommageable à la communication (non c'est pas de pub que je parle), entre autres au débat politique, si elle privilégie l'incitation (voire l'injonction) à la prise de parti, au détriment de la recherche commune du bien commun.

     

    Bref, comme dit Montaigne en sceptique conséquent, La peste de l'homme, c'est l'opinion de savoir. (Essais II,12 Apologie de Raimond Sebon)

    (Attention pas le savoir lui-même, hein, ni sa recherche, mais le fait d'être sûr que ce qu'on sait est indiscutable) (d'où ancrage dans le dogmatisme ou engluement dans l'erreur) (et/ou le plus souvent).

     

  • Le second souffle

    « Cesse de t'égarer : tu ne dois plus relire tes Mémoires ni l'histoire ancienne des Romains et des Grecs, ni les extraits des traités que tu as laissés pour tes vieux jours. Hâte-toi vers le but, abandonne les vains espoirs, et, si tu te soucies un peu de toi-même, aide-toi, tant que c'est possible. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même III, 14)

     

    Hâte-toi vers le but : ainsi parlerait la flèche du pseudo-Zarathoustra.

    Une flèche quelque peu émoussée, car en écrivant ceci Marco n'est pas de la première jeunesse. Mais il atteint à une deuxième jeunesse, une jeunesse au carré si l'on peut dire.

    Elle ressort de ces mots, cette jeunesse de l'après maturité.

    Elle ne prétend pas nier l'usure du corps, la lassitude de l'esprit, cette sorte de distance qui s'installe avec le monde (Je me dénoue par tout ; mes adieux sont à demi pris de chacun sauf de moi. Essais I,20 Que philosopher c'est apprendre à mourir), mais elle les retourne.

     

    Cesse de t'égarer implique une conversion de l'attitude et du regard. Chercher la sagesse en se retournant pour remâcher le passé, le sien propre ou plus largement le passé historique (même aussi constructif qu'il ait pu être) c'est s'enfermer dans les histoires anciennes, chercher des augures dans les vieilles lunes et les astres morts.

    La sagesse est à chercher à l'horizon, à chaque nouvel horizon. Bon ici il est vrai que ce but qui approche n'est pas à première vue très motivant.

    C'est là qu'intervient le retournement.

    Le dépouillement peut révéler une face d'allègement. En abandonnant les vains espoirs, ce qu'on abandonne n'est pas l'espoir mais la vanité, la vacuité qui pèse si lourd.

    Le passé n'est pas oublié, mais on choisit de ne garder du bagage que ce qui est viatique.

    L'injonction à l'éthique n'est pas reniée, mais s'humanise en souci de soi (au sens de Michel Foucault) : aide-toi tant que c'est possible.

    On peut bien sûr entendre aussi dans ces mots que, le but étant de toute façon la mort, autant la choisir à sa façon avant d'être à la merci d'autrui, légumisé. Est-ce contradictoire avec le souci de soi, ou pas ? Vaste débat.

    (Et bon courage au comité consultatif d'éthique).

     

    Et le vieux* Marc-Aurèle entame l'étape ultime du parcours dans la sérénité. Comme parfois, au bout d'une marche harassante, alors qu'on se croit vidé, on éprouve tout à coup dans les derniers mètres l'euphorie inattendue que l'on appelle le second souffle.

    *Vieux c'est relatif : il est mort à 59 ans (comme Montaigne).