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Le blog d'Ariane Beth - Page 307

  • Principe de réalité (6/7)

    « Notre zèle fait merveille quand il va secondant notre pente vers la haine, la cruauté, l'ambition, l'avarice, la trahison, la rébellion. A contrepoil, vers la bonté, la bénignité, la modération, il ne va ni de pied ni d'aile. » (Essais II,12)

     

    Il faut bien constater le pouvoir de la violence, il serait stupide de le nier, de faire semblant de ne pas le voir, de pratiquer un irénisme qui n'est qu'un alibi. Il faut commencer par la lucidité, à quelque prix qu'elle soit.

    Mais le constat posé, pourquoi mènerait-il nécessairement à la résignation, à l'adhésion automatique, et pire à la justification ?

    Pourtant la justification de l'injuste est chose fréquente, et reçoit facilement l'approbation sous le nom de réalisme.

    Devant l'omnipotence de la violence au plan de l'agir, sa puissance dogmatique au plan de la pensée, sa perversité au plan du discours, c'est vrai : on se demande comment faire autrement que bâtir avec ses matériaux.

    Tout en sachant qu'ainsi on se condamne à ne faire de l'avenir qu'une reproduction du passé.

    C'est à cette reproduction que Nietzsche (il n'est pas le seul ni même le premier mais il le fait avec un tel génie) s'attaque en affirmant qu'il faut créer des valeurs totalement, fondamentalement nouvelles.

    Valeurs qui enfin soient non indexées sur les paradigmes constitutifs de la violence, domination, concurrence, exclusion. Constitutifs et reproducteurs, moyennant des rituels sacrificiels toujours renouvelés et toujours pareils.

    Comment surmonter la violence et le nihilisme, comment avoir raison d'eux ? En échappant au ressentiment, dit Nietzsche, car il est réaction, c'est à dire le contraire de l'action qui elle est toujours création.

    Montaigne, réaliste, se contente avec (une forte) humilité de l'éthique de résistance, autant que possible dire non au mal en lui et autour de lui.

    Nietzsche a le réalisme plus soixantehuitard : son réalisme consiste non seulement à demander, mais à vouloir l'impossible. De toute sa Wille zur Macht (vouloir-pouvoir, vouloir effectif).

    Pour réaliser cet impossible, il choisit la transgression de l'humain trop humain : elle consiste à oser franchir le pas d'une positivité radicale, à « être un homme qui dit oui. » (Le Gai savoir)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Commerce humain (5/7)

    Ayant théorisé le rôle structurant du sacrifice émissaire dans les sociétés archaïques, Girard s'intéresse ensuite aux évangiles de la Passion.

    Ces textes, dit-il, démontent le mensonge de la thèse sacrificielle, en présentant la victime (en l'occurrence le Christ) comme innocente, et surtout consciente de ce qui se joue. Pourtant il ne se dérobe ni se révolte, ce que Girard présente comme la possibilité de vaincre enfin la violence.

    Absurde, non ?

    Ce serait plutôt le contraire. En donnant sa vie au Père divin (censé donc la demander ou au moins l'accepter) il légitime de fait (à son corps non défendant) une figure divine en connivence avec la violence.

    Malgré la dénonciation de son mécanisme, la théorie sacrificielle se trouve ainsi validée de fait.

    Finalement ce qui ressort c'est que la violence est un absolu. Autrement dit il n'y a pas d'ailleurs à la violence. Et par conséquent elle ne peut être gérée que par elle-même et en elle-même, dans son propre système.

    Ce que Girard fait voir (sans le vouloir?) en anthropologie générale, d'autres le disent clairement en économie et en politique.

    En politique ils adhèrent à l'équation pouvoir = domination, avec pour logique ultime l'élimination du dominé par le dominant, moyennant le meurtre préalable de son désir de liberté (pour le cas où on vive en démocratie).

    En économie le Saint Mercantilisme étend son empire depuis l'étal réel du petit commerce jusqu'aux places boursières dématérialisées et nonobstant matérialistes. Tous les coups sont permis pour éliminer le concurrent, dans la guerre totale du commerce mondialisé.

    Si bien que le discours comme quoi le commerce serait précisément une sublimation (ou au moins une dérivation) du désir de violence et de pouvoir, eh bien … euh ...

    Car pas besoin d'être prix Nobel d'économie pour constater que le système mercantile mensongèrement auto-proclamé libéral, outre qu'il repose sur l'esclavage (salarié ou pas) et l'aliénation sous de multiples formes, produit en effet, comme tout système religieux, les victimes émissaires nécessaires à son maintien. Volant de chômeurs suffisant pour domestiquer un cheptel de travailleurs. Rejet de l'autre-concurrent à l'intérieur de chaque pays, ainsi que d'ensembles plus grands genre l'Europe.

    Avec, pour victime émissaire absolument logique d'une mondialisation fondée sur la libre circulation des capitaux, le migrant chassé par la pauvreté.

    Ce constat n'est certes pas nouveau. Il est juste particulièrement crucial aujourd'hui. La violence induit une destruction programmée à plus ou moins long terme, dont toute l'humanité sera la victime.

    À qui à quoi sacrifiée ? Sinon à son propre tropisme de mort ?

     

     

     

     

  • Autrement (4/7)

    Maintenant de deux choses l'une. Ou bien on en reste au constat anthropologique style « Ça marchait déjà, ça marche encore, c'est comme ça la vie faut croire ».

    Ou bien on se dit  « Ouais ça marche si on veut mais c'est pas cool cool, non ? On pourrait pas faire autrement ? »

    Ça me rappelle une histoire bien connue.

    L'histoire d'un mec appelons-le Grosmalin. Il part en randonnée. Le terrain est assez accidenté et Groma fait pas gaffe où il met les pieds, il pense à autre chose. Ou peut être à rien.

    Bref ce qui doit arriver arrive. À un moment le sol se dérobe brusquement : y avait une crevasse, un aven, une fondrière, un trou quoi. Un trou que Groma a pas vu résultat il commence à glisser au fond du. Mais comme il a un minimum de conatus bien qu'il ne soit pas spinoziste pour un sou il se raccroche à un buisson.

    Et voilà Groma suspendu au-dessus du vide. Le buisson va pas tenir très longtemps. Groma se met donc à appeler, ohé y a-t-y quelqu'un qui m'aime ici ce soir ? Pas de réponse. Une fois, deux fois. Rien.

    Enfin au troisième appel (oui c'est comme ça dans ce genre d'histoires on fait les trucs trois fois c'est dans le cahier des charges apparemment) Grosmalin entend une voix.

    - Y a-t-y quelqu'un qui m'aime ici ce soir ?

    - Oui je suis là.

    - Ah ouf. Voyez le buisson ? Je suis au bout.

    - Et à bout aussi je suppose ?

    - Euh oui mais bon vous pouvez m'aider siouplé ?

    - Yes I can.

    - M'aider maintenant je veux dire ! Genre en me tendant la main ou un alpenstock ou un bout de corde accroché à un mousqueton. Vous saisissez le concept ?

    - Pas besoin de ça avec moi. Vas-y, lâche le buisson, et t'en fais pas « J'ai donné ordre à mes anges qu'ils te portent sur leurs ailes. »

    Et là Grosmalin dit « Y a pas quelqu'un d'autre ? »

     

    Quelles réflexions peut susciter en nous cet apologue (en dehors du fait qu'il a été magistralement narré) ?