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Le blog d'Ariane Beth - Page 270

  • Que ma joie demeure

    Après les Variations Goldberg – musique «super-essentielle », pour employer le jargon mystique – nous fermons les yeux en nous abandonnant à l'écho qu'elles ont suscité en nous. Plus rien n'existe, sinon une plénitude sans contenu qui est bien la seule manière de côtoyer le Suprême.

    Cioran (Aveux et anathèmes)

     

    L'émotion provoquée par ce chef d'œuvre, comment ne pas la partager ? (Pour ma part je garde l'image précieuse du regard intense, suspendu, d'un petit enfant cher à mon cœur entendant pour la première fois cette musique).

    Mais Suprême, surtout avec la majuscule, ça vous charrie un de ces fatras religieux ... Mot doré et poussiéreux à la fois. Comme s'il se réclamait du soleil, pour ne distiller en fait qu'une blafarde lueur de cierge. Il hiérarchise, compare (cf super-essentielle). Mot symptôme du triste tropisme vers la transcendance.

    Je dirais plus spinozistement que cette musique libère une énergie de joie.

    L'idéal serait de pouvoir se répéter comme … Bach.

    C'est de leur inventivité dans le radotage que les variations Goldberg tirent ce pouvoir de littéralement tenir en haleine l'auditeur. La répétition d'habitude est hypnotique. Ici elle se combine paradoxalement à l'appel réitéré au réveil.

    La formule de Bach (comme on dit la formule d'un parfum ou d'un baume) c'est vraiment que ma joie demeure. Explicitée dans le titre de la célèbre cantate, elle sous-tend toute l'œuvre, évidente dans les Variations.

    Elles sont pourtant le travail d'un deuil, croit-on savoir (cf le roman d'Anna Enquist Contrepoint Actes Sud 2010).

    Mais pourquoi « pourtant » ? Il faut sans doute dire plutôt « parce que ».

     

    La musique est une illusion qui rachète toutes les autres.

    (Si illusion était un vocable appelé à disparaître, je me demande ce que je deviendrais).

    De l'humour non grinçant, une distance légère : pas si fréquent chez Cioran. Décidément encore une preuve s'il en fallait que la musique fait des miracles.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Rendez vous !

    Tant la solitude me comble que le moindre rendez-vous m'est crucifixion.

    Cioran (Aveux et anathèmes)

     

    Cet aphorisme fait tout à coup entendre la notion de contrainte dans l'anodin rendez-vous, chargé (qu'il le veuille ou non) de connotations comminatoires. Persécution, torture, crucifixion : oui c'est parfois le mot. On vous fixe un rendez-vous, et vous voici cloué à la demande impérative de l'autre, à une obligation que vous préféreriez éviter.

    Inversement c'est vous qui clouez si c'est vous qui fixez, c'est vrai. Mais je gage que Cioran ne voyait pas grande différence de contrainte entre les deux. Et sans le vanter il n'est pas le seul.

    De manière inattendue peut être, et formulé sur un mode moins hyperbolique, ce sentiment se retrouve chapitre 3 livre III des Essais intitulé De trois commerces (facile à retenir : 3 fois 3).

    Montaigne explique qu'il a du mal à se sentir à l'aise dans les relations quotidiennes. J'ai une façon rêveuse qui me retire à moi, et d'autre part une lourde ignorance et puérile de plusieurs choses communes. (C'est moi qui souligne).

    Non qu'il s'en vante, au contraire il le déplore : cette complexion difficile me rend délicat à la pratique des hommes (il me les faut trier sur le volet) et me rend incommode (et incapable et mal à l'aise) aux actions communes.

    Un regret que l'on retrouve souvent dans les Essais. Car si Montaigne a besoin de solitude, ce n'est pas son idéal. Il a besoin de liberté, il craint l'assignation aux rendez-vous, aux commerces dépendants d'autrui, mais la communication lui est tout autant nécessaire.

    Pour contradictoires que soient ces besoins, il dit leur trouver une satisfaction ensemble dans le commerce des livres qui a pour sa part la constance et facilité de son service (...) me console en la vieillesse et en la solitude (…) me défait à toute heure des compagnies qui me fâchent (…) les livres me reçoivent toujours du même visage.

    De même si sa solitude comble Cioran c'est qu'elle est visitée de livres, et à travers eux lui donne commerce avec leurs auteurs. Préfère-t-il passer son temps avec ces interlocuteurs muets (mais si parlants) plutôt qu'avec certains (la plupart?) de ses contemporains ? 

    Comportement à rapporter à une névrose sociale, une phobie relationnelle, voire un penchant autistique ? Sans nul doute. Forme névrotique certes un peu vintage, moins conforme que guetter sur la toile pour comptabiliser les signes d'approbation.

    Mais qui a l'avantage de ne prêter le flanc à aucune crucifixion.

  • Quelques inclassables

    La philosophie hindoue poursuit la délivrance ; la grecque, à l'exception de Pyrrhon, d'Épicure, et de quelques inclassables, est décevante : elle ne cherche que la … vérité.

    Cioran (Aveux et anathèmes)

     

    Voilà qui risque de laisser sous-entendre que Pyrrhon ne chercherait pas la vérité. Ce serait le scoop du jour.

    Au contraire, comment mieux approcher la vérité que par le scepticisme ?

    Précisément parce qu'il professe la chose essentielle à en dire, qu'elle est hors d'atteinte. Et que c'est pour cela qu'on ne se lasse pas de la chercher. (Bon je vous épargne les citations de Montaigne sur ce coup-là).

    Savoir si mieux vaut poursuivre la délivrance (paradoxale formulation, non ?) ou chercher la vérité ? Faudrait commencer par établir un tableau des bénéfices/risques pour les deux protocoles.

    Perso chercher la vérité je trouve pas ça décevant du tout. Mais l'inverse oui : s'escrimer à (se) la cacher, adopter la mauvaise foi (au sens existentialiste) comme ligne d'inconduite.

    (Les occasions de déception ne me manquent donc pas).

    Poursuivre la délivrance, mettons. Mais plutôt qu'à la mode nirvanesque dont j'ai dit toute la méfiance qu'elle m'inspire, je trouve plus motivant d'essayer à la mode de Nietzsche.

    Libre de quoi ? Peu importe à Zarathoustra. Mais que ton regard clairement m'annonce : libre pour quoi ?