Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Le blog d'Ariane Beth - Page 276

  • Ces qualités sont communes

    À l'égard des élections du Prince (gouvernement exécutif) et des Magistrats qui sont, comme je l'ai dit, des actes complexes, il y a deux voies pour y procéder ; savoir le choix et le sort. (IV,3 Des Élections)

    Que ce soit le choix, que ce soit le sort, dans l'un et l'autre cas, il faut surtout savoir comment on fait. Et ça, pour être complexe, c'est complexe.

     

    Option choisir (élections classiques)

    1) qui choisit : les hommes seuls ou les femmes aussi, à partir de quel âge, faut-il avoir la nationalité du pays ou pas nécessairement etc. ?

    2) comment : par acclamations (cf note précédente, aujourd'hui par l'audimat ou la popularité sur les réseaux sociaux) ? Sinon, vote rendu public ou restant secret ? En quel lieu voter ? Avec quels scrutateurs ? À la majorité ? Simple, qualifiée ? À la proportionnelle ? Intégrale ou pas ?

    3) dans quel groupe ? Un panel de différents groupes sociaux ? Selon quels paramètres : profession, richesse (et alors comment contrôler ce que les gens en déclarent), niveau d'études, label de vertu, âge, sexe ? Parmi les membres de partis, d'associations ?

    Et si le pays est plus grand que par exemple au hasard un petit canton suisse, le groupe des candidats potentiels sera large, comment les connaître tous un minimum pour voter un tantinet rationnellement ?

     

    Option tirage au sort

    Même questions qu'au 1 supra.

    Le 2 se pose moins a priori. Quoique ? En pointant sur une liste ? En fermant simplement les yeux, ou avec un bandeau ? Jeter les dés ?

    Mêmes questions 3, ici les plus cruciales.

     

    Comment Rousseau envisage-t-il les choses ?

    Les élections par sort auraient peu d'inconvénient dans une véritable Démocratie où tout étant égal, aussi bien par les mœurs (modes de vie) et par les talents que par les maximes (principes) et par la fortune, le choix deviendrait presque indifférent. Mais j'ai déjà dit qu'il n'y avait point de véritable Démocratie.

    Tu l'as dit. Ce pays de parfaite égalité et unanimité, ça se trouve pas sous le sabot d'une vache suisse.

    Bref là encore il propose un système mixte.

    Quand le choix et le sort se trouvent mêlés, le premier doit remplir les places qui demandent des talents propres, telles que les emplois militaires ; l'autre convient à celles où suffisent le bon sens, la justice, l'intégrité, telles que les charges de judicature ; parce que dans un état bien constitué ces qualités sont communes à tous les Citoyens.

    Oui, enfin. Tout est dans le bien constitué

     

  • Qui est la leur

    Le chapitre 2 de ce dernier livre, Des Suffrages, s'interroge sur les critères et conditions d'une bonne délibération. Celle qui fera parler la volonté générale et réduira la voix des intérêts particuliers qui pourraient l'empêcher.

    Délibérations et élections sont sujettes à deux dysfonctionnements.

     

    Plus le concert règne dans les assemblées, c'est à dire plus les avis approchent de l'unanimité, plus aussi la volonté générale est dominante ; mais les longs débats, les dissensions, le tumulte, annoncent l'ascendant des intérêts particuliers et le déclin de l'État.

    Ça, c'est ce qu'on a vu la dernière fois.

    À l'autre extrémité du cercle l'unanimité revient. C'est quand les Citoyens tombés dans la servitude n'ont plus ni liberté ni volonté. Alors la crainte et la flatterie changent les acclamations en suffrages ; on ne délibère plus, on adore ou on maudit.

    JJ pense ici bien sûr à la décadence de l'empire romain. Mais que dirait-il en voyant qu'en France (et partout ailleurs) plus de deux siècles après la Révolution, on a pris l'habitude de délibérer à coups de likes, j'aime j'aime pas, j'adore je maudis ?

