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Le blog d'Ariane Beth - Page 309

  • Last but not least

    Vulnerant omnes ultima necat

     

    = Elles blessent toutes, la dernière tue.

     

    Disent parfois les cadrans solaires quand on leur demande l'heure.

    Sans blague ! Ils nous croient nés de la dernière pluie ?

    J'ai pas beaucoup de certitudes, mais celle d'être mortelle, celle-là on me l'enlèvera pas. Sans me vanter : même le plus con du commun des mortels jusque là il y va.

    Il y a même des cadrans solaires qui, histoire d'enfoncer le clou, vont jusqu'à afficher un sadique Ultima forsan (= la dernière peut être).

    Genre je dis ça je dis rien, regarde pas tout de suite, mais tu la vois l'épée de Damoclès au-dessus de ta tête ?

    Quoique sadique. Ça peut être un jeu. Alors on viendrait te dire qu'il te reste une heure à vivre : tu fais quoi ?

    Bon évidemment tout dépend de l'état. Mais admettons, toutes choses égales par ailleurs, qu'on dispose pour cette dernière heure de toutes ses facultés physiques et mentales.

    Vous avez des gens qui vous diront : je change rien à ce que j'avais prévu.

    Très zen. Ou très m'as-tu-vu genre admirez mon stoïcisme.

    Quoique stoïcisme. Moi qui ne suis ni stoïcienne ni zen (et Zeus sait si ça me gêne) je crois aussi que je ne changerais rien.

    La faute à mon tropisme sceptique : le temps de me demander quoi faire, l'heure serait passée. 

     

    Mais revenons à Vulnerant omnes ultima necat.

    Ultima necat, scepticisme ou pas, difficile de dire le contraire. Par contre vulnerant omnes ça se discute.

    Dans la vie il y en a, des heures qui blessent, amoindrissent, désamorcent l'énergie et éteignent la joie. Mais toutes ? Non ! Parmi les heures de notre vie, il y en a qui résistent encore et toujours à l'érosion, à l'entropie.

    Dans l'évolution du corps, même si la pente globale est descendante, il y a parfois un faux plat bon à prendre, voire une remontée plus encourageante.

    Quant au psychisme, s'il a une aptitude, c'est bien celle de cicatriser ses blessures. De parvenir à maintenir vaille que vaille sa petite flamme de joie de vivre. Étonnant, non ?

     

    Quoique. Pas tant que ça, finalement

    Le désir est l'essence-même de l'homme en tant qu'on la conçoit déterminée, par suite d'une quelconque affection d'elle-même, à faire quelque chose.

    (Éthique Partie 3, définition des affects, définition 1)

     

  • Le souffle de l'écrit

    « Verba volant scripta manent »

     

    = les paroles s'envolent, les écrits restent.

    Cette maxime a d'abord une acception juridique.

    Apposer son paraphe à un écrit, un contrat, engagera chaque partie, pour faire et valoir ce que de droit. Alors qu'affirmer Mais si, Machin m'a promis que, ça le fera déjà moins.

    Passage de la culture orale à la culture écrite, une étape majeure pour les sociétés. Elle a modifié les actes de la vie quotidienne. Actes publics surtout, comme dans le domaine juridique ou commercial, mais aussi actes privés (écrire une lettre).

    Elle a chamboulé les mentalités, les modalités (et ainsi le sens) des productions culturelles, du rapport au monde, à l'espace, au temps.

    Le mythique, commencé dans l'oralité, évolue vers l'écrit, fixant les structures sociales. Devenu religieux, il prescrit rites, préceptes, énoncés dogmatiques, à respecter à la lettre

    Quant à la science (mathématique, physique, mais aussi l'histoire gagnée sur le mythe), elle n'a véritablement lieu d'être que dans et par l'écrit.

