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Le blog d'Ariane Beth - Page 265

  • Le secret douloureux

    La mélancolie se nourrit d'elle-même, et c'est pourquoi elle ne saurait se renouveler.

    Cioran (Aveux et anathèmes)

     

    Héautontimorouménos dit Baudelaire après Térence, bourreau de soi-même, tel est de toute évidence le mélancolique. Freud en propose une explication dans Deuil et mélancolie (va relire ça, lecteur, c'est du grand Freud). Je résume vite fait.

    La mélancolie est un deuil pathologique qui ne passe pas (contrairement au deuil «normal»). À l'occasion d'une perte ou séparation d'un être humain, d'un objet symbolique, l'aspirant mélancolique trouve sa solution de réparation (croit-il). Cet objet perdu, il l'incorpore à son propre psychisme : l'ombre de l'objet tomba sur le moi, dit Papa Sigmund dans une de ses meilleures fulgurances stylistiques.

    La perte est ainsi annulée, sauf qu'un ressentiment envers la défaillance de l'objet persiste, et le désir de s'en venger, de le punir. Mais voilà le hic : l'objet faisant partie de soi désormais c'est contre soi que va s'exercer la vengeance, indéfiniment.

     

    Quand on tombe sous le charme de la mort, tout se passe comme si on l'avait connue dans une existence antérieure, et que maintenant on soit impatient de la retrouver au plus tôt.

    Comment ne pas faire le rapprochement avec ce que dit Freud (encore oui) de la tendance rétrograde de la pulsion de mort. En remontant en arrière le non-vivant était là avant le vivant (…) La tension survenue dans la substance jusqu'alors inanimée tend alors à se réduire ; ainsi était donnée la première pulsion, celle de retour à l'inanimé. (Au-delà du principe de plaisir. Chap 5)

    Pour existence antérieure, le rapprochement avec Baudelaire est évident, le secret douloureux qui me faisait languir (La vie antérieure).

     

    J'étais en proie à une angoisse dont je ne voyais pas comment j'allais me défaire. On sonne à la porte. J'ouvre. Une dame d'un certain âge que je n'attendais pas vraiment est là. Pendant trois heures elle m'asséna de telles inepties que mon angoisse se transforma en colère. J'étais sauvé.

    Angoisse devenant colère, c'est la même pulsion de mort passant de l'auto-agression à l'agression sur autrui.

    Mais ce qui me retient est plutôt ceci : au lieu d'être d'un certain âge, la dame en question aurait été jeune et jolie, gageons que, confrontée aux mêmes inepties, l'angoisse cioranesque aurait trouvé un autre dérivatif que la colère option misogynie. La pulsion de mort se serait qui sait retournée en libido

    (ce qui n'aurait pas forcément écarté la misogynie, mais bon).

     

  • Sale quart d'heure

    On apprend plus dans une nuit blanche que dans une année de sommeil. Autant dire que le passage à tabac est autrement instructif que la sieste.

    Cioran (Aveux et anathèmes)

    Un argument pour se contenter de l'ignorance? En fait cette affirmation est discutable (loi de l'aphorisme, sacrifier la justesse à l'effet) (les meilleurs sont quand même ceux qui arrivent à combiner les deux, non ?)

    On pourrait dire plutôt que le passage à tabac et la sieste sont aussi instructifs l'un que l'autre, mais qu'on y apprend des choses différentes. Quoique. Un point commun : la perte de maîtrise.

     

    Quiconque est passé par une épreuve regarde de haut ceux qui n'ont pas eu à la subir. L'insupportable infatuation des opérés…

    Mais comme tout le monde a plus ou moins sa cicatrice, visible ou moins, à l'arrivée chacun trouvera sa raison de toiser l'autre.

    Et puis il y a des opérés qui savent faire preuve d'élégance et rester simples.