    Le pauvre en resterait comme la volonté générale : sans voix.

     

    Dans les deux cas, il s'agit d'une méprise sur le cadre et le principe de la délibération démocratique.

    Quand on propose une loi dans l'assemblée du Peuple, ce qu'on demande (aux citoyens) n'est pas précisément s'ils approuvent la proposition ou s'ils la rejettent (sous-entendu : en fonction de leur intérêt propre), mais si elle est conforme ou non à la volonté générale qui est la leur.

    Qui est la leur. Tout est là. Il serait plus lucide de dire : qui devrait être la leur.

     

    La volonté générale n'est pas facile à discerner (de moins en moins dans la complexité de nos sociétés). Et surtout elle est vraiment difficile à mettre en œuvre, car elle implique pour chacun au moins autant de renoncements que de gains.

    Dans le système du contrat, elle est en fait ce point où la courbe de l'équation passion est censée rencontrer son asymptote la droite raison. Un point donc non situable autrement qu'à l'infini.

    Rousseau pourtant choisit d'en faire un point à atteindre, un horizon certes mais dans la réalité.

    L'habitude des marches en montagne sans doute, où c'est en portant le regard loin qu'on trouve la force d'avancer encore.

  • Alors la volonté générale devient muette

    Quand le nœud social commence à se relâcher et l'État à s'affaiblir ; quand les intérêts particuliers commencent à se faire sentir et les petites sociétés à influer sur la grande, l'intérêt commun s'altère et trouve des opposants, l'unanimité ne règne plus dans les voix, la volonté générale n'est plus la volonté de tous, il s'élève des contradictions et des débats, et le meilleur avis ne passe point sans disputes.

    (IV,1 Que la volonté générale est indestructible)

     

    Oui mais tout ceci n'est guère évitable. Rousseau l'a dit plus haut, chaque système porte en lui des facteurs propres de dégénérescence. Ceux qu'il décrit ici sont précisément ceux de la démocratie.

    Débat, contradiction, dispute : sans cela difficile de discerner les ajustements nécessaires au maintient du cap de l'intérêt commun. Ils font aussi partie du processus de sa définition initiale, processus de mise en place d'une plate-forme commune à tous les intérêts particuliers. Encore faut-il que ce processus soit bien pensé et surtout bien conduit.

    Le plus difficile est d'éviter que le moteur démocratique s'emballe. Qu'on ergote au lieu d'argumenter, qu'on satisfasse un prurit de contradiction avant d'essayer de comprendre les autres points de vue.

    Quelles causes à cet emballement ? Comme pour les crimes, elles se partagent (ou se combinent) entre le passionnel ou le crapuleux.

    Côté passionnel, le citoyen (à quelque niveau qu'il soit, en haut ou en bas) peut régresser vers l'infantilisme des égoïsmes capricieux, des jalousies de bac à sable. Il peut être tenté, encore plus régressif, par le despotisme narcissique et irresponsable de Sa Majesté Bébé (éloquente expression de Papa Freud).

    Côté crapuleux, la tendance anti-démocratique se met en effet au service d'intérêts particuliers, individuels ou d'appartenance à différents groupes. Plus les groupes sont sectaires (au sens propre), plus les intérêts sont forts, et plus le moteur s'emballe.

     

    Alors la volonté générale devient muette, tous guidés par des motifs secrets n'opinent pas plus comme Citoyens que si l'État eût jamais existé, et l'on fait passer faussement sous le nom de Lois des décrets iniques qui n'ont pour but que l'intérêt particulier.

    Et ça, Rousseau ne s'y résigne pas.

    « Toute l'affaire du livre IV est de montrer comment on peut tenir éveillée la volonté générale dans le cœur des citoyens et la faire parler.» (dit B. Bernardi)

    Toute l'affaire du livre IV du Contrat social, mais surtout de la vie démocratique.