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Le blog d'Ariane Beth - Page 311

  • La niche et la cave

    « Cave canem »

     

    Attention au chien.

    Les Romains avaient comme nous des animaux domestiques, et pour des raisons semblables, tenir compagnie et surveiller les propriétés privées.

    Ils eurent aussi des animaux plus exotiques à vocation d'utilité publique. Animaux sauvages qui se taillaient la part du lion sur le dos des gladiateurs : c'était le programme panem et circenses, promu par sénateurs et empereurs.

    On regardait tout ce petit monde s'entre-déchiqueter le week-end en famille.

    Ces spectacles riches en hémoglobine remplissaient à merveille leur double office à l'égard de la plèbe.

    Primo flatter l'orgueil du civis romanus.

    Les animaux exotiques rappelaient la domination de l'Urbs sur ses provinces lointaines. Et puis le Romain (fût-il d'en bas) dominait depuis les gradins le gladiateur, étranger ou esclave (et disposait en bonus du droit de voter pour sa mort ou sa survie).

    Secundo détourner son regard des questions politiques et des injustices en le gavant de divertissements aussi abrutissants que possible.

    Et en plus les places n'étaient pas chères et souvent gratuites : bref que du bonheur.

    Comme quoi nihil nove sub sole, belle maîtrise déjà à l'époque des ressorts du populisme : discours nationaliste et aliénation.

    Mais revenons à nos (autres) moutons, j'entends les chiens de la phrase de départ. Cavere signifie faire attention aux deux sens. Faire gaffe et prendre soin.

    L'écriteau cave canem peut ainsi avoir deux effets contraires sur le passant : l'inciter au détour prudent, ou inversement à la caresse du toutou.

    En ce qui me concerne, cave canem suscite en réflexe pavlovien la récitation du mantra sancta Phobia ora pro nobis.

    Et comme la phobie repose sur l'angoisse d'incertitude, cave canem implique ensuite la question : où donc qu'ils sont ces foutus toutous ?

    Pour les chiens de garde on sait : à la niche. Mais il y en a d'autres.

    « Tes chiens sauvages veulent être libres, ils en aboient d'envie dans leur cave quand ton esprit se propose d'ouvrir toutes les prisons. »

    Ainsi parlait Zarathoustra (De l'arbre sur la montagne)

     

    Conclusion le latin n'a pas besoin de traduction, cave canem est bien une histoire de chien dans la cave.

     

  • Lui c'est Nietzsche

    « Ecce homo » 

     

    Tiens justement puisqu'on en parle. Ecce homo est le titre de l'œuvre de Nietzsche sans doute la plus émouvante, où il se livre avec cette paradoxale pudeur dans l'exhibition qui le caractérise. Mais elle est surtout éclairante sur le sens profond de son œuvre.

    Voici l'homme sont les mots par lesquels Pilate présente à la foule le Christ dont il vient d'instruire le procès.

    On sait que, pour le condamner à mort comme le réclament les grands prêtres et la foule dûment manipulée en ce sens, il n'est pas chaud bouillant (épisode célèbre de son lavage de mains en public). Le chef d'accusation « se dit roi des Juifs », pose habilement Jésus de Nazareth en opposant aux Romains.

    Du coup Pilate, sous peine de perdre son autorité, renonce à ses vagues efforts de justice, et jette l'éponge (pour mieux se laver les mains).

    Sur les tableaux intitulés Ecce homo, Jésus porte ainsi manteau rouge et couronne d'épines, tient un roseau en guise de sceptre : mise en scène ironique du titre « roi des Juifs » par ses gardiens-bourreaux.

    Le choix du titre de son livre révèle donc chez Nietzsche avant tout son identification messianique. C'est que ça vous marque, le papa pasteur, qui plus est mort brutalement quand Friedrich était petit (et mignon à l'époque qui sait ?) (j'arrive pas à l'imaginer sans son horrible moustache).

