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Le blog d'Ariane Beth - Page 303

  • Au pluriel

    Difficile d'aborder un livre biblique sans se pencher sur les noms qu'il donne au divin (mais sans tomber pour autant, dans le travers d'une complexité inutile).

    Dans les psaumes on trouvera les trois noms : El (Eloha, Elohim), Adonaï, et YHWH parfois abrégé en Yah ou Yahou.

     

    El est un terme sémitique commun à plusieurs traditions (même racine que Allah), attribuant au divin une puissance (un terme qu'on sera bien sûr amené à interroger).

    Le ps 150 déploie ces connotations du nom El : firmament de force, puissances, immensité (v.1-2)

    André Chouraqui (dans l'intro à sa traduction de la Bible) ajoute que ce nom présente aussi le dieu comme celui vers qui on se tourne, à qui on aspire, car el est une préposition du sens de « vers, pour, dans la direction de ».

    Souvent dans les psaumes on trouve le pluriel, Elohim. Le monothéisme de l'ancien Israël s'établit sur fond de polythéisme, sans le détruire tout à fait (cf Psaumes « de David »).

    Faut-il voir en ce pluriel un archaïsme ? Pas sûr : le maintien dans la lettre de plusieurs faces du divin permet d'échapper à la pente qui guette le monothéisme : la perversion du religieux en totalitarisme. (Ce pluriel a aussi d'autres significations symboliques bien sûr).

     

    Adonaï signifie mon maître. Traduit en grec dans la Septante par kyrios, c'est notre mot seigneur, devenu finalement dans la vie courante monsieur.

    C'est un terme de respect, de déférence, et aussi un terme d'adresse. Adonaï est le dieu en tant que répondant de l'homme, que l'on prie, que l'on invoque, ou tout simplement à qui l'on parle.

     

    Le tétragramme YHWH (yod hé waw hé) est peut être plus énigmatique (à moins qu'il ne soit trop simple). Moïse au buisson ardent demande à la voix (qui lui enjoint d'aller au secours de son peuple esclave en Égypte) de quel nom il doit la nommer, en quel nom il doit parler.

    « Je suis/serai qui je suis/serai » est la réponse. La voix poursuit : tu diras au peuple Je suis m'a envoyé vers vous (Exode 3,14).

     

    Ce texte a été amplement commenté (sans livrer de dernier mot) (bon signe). Remarquons simplement qu'en nommant « YHWH » le locuteur pose dans le même mouvement sa propre identité.

    Autrement dit cette nomination a pour effet (si les mots ont un sens) de dissoudre la limite immanence/transcendance.

    (D'où sans doute le réflexe « religieux trop religieux » - pour paraphraser Nietzsche - de décréter ce nom trop sacré pour le prononcer ?)

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Ps 150 (2/2) Comme l'harmonie du monde

     

    Les percussions, dans leur modalité rythmique profonde, chantent un chant viscéral, battent la mesure du battement élémentaire de la vie-même.

    Une énergie vitale qui s'exprime aussi dans la danse associée au tambourin (v.4) : ce qui évoque bien sûr les transes rituelles, les corps qui scandent des gospels, les délires des Bacchantes, les derviches tourneurs.

    Tous moments d'extase, aux confins entre une extrême présence au corps et son oubli.

     

    Dans le même verset la louange passe à des instruments aux connotations inverses. Quoi de plus limpide, éthéré, que les notes de la cithare ou de la flûte ?

    Le tambour fait éclater l'être, le fait irradier dans un mouvement centrifuge. Cithare et flûte au contraire le recentrent, dans une intériorisation au climat tout nocturne.

    Dans un chant méditatif au bord du silence, et dont il semble n'être qu'une modulation.

    L'association de l'épaisseur charnelle des percussions à ces instruments dont le son a quelque chose d'immatériel compose une partition jouant sur un dynamisme de bipolarité, comme la calligraphie joue sur la combinaison des pleins et des déliés.

    Voilà qui évoque une si belle phrase de Montaigne (Essais III,13)

    Notre vie est composée, comme l'harmonie du monde, de choses contraires, aussi de divers tons, doux et âpres, aigus et plats, mols et graves. Le musicien qui n'en aimerait que les uns, que voudrait-il dire ?

     

    Et puis il y a le chofar. Il s'agit d'un cor, d'une trompe façonnée dans la corne d'un bélier. Il résonne pour marquer l'entrée dans le chabbat.

    En conclusion du livre, le ps 150 fait ainsi entendre, à travers l'harmonie de la communauté rassemblée pour chabbat, une autre harmonie, existentielle, symbolisée par la polyphonie des instruments.

    Que l'on soit tambour ou flûte, luth, cymbales ou cor, chacun chante à sa place, mais comme dans un même souffle. Le souffle lumineux qui chante le dernier verset.

     

    Reste la question du destinataire du chant : Yah, qui est-ce ?

     

     

     

     

     

     

     

  • Ps150 (1/2) Poète prends ton luth

     

    Le psaume 150 est le dernier du recueil, venant clore la série de 5 psaumes dite Grand Hallel.

    Mais si on devait n'en lire qu'un, ce serait celui-ci, car il se présente comme l'essence-même du psaume, n'ayant d'autre propos que la louange elle-même, pure et simple.

    Simple mais pas uniforme : il donne à entendre une polyphonie d'instruments des trois familles (cordes, vents, percussions) que l'anaphore louez-le appelle à se combiner, chacun selon son style.

    1 Louez Yah ! Louez El dans sa sainteté, louez-le dans le firmament de sa force !

    2 Louez-le dans ses puissances, louez-le selon son immensité !

    3 Louez-le aux impulsions du chofar, louez-le avec la harpe et la lyre !

    4 Louez-le avec le tambourin et la danse, louez-le avec la cithare et la flûte.

    5 Louez-le avec les cymbales résonnantes, louez-le avec les cymbales éclatantes.

    6 Que l'âme lumineuse tout entière loue Yah !

     

    Décidément pas si simple, hein ? Rien que les noms divins qui apparaissent ici, Yah, El, assortis de mots lourds genre sainteté, puissance ...

    Résultat va bien falloir regarder tout ça d'un peu près.

    Mais allons à l'essentiel, le plaisir de la musique et le jeu des instruments. À tout seigneur tout honneur, d'abord ceux qui sont les attributs typiques de David dans l'iconographie, les instruments par excellence du psaume.

    La harpe (nével) se jouait avec les doigts, la lyre ou luth (kinnor) avec un plectre. Sur le corps de l'instrument le réseau des cordes vibre, transmettant des ondes de sensations et sentiments au corps (et cœur) humain.

    Analogie qui fonde la magie émotionnelle de la poésie dite lyrique.

    Lyre de David consolant le roi Saül dans son humeur sombre, lyre d'Apollon le dieu et d'Orphée le magicien, oud nostalgique des chants arabes, jusqu'au while my guitar gently wheeps des Beatles.

    Bref ces instruments-là sont ceux de la louange des poètes, des mélancoliques, des amoureux.

    Poète prends ton luth et me donne un baiser ! (dit Musset bien sûr, dans ses Nuits).