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Le blog d'Ariane Beth - Page 266

  • A fair lady

    Septuagénaire, lady Montague avouait avoir cessé de se regarder dans un miroir depuis onze ans. Excentricité ? Peut être, mais pour ceux-là seuls qui ignorent le calvaire de la rencontre quotidienne avec sa propre gueule.

    Cioran (Aveux et anathèmes)

     

    Houellebecq sors de ce corps !

    Enfin je dis ça : aussi bien Houellebecq se trouve beau. Et puis j'ai tort de le prendre comme parangon de mochitude, c'est vraiment pas sympa.

    D'ailleurs mochitude n'est pas exactement le mot, disons grognonitude. En fait son nom m'est venu parce que sa négativité fait parfaitement écho à celle de Cioran. Encore un membre éminent des MNA. (cf 20-4-19 Compagnonnages)

    Dans la déclaration de lady Montague il s'agit d'autre chose que laideur ou maussaderie. Il s'agit de trouver sa réponse, si possible honorable, à la modification d'image de soi qu'impose la vieillesse, cette si rude déflation narcissique.

    C'est valable aussi pour un homme, mais bien plus crucial pour une femme (encore et toujours sommée même dans nos sociétés « évoluées » d'exister d'abord et parfois exclusivement par et dans son apparence).

    Pour beaucoup, la déflation n'est pas seulement narcissique, entre soi et soi, mais aussi et surtout sociale.

    Il n'est pas facile de vivre ce moment où vous devenez transparente au regard de l'autre, la sagesse ou l'intelligence ne suffisent pas toujours à s'en arranger (peut être l'humour).

    Dans le cas des actrices vieillissantes (même des grandes, même des qui en ont dans le ciboulot), et plus largement des femmes exposées aux regards via les médias, cela s'accompagne plus souvent que pour les hommes d'une mise à l'écart professionnelle. Alors rares sont celles qui ont la force d'accepter le nouveau visage de leur beauté personnelle, que la vieillesse dote d'inquiétante étrangeté.

    Alors elles optent pour la même bouche de canard, les même pommettes de hamster : et là c'est ridicule et pathétique.

    Trop de narcissisme tue le narcissisme.

    Pour ma part je ne vois dans la déclaration de Lady Montague ni excentricité ni amertume. Il y a un côté positif à la perte d'image due à la vieillesse : la liberté d'être dispensé(e) de faire bonne figure.

    Et pour les miroirs, on peut juste se contenter qu'ils renvoient la lumière.

     

  • Aphorisme et liberté

    Quiconque nous cite de mémoire est un saboteur qu'il faudrait traduire en justice. Une citation estropiée équivaut à une trahison, une injure, un préjudice d'autant plus grave qu'on a voulu nous rendre service.

    Cioran (Aveux et anathèmes)

     

    Sans me vanter je suis très scrupuleuse sur le sujet, vérifiant plutôt deux fois qu'une que j'ai recopié exactement, donné la référence précise. Et si la citation me vient de mémoire, je ne suis pas tranquille tant que mes recherches pour la retrouver in situ n'ont pas abouti.

    N'empêche, la lecture de Cioran peut être vraiment réconfortante finalement : qui n'est pas cité n'est pas saboté (le mieux est encore de n'être pas lu).

     

    Démosthène copia de sa main huit fois Thucydide. C'est comme cela qu'on apprend une langue. Il faudrait avoir le courage de transcrire tous les livres qu'on aime.

    En plus, pour qui aime Proust, transcrire la Recherche l'occupera agréablement jusqu'à la fin de ses jours, le dispensant de toute angoisse et douleur (autre que la crampe du copiste bien sûr).

     

    La chance qu'a le romancier ou le dramaturge de s'exprimer en se déguisant, de se délivrer de ses conflits, et, plus encore, de tous ces personnages qui se bagarrent en lui ! Il en va différemment de l'essayiste, acculé à un genre ingrat où l'on ne projette ses propres incompatibilités qu'en se contredisant à chaque pas. On est plus libre dans l'aphorisme – triomphe d'un moi désagrégé …

    Paradoxale lucidité sans faille d'un moi désagrégé. En tous cas devant cette analyse si juste et si bien dite, on est obligé d'admettre qu'il arrive que la critique soit un art. 

     

    Le goût de la formule va de pair avec un faible pour les définitions, pour ce qui a le moins de rapport avec le réel.

    C'est bien pourquoi les aphorismes ont la faveur des gens qui ont du mal avec le réel, genre Wilde, Nietzsche, Kierkegaard …

    Que du beau monde, d'ailleurs.

     

     

  • Traduire

    J'ai connu des écrivains obtus et même bêtes. Les traducteurs, en revanche, que j'ai pu approcher, étaient plus intelligents et plus intéressants que les auteurs qu'ils traduisaient. C'est qu'il faut plus de réflexion pour traduire que pour « créer ».

    Cioran (Aveux et anathèmes)

    Même en écartant les pisseurs de copie, saccageurs de page blanche qui font croire qu'ils sont écrivains (et parfois le croient eux-mêmes), ce n'est pas très étonnant qu'un écrivain soit obtus, présente cette forme de bêtise, et d'autant plus qu'il est vraiment créateur.

    Il faut de la niaiserie pour affirmer et nier, voir plus haut, combien plus encore en faut-il pour créer. 

    Quant à l'intelligence, la finesse, la profondeur des traducteurs, elle est indéniable. Et comparable au génie d'un grand interprète, musicien, comédien.

    D'ailleurs beaucoup d'écrivains ont pratiqué la traduction avec bonheur, comme Baudelaire avec Edgar Poe. Et beaucoup font aujourd'hui de même, avec talent.

     

    La critique est un contresens : il faut lire, non pour comprendre autrui, mais pour se comprendre soi-même.

    Proust dit : chaque lecteur est lecteur de soi-même. C'est pas faux bien sûr, mais en même temps mieux on lit autrui, mieux on essaie de le comprendre, plus on a de chance de se lire et comprendre avec un peu plus de justesse. (Proust le dit aussi).

    On retiendra toujours de la phrase de Cioran que si un critique prétend être objectif, ou tente de cacher qu'il se projette dans l'objet de sa critique, c'est un faussaire (qui peut être l'ignore).

     

    Un mot, disséqué, ne signifie plus rien, n'est plus rien. Comme un corps qui, après l'autopsie, est moins qu'un cadavre.

    Je m'inscris en faux. D'abord après l'autopsie le corps n'est pas moins qu'un cadavre, mais plus : c'est un cadavre parlant, un cadavre qui s'interprète.

    Et pour le mot (ou le texte) c'est pareil. Ce qu'il voit comme dissection je le vois comme interprétation au sens artistique.

    La dissection est du côté de la fin, le sens qu'elle redonne au corps est temporaire, limité. L'interprétation signe l'éternité d'une œuvre, son aptitude à rester sans cesse offerte à de nouveaux regards, de nouvelles compréhensions, de nouvelles émotions et sensations.

    « Ce que je lis, je l'écris ».