    Messianisme, mais paradoxal. Nietzsche en effet retourne comme un gant* la notion.

    Le surhumain dont Zarathoustra est le prophète n'est conçu ni comme une infiltration de divin dans l'humanité, ni inversement comme une sublimation de l'humain en divin. Surhumain s'oppose non pas à humain, mais à trop humain.

    Un terme qui désigne la mauvaise pente de la nature humaine : nihilisme, mauvaise foi (au sens existentialiste, celle qui fait fonctionner en faux-self) ).

    Le surhumain est ce qui dans l'humain s'efforce de remonter (plus que surmonter) cette pente. Zarathoustra n'est pas vraiment prométhéen, il serait plutôt apparenté à Sisyphe.

    (cf ce blog mes notes sur Zarathoustra de mi-octobre 2014 à mi-avril 2015) (comme le temps passe)

    Ecce homo renvoie aussi au principe que Nietzsche nomme physiologie. On ne peut penser juste, rechercher adéquatement la vérité, si on ne le fait pas à partir de la réalité la plus prosaïque, la plus corporelle, la plus humaine.

    (Je voudrais pas enfoncer le clou, mais encore un qu'était pas trop pote à Platon ...)

     

    *J'ai retourné comme un gant l'idéalisme hégélien dixit Marx (Karl)

  • Pourquoi pas moi

    « Aut Caesar aut nihil »

     

    Ou César ou rien.

    C'était, dicunt rosae paginae, la devise de César Borgia.

    Pour ma part j'y vois comme une contradictio in terminis. Comment devenir quelqu'un si pour cela on se propose d'être quelqu'un d'autre ?

    Mais, dira le lecteur, les modèles, les exemples, ne sont-ils pas nécessaires à la formation de la personnalité ? L'enfant progresse en voulant faire comme les adultes aimés et admirés, en s'identifiant à des personnages historiques ou légendaires.

    C'est juste, ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain.

    Sauf que je trouve aut Caesar aut nihil nettement plus radical qu'une simple incitation à prendre exemple. Être son modèle sous peine de n'être rien, Dieu me compute, voilà une injonction à exister en mode 0/1. Et du coup avoir une chance sur deux de ne pas exister (enfin chance on se comprend, une possibilité).

    OK César Borgia, assumant l'injonction portée par son prénom, a fait son chemin dans la vie, (j'entends au plan réussite sociale parce que côté éthique on est nettement plus près du 0 que du 1) (mais c'est pas la question) (et c'est bien le problème).

    Cependant dans nombre de cas l'alternative se résout moins glorieusement. Ou César ou rien ? Ben rien.

    Car cette injonction totalitaire fait du modèle un idéal (au sens de mon ami Platon). Elle a donc toutes les chances (enfin on se comprend) de couper de la réalité telle qu'elle est, et ainsi d'empêcher de faire avec ce qu'on a, ce qu'on est. Du coup, faute d'atteindre son objectif, on se considère comme un raté.

    Ressentiment garanti, moitié dépression, moitié agression envers autrui. (Lien infernal entre idéalisme et nihilisme CQFD).

    Bon, je vous vois venir, vous allez m'alléguer en contre-argument le fameux Chateaubriand ou rien de Victor Hugo. Cette ambition l'a motivé, le Totor, a catalysé son génie, non ?

    Oui oui. Mais est-ce que ça valide la phrase pour autant ? Victor Hugo n'a pas été rien, je vous l'accorde.

    Mais il n'a pas été Chateaubriand non plus, vous me l'accorderez.

    Cela dit entre nous plutôt que Chateaubriand ou rien combien on parie qu'il pensait en vrai Victor Hugo ou rien ?

    Et il avait bien raison. Que tu sois César, Victor, René ou n'importe qui,

    Que dit ta conscience ? - « Tu dois devenir celui que tu es. »

    Le Gai Savoir (270)