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Le blog d'Ariane Beth - Page 275

  • Qui naturellement est la même

    Rousseau termine son livre en traitant de ce qu'il appelle la Religion Civile (IV,8). Il y voit une solution pour que son Contrat social ait des chances de se réaliser un jour quelque part qui sait. Solution de quel problème ?

    Rationnellement, logiquement, l'architecture de son édifice politique se tient. Mais revient toujours la question : comment gérer les embrouilles résultant des affects ? Question déjà rencontrée.

    Ainsi le Législateur ne pouvant employer ni la force ni le raisonnement, c'est une nécessité qu'il recoure à une autorité d'un autre ordre, qui puisse entraîner sans violence et persuader sans convaincre.

    (II,7 Du Législateur cf Une autorité d'un autre ordre)

     

    Comme plus haut pour l'organisation des assemblées du peuple (cf Une prévoyance très nécessaire), c'est à partir d'un panorama historique que Rousseau aborde le rapport entre religion et pouvoir politique.

    Dans les sociétés archaïques, les hommes n'eurent point d'abord d'autres Rois que les Dieux, ni d'autres Gouvernement que le Théocratique.

    Mais il faut bien voir que sa conception est radicalement non idéaliste. Dans son esprit c'est le politique détermine le religieux, et non l'inverse.

    Il place ainsi d'emblée la problématique politique/religion sur un axe horizontal, et non vertical.

    De cela seul qu'on mettait Dieu à la tête de chaque société politique, il s'ensuivit qu'il y eut autant de Dieux que de peuples (…)

    Ainsi des divisions nationales résulta le polythéisme et de là l'intolérance théologique et civile, qui naturellement est la même. (C'est moi qui souligne).

    Ainsi d'après lui, dans l'Antiquité polythéiste il n'y avait point de guerres de religion à proprement parler. C'est juste que la guerre politique était aussi Théologique, vu que les dieux d'un peuple n'étaient au fond qu'un élément de son identité, de sa situation. C'étaient des dieux locaux sans prétention plus large.

    Les départements des Dieux étaient, pour ainsi dire, fixés par les bornes des Nations. (On pourrait discuter du terme plutôt moderne de nation, s'agissant de regroupements tribaux, mais bon, ça ne change pas grand chose pour la suite de son raisonnement).

    Quant à l'émergence monothéiste lisible dans la Bible juive, elle fonctionnait en sens unique. Que les autres peuples aient d'autres dieux ne posait pas problème aux Juifs. En revanche soumis aux Rois de Babylone et dans la suite aux Rois de Syrie ils ne voulurent reconnaître aucun autre dieu que le leur, refus regardé comme une rébellion. 

    (Et le début d'une longue histoire de persécutions, aussi atroce qu'absurde, que l'on espère par moments finie, mais qui recommence toujours).

    Et puis les choses se compliquent avec l'apparition du christianisme au sein de la structure intégrée de l'empire romain. Une structure qui va servir de vecteur à sa prétention universaliste.

  • L'espèce de loi

    De même que la déclaration de la volonté générale se fait par la loi, la déclaration du jugement public se fait par la censure ; l'opinion publique est l'espèce de loi dont le Censeur est le Ministre. (IV,7 De la Censure)

     

    Cette définition de la censure n'est pas celle que l'on met habituellement sous ce mot. D'où les difficultés d'interprétation.

    La censure version JJ ne repose pas sur des principes pré-établis, des normes idéales, voire une prétendue loi transcendante. Elle interagit avec l'opinion publique telle qu'elle émerge dans une société donnée.

     

    La question de l'opinion publique est vraiment décisive dans l'économie du Contrat social (d'où son actualité). Car c'est elle qui met en branle (ou freine) le mécanisme d'articulation entre la volonté générale et sa concrétisation.

    La déclaration (claire expression) de la volonté générale est affaire de loi. Cela signifie qu'elle passe par des procédures précises, qui en balisent les cadres.