    Construire un raisonnement scientifique, par le passage de l'hypothèse à sa validation, par la collecte empirique de données, nécessite un enregistrement précis et objectif des informations. L'écrit (mots, mais aussi langage au sens large, symboles, chiffrages) est à cet égard plus sûr que l'oral (même si les biais subjectifs existent toujours).

    L'écrit trace ainsi les contours, les limites, toute la géographie d'un territoire symbolique reconfigurant le réel.

    L'écrit est quelque chose qui reste, mais non sans combiner la permanence et l'évolution. La jurisprudence vient compléter le texte de loi. Même le texte religieux admet relectures et commentaires. Exemple le corpus talmudique issu de la Bible, et la relecture toujours ouverte, maintenant le souffle du texte, sa respiration.

    À l'inverse a lieu le meurtre du texte par étouffement dans le cas de lectures fondamentalistes et totalitaires qui le fétichisent.

    Parfois par névrose disons naïve, plus souvent de façon perverse au service d'enjeux politiques, du verrouillage du pouvoir. (Exemples superflus) (remarquons à ce propos que le meurtre textuel implique celui des humains) (logique infernale).

     

    Verba volant scripta manent  m'amène aussi à une autre idée. L'écrit permet de laisser trace de sa pensée ou ses actes, de la personne qu'on a été, du mode d'être au monde qu'on pratiqué, bref de son souffle personnel, son âme.

    Or si la matière persiste (nous sommes faits des particules du big bang), l'âme s'éteint avec le souffle de vie. Mais l'écrit peut lui ménager un second souffle, une seconde vie dans la mémoire des lecteurs.

    Exegi monumentum aere perennius : j'ai construit une œuvre qui, mieux que l'airain, traversera le temps, dit Horace.

     

  • Mets de l'huile

    « Oleum perdidisti »

     

    Tu as perdu ton huile.

    Inutile de le préciser, ceci n'est pas la devise de Total, Shell ou Texaco.

    La phrase n'ornera pas non plus la carte d'une pizzeria.

    L'huile en question est celle qu'on brûle durant la nuit passée à élaborer des cogitations cartésiennes (ou pas), à noircir du papier avec des pensées fumeuses (ou pas) tandis que fume la mèche de la lampe.

    (Du coup maintenant que vous le dites rien ne s'oppose à ce que ce soit du pétrole cet oleum).

    Je dis papier mais les latins se servaient plutôt de tablettes. Sauf que les leurs étaient en cire. Pour les utiliser fallait juste un calame bien taillé et un peu d'huile de coude.

    Archaïque non ?

    C'est que ces pauvres romantiquains n'avaient pas de centrales nucléaires et autres piles au lithium.

    Insensé, non ?

    Mais faut voir que dans l'Antiquité ils étaient forcément beaucoup plus près de l'âge de pierre que nous.

    Quoique. Comment savoir ?

    Eux ils l'avaient derrière eux, l'âge de pierre. Le laps de temps écoulé était facilement évaluable. Mais pour nous l'âge de pierre est devant, dans l'avenir (après catastrophe climatique et/ou guerre nucléaire). Or la durée exacte de l'avenir est difficile à évaluer.

    C'est un problème éternel. De tout temps on en a été réduit à des conjectures sur la quantité d'avenir dont on disposait.

    Et ainsi nous sommes condamnés à ignorer à quelle distance du futur âge de pierre nous nous trouvons à l'heure où je tape ces mots.

    Quoique. Il est possible d'émettre des hypothèses plausibles (et néanmoins peu réjouissantes). Mais je m'en voudrais de casser l'ambiance.

    En fait au départ mon propos se voulait nettement positif. Genre l'idée qu'on ne perd jamais son huile quand elle sert à éclairer les lieux de pensée.

    À lubrifier les rouages neuronaux pour la réflexion, la science, la création. (Où vais-je chercher des métaphores aussi nulles ?)

    (faut croire que je me rouille)

    (c'est pas encore l'âge de pierre, mais c'est déjà l'âge de fer).