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Le blog d'Ariane Beth - Page 314

  • Une autre paire de manches

     

    « Sutor ne supra crepidam »

     

    = Cordonnier pas plus haut que la chaussure.

    Paroles du peintre Apelle à un cordonnier, qui après avoir donné son avis sur la sandale d'un tableau, voulut aussi juger du reste (Histoire naturelle de Pline 35-36), dit ma page rose qui a l'air bien renseignée.

    Elle explique que la phrase moque l'erreur et le ridicule qui consistent à se croire (ou se faire croire) capable de la même expertise dans son domaine de compétence et en dehors.

    (Bon oui d'accord ça mange pas de pain, elle dit ça elle dit rien).

    Je remarquerais plutôt qu'Apelle n'était pas très ouvert d'esprit, si vous voulez mon avis. Ou alors il était vexé parce que le cordonnier avait pas trop liké sa sandale.

    (Mais vous croyez que lui, en récupérant la sandale donnée à ressemeler, se gênait pour balancer remarques et récriminations ?)

    (Je dis pas qu'il avait tort, faut pas se laisser arnaquer non plus).

    La vraie question est : pourquoi que le cordonnier il pourrait pas avoir un jugement proprement artistique, hein ? Y aurait pas du mépris de classe dans l'air par hasard ?

    Ça me rappelle un sketch tout à fait malin de Jean Yanne où l'on voit deux chauffeurs routiers de caricature (gros bras, marcel, causant argot) échanger en cours de route leurs impressions sur la musique qu'ils écoutent.

    « Tu trouves pas, Bébert, que dans cette sonate Beethoven était encore vachement sous l'influence de Mozart ? »

    On rigole, et puis on se dit : mais oui pourquoi pas des routiers mélomanes ?

    Des éboueurs philosophes, des cantonniers mathématiciens ?

    En fait, n'en déplaise à Apelle, le domaine artistique est sans doute le plus accessible à tous. Avec philosophie et politique bien sûr, domaines exigeant fort peu d'aptitudes comme cela n'est plus à démontrer.

    Mais quand il s'agit de technique, de concret, l'intelligence et la sensibilité (ou même le bluff) ne suppléent pas aussi facilement au manque de formation.

    Exemple au hasard moi : pour tchatcher n'importe quoi sur n'importe quoi (genre oral de l'ENA pour les nuls), je me débrouille toujours.

    Mais si j'ai besoin de travaux de plomberie ou d'électricité, là j'en suis réduite à me dire comme Socrate « je sais pas grand chose et en plus c'est que de l'inutile. »

     

    Bon enfin le truc qui console c'est qu'il paraît que les cordonniers sont les plus mal chaussés.

     

     

  • Lekh haïm

    « Carpent tua poma nepotes »

     

    Jusqu'à un certain moment de sa vie, on trace son sillon, on plante ses choux et ses roses, on greffe ses arbres fruitiers, sans que nous effleure le doute : il y aura un temps pour récolter, moissonner, vendanger, cueillir.

    Une absence de doute irréaliste mais pas tout à fait absurde.

    Jusqu'à un certain moment de sa vie, on se sait mortel, mais d'un savoir qui reste abstrait. Et c'est heureux.

    Et puis on vieillit et on se dit : à quoi bon planter encore un arbre, de toute façon je ne le verrai pas pousser.

    Fais-le quand même, répond Virgile, tes petits enfants cueilleront les fruits.

    (Au passage j'ai envie de lui faire remarquer, à Virgile, qu'il est plus facile de trouver l'envie et l'énergie de planter, bêcher, arroser, tout ça, quand on est soutenu par le mécénat de Mécène)

    (mais bon je dis ça je dis rien).

     

    Tes petits enfants cueilleront les fruits

     

    À condition toutefois que les fruits de l'arbre vieillissant et vermoulu que tu es devenu ne soient pas immangeables. Pour cause de fadeur, d'amertume, de blétitude

    (oui je sais blétitude n'existe pas mais rime trop bien avec lassitude) (et décrépitude).

    À condition aussi qu'ils aient les mêmes goûts que toi (très très aléatoire).

    À condition avant tout que la vie t'en ait donné, des petits-enfants.

    Tu as cette chance. Ils sont là, poussent peu à peu leurs branches, déplient leurs premières feuilles.

    Et tu te dis l'important ce sont leurs fruits à eux. Ceux qu'ils donneront plus tard sans doute, ceux qu'ils donnent déjà, en joie, en lumière.

    L'important ce sont les fruits qu'ils sont.

     

    Alors finalement côté cueillette, le meilleur truc pour être sûr de pas se planter, oui c'est ça (le lecteur l'a vu venir) :

    Carpe diem 

    (comme disait un collègue à Virgile).

     

     

     

     

     

  • Drôles de drachmes

     

    « Timeo Danaos et dona ferentes »

     

    « Je me gaffe des Grecs, surtout s'ils se pointent avec des cadeaux ». Dixit un certain Laocoon, prêtre de Poséidon (Neptune) à Troie.

    C'est l'épisode fameux du canasson abandonné sur la plage par les Grecs, supposé être une offrande à Poséidon pour la traversée retour. Certains Troyens veulent le recycler en offrande à leurs dieux (et signe de victoire sur l'ennemi battant en retraite).

    Laocoon sent qu'il y a un truc pas net.

    On néglige son avertissement, on fait entrer le bourrin dans les murs. Mais voilà à l'intérieur y avait un commando attendant la nuit pour sortir en opération de massacre maximum (nom de code delenda Troja j'imagine).

    Ce cheval-tank fut comme on sait l'une des plus brillantes idées d'Ulysse. Lequel n'était pas la moitié d'un euh, était un vrai think-tank à lui tout seul, le mec aux mille ruses dixit la muse d'Homère.

    Ce qu'on ne pige pas par contre c'est comment ça se fait qu'à Troie ils aient pas senti venir le lézard, qu'ils aient gobé aussi sec comme un vulgaire ovum cette histoire de cadeau

    (c'était pourtant gros comme une maison, non ?) (ou la tente d'Achille, oui si vous voulez).

    Sauf Laocoon donc, qui lui n'était pas si euh, qui était un peu plus sur le coup que les autres apparemment.

    Bref massacre comme prévu, sac et incendie de Troie, mettant fin en un éclair à la guerre d'icelle.

    (Au fond toutes choses égales par ailleurs, leur cheval de Troie fut l'équivalent de la bombe d'Hiroshima).

    La suite on la connaît. Fuite d'Énée emportant son vieux papa sur son dos. Et de l'autre côté Ulysse brinquebalé dans toute la mare nostrum because la vengeance de divers dieux (qui aiment pas les mortels plus malins qu'eux).

    Bref à l'arrivée ça nous aura valu deux mises en œuvre d'errare humanum est.

    Virgile n'hésita pas des siècles après à poser son Énéide face à l'Odyssée, ad majorem populi romani gloriam, et accessoirement pour se faire bien voir de l'empereur.

    (Doué pour l'auto-promotion le mec) (en voilà un qu'aurait pas eu besoin de mécène) (le pire c'est qu'il en avait un) (on ne donne qu'aux riches) (mais on prête aux pauvres) (agios assurés).

     

    Tiens, agios : allez savoir pourquoi ça m'évoque les épopées contemporaines. En Grèce aujourd'hui pas besoin d'être la muse à Homère pour poétiser

    « Timeo Troïkam et carnetum chequorum ferentem ».