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Le blog d'Ariane Beth - Page 308

  • N'importe quoi (3/7)

    Revoyons le tableau final de la crise. Un mort tout à coup, c'est à dire après toute l'agitation les cris les râles tout à coup l'immobilité et le silence.

    Alors ça fait comment dire électrochoc. On s'arrête, on fait cercle autour de la victime.

    On se regarde. Tout le monde en a bien pris plein la gueule, ça saigne, ça se démantibule des rotules et des mandibules, ça grattouille ou ça chatouille.

    Conclusion s'il n'a pas le crâne en morceaux et la matière grise qui part à vau l'eau, chacun se met à tirer quelques inférences logiques :

    1) heureusement que c'est pas tombé sur moi

    2) Machin (le mort) on lui doit une fière chandelle finalement sans lui ouskon serait allé va savoir ?

    « Au même endroit, on serait tous morts tu veux que je te dise. De proche en proche, contagion de la violence mon vieux.

    - Mais alors Machin il nous a sauvés !!

    - Grave ! C'était le meilleur d'entre nous si ça se trouve …

    - Bon ben qu'est-ce qu'on fait on le divinise un peu histoire de marquer le coup ? Et on note dans l'agenda de se refaire la fiesta l'année prochaine, mais en choisissant la victime d'abord, c'est plus sûr.

    - Oui mais comment qu'on la choisit ? »

     

    Finalement ces braves gens en arrivent à la conclusion qu'il faut que la victime rituelle-arbitraire primo soit identifiable comme membre de la communauté.

    Qu'elle puisse dire si je voulais je pourrais présenter ma candidature à un rôle de votre superproduction, car sans me vanter je suis sur les listes de casting.

    Mais deuzio qu'elle ne soit pas déjà centrale dans la communauté.

    Qu'elle n'ait pas déjà occupé un rôle de premier plan ni été nominated pour la Massue de la meilleure interprétation lors du dernier FER (Festival Éclate et Rites).

    Conclusion le mieux est de la choisir « dans les catégories marginales de la société : esclaves, enfants, bétail. »

    1) Les femmes on n'en cause même pas, tellement ça va sans dire.

    2) Rien de nouveau sous le soleil. Dans les sociétés archaïques comme dans les nôtres l'histoire ne s'écrit du point du vue ni des bœufs ni des bébés ni des immigrés avec ou sans papiers et/ou contrat de travail, rémunérés au lance-pierre.

    3) Dans les sociétés archaïques je sais pas mais dans les nôtres ça paraît « naturel » aux théoriciens anthropologues (entre autres). Étonnant non ?

    Car résumons.

    Pour assurer la cohésion sociale on ritualise l'élimination d'un marginal, en clair on structure la société autour de la discrimination.

    Et pour prétendument évacuer la violence de la société, le principe sacrificiel lui donne la place la plus éminente qui soit, en sacralisant l'événement violent, en lui conférant un statut de nécessité transcendante.

     

     

  • N'importe qui (2/7)

    L'intérêt du religieux repose donc d'après Girard sur sa vertu prophylactique à l'égard de la violence. Prophylaxie mise en œuvre sous une forme vaccinale. Car la violence ça vous gagne. C'est comme ça c'est plus fort que toi.

    Et qu'est-ce qu'on fait quand on sait ne pas avoir le dessus ? On se garde bien d'affronter, on contourne, on ruse. On cherche à prévenir plutôt que guérir. Dans le genre, le sacrifice serait d'un bon rapport qualité prix.

    Jusqu'ici on se dit pourquoi pas. S'il faut en passer par là. À condition de pas être la victime soi-même ça va sans dire. Ah c'est un premier hic. Jusqu'où on ira pour ne pas être la victime ?

    Girard ignore la question. Un peu comme si on laissait de côté les conditions de signature dans les philosophies du contrat. Sauf que tant qu'on ne s'y collette pas, on n'entre pas dans le dur.

    Mais pour lui les choses sont simples « Tous les acteurs jouent le même rôle, sauf la victime émissaire bien entendu, mais n'importe qui peut jouer le rôle de la victime émissaire. »

    « Bien entendu ». Voulez mon avis ? Pas sûr que la victime elle ait si bien entendu que ça, qu'elle ait été d'accord à fond. « N'importe qui peut jouer le rôle » OK mais si on étudie un peu le scénario pas sûr que ça se bouscule au casting.

    Non je suis un tantinet de mauvaise foi. Le scénario n'était pas écrit. Quand le premier meurtre arrive, c'est au terme d'une crise de violence réciproque style village d'Astérix en moins bon enfant.