     

    Pendant que mon dentiste défonçait mes mâchoires, je me disais que le Temps était l'unique sujet sur lequel méditer, que c'était à cause de Lui que je me trouvais sur cette chaise fatale et que tout craquait, y compris ce qui me restait de dents.

    C'est juste, le temps c'est l'entropie.

    Cette phrase me fait penser à une horrible séquence d'un film des années 70, Marathon man) (ça nous rajeunit pas) (décidément le temps …)

    Et puis, plus sympa, elle m'évoque Le Testament de Brassens

    j'ai quitté la vie sans rancune j'aurai plus jamais mal aux dents

    me v'là dans la fosse commune la fosse commune du temps

     

    Impossible de dialoguer avec la douleur physique.

    Terriblement vrai. L'avantage de la douleur morale, c'est qu'avec elle il y a toujours moyen de trouver à redire.

     

    Ce n'est pas par le génie, c'est par la souffrance, par elle seule, qu'on cesse d'être une marionnette.

    Idiot. On restera marionnette si on l'est. Et si on ne l'est pas au départ, la souffrance nous fera marionnette, jouet du destin. Et dans les pires cas, jouet du sadisme d'autres « humains ». Et surtout, à partir d'une certaine intensité et/ou durée, la souffrance finira par la casser, la pauvre marionnette.

    Il le dit d'ailleurs :

    Plus on a souffert, moins on revendique. Protester est signe qu'on n'a traversé aucun enfer.

     

  • Me too

    La femme comptait aussi longtemps qu'elle simulait la pudeur et la réserve. De quelle déficience elle fait preuve en cessant de jouer le jeu ! Déjà elle ne vaut plus rien, puisqu'elle nous ressemble. C'est ainsi que disparaît un des derniers mensonges qui rendaient l'existence tolérable.

    Cioran (Aveux et anathèmes)

     

    Non il rigole, les filles.

    Humour pince sans rire, provocation (telle est mon interprétation). Cioran est négatif dépressif misanthrope, plutôt misogyne oui, mais bourrin total je lui fais crédit que non (générosité féminine).

    Exhibition caricaturale de phallocentrisme où l'on décèle en effet des indices de second degré.

    La femme comme deuxième sexe, objet et non sujet, dans laquelle le mâle trouve un commode supplément d'existence (voir la magistrale analyse de la grande Beauvoir dans son livre insurpassable) : cette vision est ici retournée dans les termes simulait, jouer le jeu, mensonge.

    Par eux, la déficience est implicitement présentée comme le fait de l'homme. Sans Ia femme qui le rassure sur son identité en exagérant sa différence, sur sa puissance en exagérant sa soumission, que deviendrait-il, pauvre petite chose ?

     

    Si je préfère les femmes aux hommes, c'est parce qu'elles ont sur eux l'avantage d'être plus déséquilibrées, donc plus compliquées, plus perspicaces et plus cyniques, sans compter cette supériorité mystérieuse que confère un esclavage millénaire.

    Supériorité mystérieuse : mystère est un mot bien commode quand on raconte n'importe quoi. « Expliquez-moi. Ah ben non c'est un mystère ».

    Fait-il allusion à l'hasardeuse affirmation hégélienne comme quoi en fin de compte le maître est l'esclave de l'esclave ? (je caricature à peine) (comme je comprends Schopenhauer, moi aussi Hegel me donne des boutons).

    Tout ça pour dire : les mecs, s'il y a que ça pour vous faire plaisir, on vous laisse l'esclavage et la supériorité qui va avec.

     

    Déséquilibrées, compliquées : c'est çui qui dit qui l'est, M'sieur Cioran.

    Perspicaces et cyniques : je lis dans ces mots la formulation (négative façon cioranesque) d'une relation plus directe à la réalité, un pragmatisme sans illusion qui est en effet souvent caractéristique des femmes.

    Après tout, oui, peut être un rapport avec l'esclavage millénaire, l'aptitude longuement cultivée à survivre et préserver la vie.