    Mais la formation de cette volonté, tout comme l'adhésion ou refus qu'elle suscite (déclaration de jugement), cela est affaire d'opinion.

    Et là plus de procédures préalables, juste des processus émergents.

     

    L'opinion comporte deux axes. Sur le premier s'énoncent l'ensemble des opinions au sens d'idées, d'avis sur différentes questions. Sur le second se décide l'adhésion à ou le refus de ces énoncés. On y opine ou pas.

    Le premier axe est celui où a lieu la formation de la volonté générale, et le second va lui donner ou retirer sa force de loi.

    Ce qui ajoute à la complexité (après les binômes volonté générale/jugement public et adhésion/refus).

    Car l'opinion au sens d'adhésion ou rejet joue elle aussi sur deux axes, la rationalité et l'affect, qu'elle combine en proportions variables.

     

    Dans ce contexte, à quoi peut servir la censure ?

    Les opinions d'un peuple naissent de sa constitution ; quoique la loi ne règle pas les mœurs, c'est la législation qui les fait naître ; quand la législation s'affaiblit, les mœurs dégénèrent, mais alors le jugement des Censeurs ne fera pas ce que la force des lois n'aura pas fait (…) La Censure maintient les mœurs en empêchant les opinions de se corrompre, en conservant leur droiture par de sages applications.

    Bref, comme le Tribunat sert de garde-fou aux possibles abus gouvernementaux (cf note précédente), la Censure est censée servir d'éventuel garde-fou aux errements de l'opinion.

    Tel un modérateur dans un forum sur internet, tel un responsable de newschecking.

    Autant dire qu'elle ne sert pas à grand chose, donc.

     

     

  • Une prévoyance très nécessaire

    Comme d'autres théoriciens du politique avant lui (Machiavel Montesquieu), Rousseau prend l'exemple de l'histoire romaine pour étudier l'organisation des assemblées démocratiques (IV,4 Des Comices romains).

    Son propos personnel est « de voir in concreto ce qui favorise et ce qui entrave l'expression de la volonté générale dans les assemblées du peuple » dit B. Bernardi. Ce chapitre a perdu de son intérêt pour nous, si ce n'est pour rappeler que la république romaine fut le modèle inspirateur des législateurs révolutionnaires.

    Et l'empire romain celui du fantasme impérial bonapartiste : bel exemple de répétition de la dégénérescence démocratique (cf note Le nom commun d'anarchie).

     

    Le chap 5 propose l'institution d'un Tribunat, conservateur des lois et du pouvoir législatif. Rousseau lui assigne comme mission de vérifier qu'un magistrat nouvellement établi ne part point du pouvoir qu'avait son prédécesseur, mais de celui que la loi lui donne.

    Autrement dit cette sorte de conseil constitutionnel est chargé de rectifier régulièrement les possibles erreurs de trajectoires des gouvernements.

     

    De la Dictature (IV,6) envisage la possibilité de suspendre provisoirement l'autorité législative. Qu'est-ce qui est censé justifier une telle procédure ?

    L'inflexibilité des lois, qui les empêche de se plier aux événements, peut en certains cas les rendre pernicieuses, et causer par elles la perte de l'État dans sa crise. L'ordre et la lenteur des formes demandent un espace de temps que les circonstances refusent quelquefois.

    Il peut se présenter mille cas auxquels le législateur n'a point pourvu, et c'est une prévoyance très nécessaire de sentir qu'on ne peut tout prévoir.

    La belle formulation finale (qu'on pourrait attribuer à un moraliste) ne doit pas faire oublier les usages abusifs de cette procédure d'urgence. S'il est utile en effet d'en prévoir une, on se souvient (pour ne prendre que l'exemple le plus proche de Rousseau) des dégâts de la dictature robespierriste des deux Comités. Élimination d'innocents, déchirure du corps politique, et surtout arguments pour les contre-révolutionnaires.

    Aujourd'hui encore qui veut débiner la Révolution française (et au-delà tout effort révolutionnaire) y trouve un argument bien pratique.