    Plan large : feu de l'action, tout le monde tabasse tout le monde avec ce qui lui tombe sous la main, mêlée générale (beaucoup de figurants défigurés peu à peu). Or voici que le hasard se pointe inopinément dans un coin du cadre. La caméra le suit l'air de rien.

    Puis tout à coup zoom avant. On voit qu'il s'est fait happer par la mêlée. Il se démène comme un beau diable pour essayer d'en sortir pendant le zoom arrière et le retour au plan large. Il feinte, il est passé par ici, il est repassé par là. Suspense, le hasard va-t-il arriver à franchir la rude baston ?

    Tout à coup gros plan. Face caméra, il prend les choses en main, endosse le rôle d'arbitre pour désigner un des combattants. Au hasard. Alea jacta est. Un deux trois la victime ce sera toi, quatre cinq six pour finir la crise.

    Voilà c'est ainsi que Girard voit le scénario. Un hasard décida de la première victime. Raison pour laquelle désormais on la choisit plus ou moins arbitrairement dit-il, même que dans certains rituels elle est parfois désignée par un truc style tirage au sort.

    Entre nous le hasard a bon dos, non ?

    Perso je gage que la victime première fut rarement le gros costaud avec grosse massue ou silex tranchant.

    Ma main à couper que cela a dû être une femme plus souvent qu'à son tour. Ou à la rigueur un petit (en taille aussi mais là je veux dire l'âge). Genre le sort tomba sur le plus jeune. Autant dire le plus faible.

    Le « premier venu » du hasard, logiquement est plutôt le dernier.

     

  • Un sacré mécanisme (1/7)

    « Nous affirmons que le religieux a le mécanisme de la victime émissaire pour objet. Sa fonction est de perpétuer ou renouveler les effets de ce mécanisme, c'est à dire de maintenir la violence hors de la communauté ».

    René Girard La violence et le sacré (1972)

    Je ne vous présente pas René Girard anthropologue et critique littéraire (1932-2015), il est dans Wikipédia. J'ai découvert en googuélisant qu'il y avait un footballeur du même nom. Enfin, un footballeur retraité : ces René Girard ne sont ni l'un ni l'autre nés de la dernière pluie.

    Si je vous parlais foot, sans doute vous captiverais-je davantage, mais j'y connais rien. OK c'est pas sûr qu'en anthropologie j'y connaisse beaucoup. Bon la critique littéraire c'est déjà un peu plus ma tasse de thé.

    Bref je ne sais pour le footballeur, mais le but du RG dont je vais vous parler est rien moins qu'expliquer tenants et aboutissants du fonctionnement de toute institution humaine à partir du principe du sacrifice religieusement ritualisé.

    Le rite sacrificiel découle (c'est le mot vu le contexte sanglant) d'un lynchage primitif. Cet événement a eu lieu pour de bon (ce n'est pas le mot, mais bon), il fait partie de l'histoire réelle des sociétés, mais il est recouvert d'une méconnaissance.

    On pourrait se dire que c'est ballot, mais non, cette méconnaissance « peut seule assurer au rite son effet de structuration sociale ».

    Ce lynchage mit un coup d'arrêt (et de massue avec) à la répétition interminable de la violence mimétique spontanée lors d'une baston généralisée dans la tribu ou quoi que ce soit. Comment ?

    En substituant à la réciprocité de la violence une unanimité violente par laquelle tout le monde se retrouve ligué (on sait pas trop comment) pour accomplir l'élimination d'une victime et une seule. Qui devient du coup The Victim, mythique et tout ça. Pourquoi ?

    Parce qu'au bout du compte c'est elle et elle seule que l'on va considérer comme responsable/maîtresse de la violence, vu que la baston a cessé avec sa mort. Or de concomitance à relation de cause à effet y a qu'un pas en mauvaise logique CQFD. A partir de là, le rite sacrificiel de la victime émissaire pourra servir de leurre efficace à la violence.

    Voilà le résumé de la thèse de René Girard. On peut en dire bien des choses vu qu'elle implique des tas de questions de tous ordres.

    Commençons simplement : si la phrase que je cite au début était de Desproges tout le monde rigolerait. Loufoque, non ?

    Heureusement que je ne suis pas du genre à faire dans le calembour vaseux, sans quoi je serais tentée de dire c'est une phrase loups-faux-culs. Style comment rester loups en (se) le masquant.

    Car m'enfin quand même « maintenir la violence hors de la communauté » en la mettant au centre d'un rite : un peu comment dire limite côté bonne foi.

    En tous cas par rapport à disons au hasard Spinoza, je trouve que ça fait petit bras. Ou plutôt « baissons les bras ».