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Le blog d'Ariane Beth - Page 268

  • Ecris vain

    Ce matin, après avoir entendu un astronome parler de « milliards de soleils », j'ai renoncé à faire ma toilette : à quoi bon se laver encore ? 

    Cioran (Aveux et anathèmes)

     

    Heureusement que Louis XIV n'a pas raisonné ainsi. Déjà qu'il paraît que ça puait dans les couloirs de Versailles …

     

    Le renoncement est la seule variété d'action qui ne soit pas avilissante.

    Je ne m'abaisserai donc pas à exposer au lecteur les milliards de réfutations possibles de cette phrase. C'est que je n'entends pas renoncer à mon choix de la facilité.

     

    Je disais l'autre jour à un ami que, tout en ne croyant plus à l'écriture, je ne voudrais pas y renoncer, que travailler était une illusion défendable et qu'après avoir gribouillé une page, ou seulement une phrase, j'avais toujours envie de siffler.

    On est obligé d'en déduire un que pour lui écrire est s'avilir deux que cet avilissement le rend heureux. Mais allez j'arrête c'est trop facile c'est pas du jeu. Il n'a jamais promis de ne pas se contredire. Surtout qu'ici je souscris à fond. Bon, je ne sais pas siffler, mais à part ça j'acquiesce.

    Sauf que je ne peux m'empêcher de me demander ce que signifie croire à l'écriture. Croire pour soi ? Qu'avec l'écriture on se fait du bien à soi-même, on se libère si besoin est, et va savoir on se construit ?

    Ou même croire qu'il y aura des lecteurs pour vous lire ?

    Oui mais alors ne risque-t-on pas d'être amené à croire que l'écriture est un acte (horresco referens) qu'elle peut faire évoluer les choses et les gens. Les philosophes le croient parfois, l'ont cru. Mais cette illusion-là ne trompe plus personne. Comme quoi le progrès n'est pas un vain mot.

    Bref donc effectivement le seul argument pour écrire, c'est que gribouiller sa page est un plaisir.

     

    Le fait que la vie n'ait aucun sens est une raison de la vivre, la seule du reste.

    Et à coup sûr c'est la meilleure raison d'écrire.

    Il n'est sujet si vain qui ne mérite un rang en cette rhapsodie, comme dit Montaigne.

    (Plus je lis Cioran plus j'ai envie - besoin, surtout -  de relire Montaigne).

     

     

     

  • Crédits et discrédits

    On n'en veut pas à ceux que l'on a insultés ; on est, au contraire, disposé à leur reconnaître tous les mérites imaginables. Cette générosité ne se rencontre malheureusement jamais chez l'insulté.

    Cioran (Aveux et anathèmes)

     

    Ah j'ai trop parlé la dernière fois : ça c'est aveuglément optimiste.

    J'observe plutôt que les gens vous en veulent du mal qu'il vous font, du manque d'égards qu'ils ont envers vous.

    Quant à la générosité de l'insulté pour l'insulteur elle n'est pas si rare. Variante du syndrome de Stockholm peut être. Ou sagesse de se dire avec Zarathoustra ce n'est pas ta destinée d'être un chasse-mouches.

     

    Que nous puissions être blessés par ceux-là même que nous méprisons discrédite l'orgueil.

    Quoique. Le plus blessant n'est-il pas d'éprouver du mépris, de se découvrir capable de mépriser ? Là l'orgueil en prend un coup.

     

    Le meilleur moyen de se débarrasser d'un ennemi est d'en dire partout du bien. On le lui répétera, et il n'aura plus la force de vous nuire : vous avez brisé son ressort … Il mènera toujours campagne contre vous mais sans vigueur ni suite, car inconsciemment il aura cessé de vous haïr. Il est vaincu, tout en ignorant sa défaite.

    Voilà qui sent son La Bruyère (membre du club des MNA canal historique cf 20-4 note Compagnonnages). Cependant on peut considérer les choses sous un angle relativement positif.

    On n'est pas si loin de Spinoza quand il parle de vaincre par l'amour : et ceux qu'il vainc perdent joyeux ... (Éthique Partie 4 scolie prop 46).

    En fait on a ici comme un négatif de Spinoza. Cioran et lui arrivent à la même conclusion, mais l'un par la face lumineuse, l'autre par la sombre.

    Après tout, l'essentiel c'est le résultat dira-t-on. C'est vrai, mais je m'aperçois que plus je lis Cioran, plus j'ai envie de relire Spinoza.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Un rien de pitié

    Pour désarmer les envieux, nous devrions sortir dans la rue avec des béquilles. Il n'est guère que le spectacle de notre déchéance qui humanise quelque peu nos amis et nos ennemis.

    Cioran (Aveux et anathèmes)

     

    Nos amis : déprimant, non ?

    De la part des ennemis, on admet, c'est de bonne guerre. Mais des amis pourraient éprouver un sentiment si vil (et si peu civil) ? Consciemment non. Mais dans les tréfonds de leur inconscient ?

    On me dira si on commence à jouer les ventriloques avec l'inconscient, surtout celui des autres, c'est pas demain la veille qu'on risque de s'entendre, entre amis ou ennemis.

    Bon alors prenons la chose par le bon bout du sens commun.

    Il vaut mieux faire envie que pitié. À l'inverse on préfère ressentir pitié plutôt qu'envie. La comparaison est le moteur essentiel des passions & flottements d'âme (c'est pas moi qui le dit, mais Spinoza bien sûr). Or envier positionne en moins que, avoir pitié en plus que.

    La boiterie de l'ami (ou pas) offre ainsi une béquille toute trouvée à un ego bancal, lui offrant la plus-value de la pitié. C'est humain, mais c'est triste.

    Heureusement il y a Nietzsche :

    Si ton ami est malade sois un lieu d'accueil pour sa souffrance, mais sois un lit dur, un lit de camp : c'est ainsi que tu lui seras le plus utile.

    (Ainsi parlait Zarathoustra)

     

    Un rien de pitié entre dans toute forme d'attachement, dans l'amour et même dans l'amitié, sauf toutefois dans l'admiration. (A&A)

    Dans toute forme n'exagérons pas. Mais il est vrai que l'attachement, étant rapprochement, favorise la comparaison, donc éventuellement la pitié. L'admiration au contraire est extase, gratuité, libération des comptabilités de l'ego repérées ci-dessus.

    Corollaire : impossible de confondre envie et admiration. On n'envie pas la personne que l'on admire. Et l'on ne peut admirer celle que l'on envie.

     

    Quand on doit prendre une décision capitale, la chose la plus dangereuse est de consulter autrui, vu que, à l'exception de quelques égarés, il n'est personne qui veuille sincèrement notre bien.

    En fait je parie que Cioran plaisante. Il joue à surenchérir sur l'humour désabusé de Schopenhauer ou sur l'ironie de Kafka. Et puis consulter ou ne pas consulter n'est pas sa question, convaincu qu'il est de sa lucidité.

    Ce qui signifie pour lui rester absolument pessimiste, en tout, pour tout.

    C'est que l'optimiste est affligé du grave handicap d'être déficient en négativité, pauvre imbécile heureux. Sauf que, clopin clopant il avance, lui.